Psychothérapie – conceptions, définition, modes…
« La psychothérapie est l’ensemble des moyens par lesquels nous agissons sur l’esprit malade ou sur le corps malade par l’intervention de l’esprit » (Camus et Pagniez).
Divers modes de psychothérapie. – Plus que toute autre thérapeutique, la psychothérapie doit être individuelle, étroitement adaptée aux particularités de chaque cas. De façon schématique, on en peut cependant décrire six modes principaux :
A) La psychothérapie d’encouragement se définit d’elle-même ; tout médecin la pratique, parfois sans y songer. Adroitement conduite, lorsque l’on sait éviter un optimisme exagéré dont le patient aurait tôt fait d’éventer l’artifice ou une indifférence apparente qui lui donnerait le sentiment d’être incompris, elle dissipe l’appréhension, éloigne la peur et à la faveur de la détente ainsi obtenue, l’organisme, bien souvent, retrouve ses possibilités de lutte que paralysait l’angoisse.
On peut en rapprocher la psychothérapie de soutien, venant à l’aide d’un sujet dans une phase difficile de son existence : entretiens psychothérapeutiques lors de l’entrée d’un malade à l’hôpital psychiatrique ou au moment de sa sortie ; aide morale apportée à un névrose ou même à un délirant angoissé.
B) La suggestion est utilisée par tout un groupe assez disparate de procédés, allant de la persuasion douce, proche du simple encouragement, jusqu’à l’action brutale et autoritaire, parfois appuyée de manœuvres impressionnantes (simulacre d’intervention, anesthésie, emploi d’appareillages compliqués) ou désagréables (« suggestion armée » et en particulier « torpillage » par des courants électriques). La suggestion est en soi une méthode toujours insuffisante et parfois dangereuse.
Elle peut faire disparaître certains symptômes névrotiques (paralysie ou cécité hystérique, par exemple), mais elle laisse inchangé l’état psychique sous-jacent et peut compromettre les efforts personnels du malade vers la guérison. Il faut reconnaître cependant qu’elle intervient au moins pour une part dans toute psychothérapie.
C) La rééducation s’adresse soit à des fonctions électivement perturbées (rééducation phoniatrique des aphasiques ou des déficients de la parole, rééducation psychomotrice des « débiles-moteurs »), soit à un comportement pathologique global.
Chez l’enfant, elle représente la thérapeutique la plus efficace (et souvent la seule efficace) dans de très nombreux cas d’inadaptation. Mais il faut veiller à ce qu’elle soit mise en œuvre par des éducateurs moralement, psychologiquement et techniquement préparés à cette tâche infiniment délicate.
Chez l’adulte, la rééducation tient la première place dans le mouvement de modernisation de l’assistance psychiatrique. Sous la forme de thérapeutiques « occupationnelles » diverses (travail dirigé ou libre, distractions, sports, participation à la vie et au fonctionnement des services psychiatriques, réadaptation à des conduites de plus en plus « socialisées »).
D) La psychothérapie en profondeur se propose de découvrir, par l’analyse psychologique, les conflits profonds, généralement inconscients, qui troublent l’affectivité du malade, de déterminer les liens qui unissent ces conflits aux symptômes morbides, d’amener le tout dans le champ de la conscience claire et de proposer au sujet (mieux encore, de lui faire découvrir lui-même) une solution acceptable à ses problèmes vitaux. Une telle psychothérapie à la faveur des rapports entre le thérapeute et son patient (transfert), suscite une évolution de la personnalité psycho-affective qui s’était enlisée dans les régressions et les fixations névrotiques.
Partie de la psychanalyse freudienne et des travaux de Pierre Janet, la psychothérapie en profondeur s’est successivement nourrie à tous les grands courants de pensée aboutissant à des techniques fort diverses, à côté de la psychanalyse freudienne orthodoxe, il faut citer celle qui accorde une plus large part aux données de la sociologie (« inconscient collectif de Young »), c’est ce qu’on appelle aussi la « psychothérapie de groupe » ou psychothérapie collective ; l’« individual-psychologie » d’Adler, qui met l’accent sur la volonté de puissance et à l’opposé sur les sentiments d’impuissance et d’infériorité qui naissent du besoin insatisfait de sécurité ; la « dseinsanalyse » qui jouit d’une grande vogue dans les pays de langue allemande et s’appuie sur la phénoménologie et sur l’analyse existentielle (Biswanger) ; la « psychothérapie non directive » de Carl Rogers (encore dite « client-centered), fondée sur la théorie de l’interaction.
Certains procédés visent à réaliser chez le patient un état psychique particulier, favorable à la psychothérapie : par exemple l’hypnose que l’on utilisait autrefois comme procédé de suggestion et que les Anglo-Saxons emploient aujourd’hui au service de thérapies mois superficielles ou encore la subnarcose chimique ; peut en rapprocher la méthode du « rêve éveillé » de Desoille.
En psychiatrie infantile, la psychanalyse classique est généralement impossible, la subnarcose n’a que des indications limitées et la psychothérapie en profondeur doit s’adapter à la psychologie particulière des jeunes sujets. Les traitements expressifs (c’est-à-dire permettant à l’enfant d’exprimer ses problèmes, sous une forme souvent symbolique) font un large usage des techniques de jeu, soit individuelles (histoire, modelage, poupées, marionnettes, dessin), soit collectives (jeux dirigés, psychodrame de Moreno). Il est presque toujours utile et parfois nécessaire d’entreprendre parallèlement la psychothérapie des parents, en particulier au moyen de techniques collectives qui, même sous une forme simple et relativement superficielle, obtiennent d’excellents résultats.
E) Les psychothérapies collectives s’exercent sur des groupes relativement restreints de sujets. Le fait, pour chacun d’eux, de confronter ses propres difficultés avec celles des autres, de les projeter et de les revivre dans la personne des autres représente, avec les multiples interférences de la « dynamique de groupe », un puissant moyen d’action psychologique.
Outre la psychanalyse collective, qui utilise les mêmes ressorts que la méthode individuelle, outre la méthode de Slavson, plus superficielle et surtout utilisée chez l’enfant, il faut mentionner principalement le psychodrome de Moreno : cette technique exploite, avec la participation d’un couple de psychothérapeutes (homme et femme) ou d’un thérapeute unique, le transfert qui s’opère sur les partenaires au cours d’une action dramatique improvisée ; ce n’est pas l’effet cathartique de l’action qui est utilisé, mais l’interprétation de cette action au moment où elle va se produire. Il s’agit en fait d’une technique analytique dans son essence et aussi longue que la psychanalyse, mais qui a l’avantage de permettre le traitement d’un petit groupe homogène de malades ; moins froide que l’analyse classique, elle serait particulièrement indiquée dans les cas de structures prépsychothiques ou comportant des traits de caractère accentués. Elle comporte une variante, le sociodrome, essentiellement applicable aux cas non pathologiques.
F) Les psychothérapies qui utilisent la prise de conscience du corps sont surtout représentées, outre la méthode Vittoz qui repose sur des bases théoriques très contestables, par les méthodes dites de relaxation. Parmi ces dernières, nous citerons seulement la « méthode d’autorelaxation concentrative » de Schultz ou « training autogène » introduite en France par l’école du Pr. Kammerer, et dont les résultats sont particulièrement intéressants, en particulier dans les affections psychosomatiques.
Mise en œuvre de la psychothérapie. –
A) Indications générales. – Toute maladie, aussi « physique » et « organique » qu’elle puisse paraître, est justiciable d’une médication psychologique et il suffit d’analyser les relations entre médecin et malade pour se convaincre de l’importance et de l’ubiquité de la psychothérapie. C’est là une vérité trop souvent négligée ; elle explique les succès obtenus par les charlatans et les guérisseurs empiriques dans bien des cas où la thérapeutique la mieux conduite demeurerait inopérante. Mais il est bien certain que seules les affections psychiatriques et « psycho-somatiques » doivent faire l’objet des méthodes psychothérapiques proprement dites. Encore n’en sont-elles pas toutes également justifiables. Les psychoses liées à l’évolution d’un trouble organique précis, tels qu’une infection ou une intoxication, celles qui comportent un bouleversement profond de la structure psychologique (les expériences délirantes primaires, par exemple), celles, enfin, qui sont de véritables infirmités mentales définitives (oligophrénies, démences séniles, déséquilibre constitutionnel) ne relèvent de la psychothérapie que de façon très accessoire.
Les névroses et les affections psychosomatiques, au contraire, en sont l’indication de choix. Mais, même dans des psychoses aussi graves que la schizophrénie et les délires chroniques, on peut la voir enregistrer des succès inespérés, grâce à son action sur les « constructions secondaires » : c’est-à-dire dans les symptômes qui se sont édifiés en « superstructure » sur les troubles primitifs et qui, parfois, demeurent alors que ces derniers ont disparu, résument alors toute la maladie.
Certains chercheurs d’ailleurs pensent, depuis les premiers essais de Freud, que la psychothérapie doit pouvoir aller beaucoup plus loin dans le traitement des psychoses : les tentatives parfois heureuses de Rosen, de Mme Sechehaye, de Nacht, de Racamier, qui tentent de reprendre les stades élémentaires de la relation d’objet au moyen de techniques diverses combinant volontiers les psychothérapies individuelles et collectives, ont des applications pratiques encore restreintes, mais leur intérêt scientifique est d’ores et déjà considérable.
B) Choix de la méthode. – On ne peut subordonner le choix de la méthode à l’opposition d’une étiquette diagnostique et poser en principe que telle affection est justiciable de tel procédé de traitement. Le choix doit être guidé uniquement par les caractères particuliers du cas envisagé : il est donc nécessaire de l’appuyer sur un bilan clinique, psychologique et biologique minutieusement établi.
Dès que le thérapeute est entré en possession de ce bilan, il doit dresser son plan, se tracer une ligne de conduite dont il ne devra plus dévier, car changer de direction au gré des circonstances et de l’intuition du moment, c’est risquer de perdre la confiance du malade et son adhésion totales, facteurs essentiels de réussite.
Le choix de la méthode, l’établissement du plan thérapeutique, devront prendre surtout en considération :
- a) La gravité réelle du cas à traiter : la difficulté et la durée d’une psychanalyse, par exemple, imposent d’un réserver l’usage à des affections sérieuses ou menaçantes pour l’avenir.
- b) Les possibilités du thérapeute et celles du malade : la plupart des méthodes psychothérapiques sont d’une application extrêmement délicate; leur mise en œuvre par des thérapeutes inexpérimentés ou dotés d’une culture psychologique et psychiatrique insuffisante, qu’ils soient ou non médecins, est un réel danger. D’autre part, on ne peut pas appliquer n’importe quelle méthode : la psychothérapie « en profondeur », par exemple, n’a guère de chances de succès chez un sujet inintelligent, inculte ou ayant perdu, du fait de l’âge, la psychoplasticité indispensable.
- c) La nature des liens unissant les symptômes à leurs causes psychologiques : elle a beaucoup plus d’importance que la nature des symptômes eux-mêmes, une fois du moins que le diagnostic a été établi.
Parmi les multiples éventualités possibles, nous citons seulement :
- L’inquiétude devant la maladie, qui paralyse les moyens de défense chez les malades au « mauvais moral ». La psychothérapie d’encouragement, l’aide apportée à la solution des problèmes familiaux, économiques et sociaux créés par la condition du malade, seront les moyens le plus souvent indiqués.
- La persévération, qui prolonge un comportement pathologique après la disparition des causes qui l’avaient engendrée. La rééducation, la réadaptation à un milieu social normal ou progressivement normalisé est alors la meilleure méthode; une psychothérapie en profondeur, cependant, est parfois nécessaire.
- La « conversion, que l’on rencontre dans l’hystérie notamment et qui est la substitution souvent symbolique d’un symptôme à un trouble psychologique inconscient était autrefois traitée presque uniquement par la suggestion ; celle-ci reste parfois utile, mais ne saurait dispenser d’une action moins superficielle.
- Les désordres psychosomatiques représentent un groupe assez disparate, où les divers mécanismes que nous venons de voir se rencontrent en proportions variables. La plupart du temps, une psychothérapie en profondeur est nécessaire et doit être menée de front avec un traitement physique ou médicamenteux.
C) Rapports de la psychothérapie avec les autres thérapeutiques. – Sur cette importante question, les avis sont fort partagés et reflètent les divergences de vues doctrinales. Les uns réduisent la psychothérapie à un rôle accessoire et trop souvent la négligent au bénéfice des traitements « médicaux »; d’autres, au contraire, en font une panacée qu’ils refusent d’associer à d’autres procédés.
Entre ces deux tendances extrêmes, il y a place pour un éclectisme qui s’efforce de juger chaque cas et de le traiter de façon logique : un état dépressif réactionnel, une névrose obsessionnelle seront abordés directement par la psychothérapie, que des sédatifs ou des toniques médicamenteux pourraient aider utilement; une confusion mentale infectieuse sera, au contraire, traitée « médicalement » et ce n’est que si les troubles persistent après le retour à un état somatique satisfaisant que l’on s’efforcera de mettre en œuvre, par exemple, une thérapie « occupationnelle », se réservant d’avoir recours à quelques électrochocs de « décrochage », si la guérison tarde encore à se manifester ; dans les affections psychosomatiques, thérapeutiques « médicale » et « psychologique » seront le plus souvent menées de front.
J.-M. Sutter et G. Pascalis.
Voir aussi :