Psychoses réactionnelles en psychiatrie
D’une façon générale, on donne le nom de psychose réactionnelle à tout état psychopathique aigu ou subaigu survenant d’emblée ou après un temps de balance, consécutivement à un choc affectif ou à un événement impressionnant. Il est souvent malaisé, ainsi que l’a souligné Chatagnon dans un rapport (XLVIIe Congrès des Médecins aliénistes et neurologiques, Clermond-Ferrand, 1949), de fixer des limites précises à ces états réactionnels et d’en assurer la légitimité. Toutefois, tous les psychiatres semblent avoir accepté les critères imposés par Jaspers : il faut démontrer que le contenu psychique a un rapport compréhensible avec l’événement originel et que son évolution, généralement favorable, reste soumise à l’événement causal (le désordre est intelligible et influençable). Les psychoses réactionnelles s’opposeraient, par définition, aux psychoses dites constitutionnelles; mais nous verrons ce qu’a d’un peu artificiel cette opposition.
Il convient d’envisager les psychoses réactionnelles :
- Sur le plan individuel ;
- 2. Sur le plan collectif et social.
Sur le plan individuel. – Dans l’éclosion et l’évolution d’une psychose réactionnelle, on ne peut faire bon marché de la personnalité du sujet, de sa constitution, de ses tendances ; il ne s’agit pas simplement de son plus ou moins grand degré d’émotivité, de sa structure mentale, mais aussi de sa complexion somatopsychique comme des conflits profonds ou des refoulements affectifs qui peuvent végéter dans son subconscient.
C’est à ce point de vue que l’on peut dire que les psychoses réactionnelles ne constituent pas une entité nosologique au sens absolu du mot, toute psychose étant effectivement réactionnelle et aucune ne l’étant entièrement (H. Ey et Cornavin).
Pathogénie. – On a beaucoup discuté sur la pathogénie de ces accidents, certains auteurs donnant une importance primordiale à l’élément biologique psychosomatique, d’autres s’attachant plus étroitement à la psychogenèse pure. Pour les premiers, le fait biologique est, avant tout, une réaction anarchique des processus d’adoption, dépassés ou épuisés par une réaction brusque ou répétée.
Pour H. Ey, le fait que le choc émotionnel est véritablement pathogène dans les cas les plus typiques, résulte de ce que la commotion psychique qu’elle représente est un facteur de dissolution (au sens jacksonien du mot), un processus organique pathogène.
P. Guiraud, qui croit à l’unité organo-psychique de l’homme, estime qu’il n’y a plus de réactions psychogènes, mais qu’il y a des réactions à des situations vitales. Délimitées aussi strictement, les psychoses réactionnelles deviennent simplement des psychoses de prédisposés, l’événement déclenchant restant très accessoire, mais il admet la possibilité de psychoses tardives consécutives à un conflit instinctif grave, sans forte prédisposition.
Le point de vue psycho-génétique est défendu par Hesnard qui pense que la « relation » d’ « intelligibilité » de Jaspers ne peut être appréciée que si l’on analyse le malade en profondeur, l’individu n’entrant dans la psychose que si cet événement est relié, de façon très particulière, à son histoire personnelle et spécialement sur les plans des valeurs profondes et symboliques.
- Étude clinique. – Quoi qu’il en soit de ces interprétations doctrinales et pathogéniques, les psychoses réactionnelles, même si elles devaient se réduire à la valeur sémiologique d’un diagnostic étiologique, restent des réalités cliniques incontestables.
- Chez l’enfant, l’élément réactionnel domine souvent les tableaux morbides : les troubles du caractère, les échecs scolaires, les réactions antisociales et les états névrotiques et psychotiques traduisant souvent plus ou moins clairement une origine de cet ordre (Aubin).
- Chez l’adulte, tout ébranlement affectif (deuil, déception sentimental, changement radical de situation, frayeur vive, événement tragique, ruine, incarcération, retraite chômage, etc.) peut déclencher les réactions pathologiques dans lesquelles interviennent des processus de défense, de compensation, d’inhibition.
Avec Kretschmer, on peut distinguer deux grands groupes de réactions : réactions primitives n’engageant pas la personnalité consciente, réactions de personnalité actives et conscientes.
1) Les réactions primitives peuvent être de 3 ordres :
a) Réactions explosives. – Ce sont en particulier l’agitation impulsive, les états confusionnels ou crépusculaires. De tels états commandent des réactions immédiates et violentes : meurtre, suicide, incendie, viol, fugue, vol, etc. Dans d’autres cas, au contraire, les manifestations actives restent suspendues et il se produit alors une anxiété intense.
b) Refoulement. – En vertu de la pression exercée par le sur-moi, le choc affectif peut demeurer sans réaction immédiate et constituer dans l’inconscient un complexe qui sera la source de névrose ou de psychose ultérieures.
Guiraud a fait, dans cette ordre d’idées, une place à part pour un certain nombre de psychoses (pseudo-schizophréniques), observées chez des jeunes filles du moment où va se faire le déploiement de l’instinct sexuel pour des fins légitimes. Un conflit s’établit entre ses tendances réalisatrices et une histoire particulière individuelle de l’enfance (traumatismes sexuels, viol, attachement excessif au père ou à la mère). Cette psychose de conflit représente pour lui le type de ce qu’il a appelé les « psychoses de passages difficiles ».
c) Conversion. – Les phénomènes de conversion sont une autre réponse possible, mais inadéquate et traduite sur le plan somatique. Ils ouvrent à la réaction toutes les voies de l’hystérie avec ses multiples manifestations dans le domaine moteur, sensoriel, somatique ou psychique.
2) Les réactions de la personnalité ne sont pas plus univoques. Elles sont orientées par la constitution du sujet et par les constellations de son affectivité au moment du choc. Elles ne sont plus diffuses ni incohérentes comme les réactions explosives, mais logiquement liés au facteur de traumatisme. Elles sont, selon la constitution psychologique, sthéniques, asthéniques ou autistiques (Kretschmer). C’est ainsi qu’on assiste à la genèse de manies ou de mélancolies dites réactionnels, d’états dépressifs avec petits thèmes délirants, de psychoses obsessionnelles, de paranoïas et de délires hallucinatoires chroniques, de schizophrénies.
Diagnostic, pronostic, évolution. – Il n’y a pas, comme on le voit, de formule unique propre à ces psychoses réactionnelles ; elles prennent d’une façon générale tous les aspects de la pathologie émotive, anxieuse ou confusionnelle.
Dans les formes initiales, aiguës ou subaiguës, les symptômes restent « en gros, intelligibles » (Jaspers), reflétant d’une manière plus ou moins nette la situation traumatisante, sinon il y a lieu de suspecter l’association de facteurs constitutionnels ou biologiques, variables suivant les individus.
Au point de vue évolutif, rappelons qu’il y a souvent entre l’événement traumatisant et l’apparition des premiers troubles un temps de latence et de rumination variable de quelques heures à quelques jours, mais souvent marqué déjà par de petits signes neurovégétatifs : insomnies, troubles circulatoires, état saburral, etc.
Dans de bonnes conditions de calme, d’isolement et de psychothérapie appropriées, les malades peuvent guérir rapidement si la cause disparaît; plus difficilement si un effort important d’adaptation est nécessaire, mais ils restent fragiles et peuvent présenter des phénomènes de sensibilisation, une véritable anaphylaxie émotive et aussi des troubles permanents du caractère.
On a pu noter aussi, surtout dans les psychoses de conflit des jeunes, une évolution vers la schizophrénie.
Les phénomènes de persévération pithiatique ne sont pas exceptionnels après la phase initiale; ils ont pu faire penser à des psychoses réactionnelles prolongées.
Traitement. – Nous avons dit tous les bienfaits de la soustraction du milieu pathogène et de l’isolement dans les formes aiguës. Les dominantes symptomatiques (anxiété, agitation, stupeur) imposent leur thérapeutique propre. Tous les ressources de la psychothérapie devront être mises en œuvre : c’est dans les cas traînants des psychoses d’origine émotive que la subnarcose chimique a donné des résultats remarquables en libérant le sujet du noyau affectif resté inclus dans son subconscient. Quelques séances d’électrochocs ont donné également de brillants résultats, particulièrement dans les états de persévération et de pithiatisme secondaires.
Lorsqu’il y a des séquelles qu’on n’a pas su prévenir à temps, des problèmes délicats d’estimation médico-légale peuvent surgir.
On ne saurait être assez circonspect en matière d’imputation d’origine. Il y aura toujours à faire la part, dans l’estimation de ces séquelles, des ingérences constitutionnelles à côté des éléments exogènes traumatisants.
II. Sur le plan collectif et social. – Les psychoses réactionnelles peuvent s’observer aussi en séries plus ou moins importantes, à l’occasion des cataclysmes sociaux dont l’histoire contemporaine nous a fourni des exemples d’une ampleur et d’une intensité inconnues jusqu’alors : guerres, bombardements, torpillages, déportations, captivités, etc. On a longtemps vécu sur cette croyance que la guerre, les révolutions, les catastrophes augmentaient en valeur absolue le nombre des états psychopathiques. Ce dogme est aujourd’hui sérieusement battu en brèche.
De nombreux auteurs ont souligné, au contraire, la baisse du nombre des entrées dans les services ou hôpitaux psychiatriques durant les guerres : c’est le cas, en particulier, de l’infirmerie spéciale du Dépôt à Paris (Legrand du Saulle, 1871 : Heuyer, 1939-1945).
Mêmes constatations de H. Ey dans son service de Bonneval : il note un relèvement de psychoses émotionnelles pendant le trimestre de 1940 correspondant à la débâcle; mais dans les 2/3 des cas, il y avait des prédispositions constitutionnelles indéniables, et dans l’autre 1/3, il s’agissait de sujets en imminence morbide (préséniles, alcooliques). Les événements de guerre, dit cet auteur, n’avaient eu qu’un rôle déclenchant au regard des virtualités préexistantes et il conclut « qu’il n’y a pas lieu d’établir une catégorie spéciales de psychoses dont l’étiologie serait celle d’une psychogenèse ou d’une sociogenèse pure ».
Steck, de Lausanne, a, de son côté, montré en étudiant des réfugiés polonais et yougoslaves, en Suisse, la pluridétermination de ce syndrome réactionnel psychotique en constatant les multiples facteurs pathogénétiques (dépaysement, sous-alimentation, traumatisme crânio-cérébral, infection tuberculeuse, etc.).
Maurice Porot dans des études sur les retentissements psychopathologiques des événements d’Algérie, est arrivé aux mêmes conditions : « Le problème essentiel, dit cet auteur, consiste à établir la réalité du lien entre le trouble psychopathique présenté par le malade et la cause extérieure invoquée. Dans quelques cas, il y a une relation directe et apparemment indiscutable, essentielle et suffisante, entre les troubles présentés et les événements actuels, sans que l’on puisse retenir la notion d’un terrain psychopathique antérieur (terrain vierge). D’autres cas se développent sur un terrain prédisposé. Dans d’autres observations enfin, il existe une véritable allergie psychique parfois créée de toutes pièces par les événements, parfois acquise antérieurement.
Plus souvent, les événements viennent colorer des troubles psychiques banaux qui se seraient sans doute produits indépendamment d’eux et ne seraient leur être imputés … Les mélancoliques et les anxieux trouvent dans les événements de quoi nourrir leurs thèmes délirants… Tout n’est pas inventé, bien des faits sont interprétés. Les aspects cliniques n’ont absolument rien d’original.
Il s’agit de manifestations réactionnelles tout à fait qui vont des crises névropathiques à la stupeur en passant par les réactions anxieuses et surtout obsessionnelles. L’insomnie est le symptôme majeur.
« L’analyse des observations montre que, quelle que soit la symptomatologie présentée, il y a toujours, à l’origine des troubles, un état de conflit aigu et violent, sidérant ou prolongée : terrorisation massive, choix impossible et angoissant, avec parfois l’écroulement brutal d’un avenir préparé de longue main ou obligation inacceptable. »
« Il semble surtout que l’investissement des angoisses latentes sur des situations réelles, quotidiennes, ne permet plus leur libre efflorescence dans cette « réaction de luxe » qui est le trouble mental ; comme le fait remarquer H. Ey, cette réaction qu’est la psychose tend à s’effacer quand s’accentue la contrainte de la vie collective et la polarisation affective qui oriente l’affectivité de tout un pays vers l’inquiétude sur son destin. Le délire perd ce que la préoccupation collective gagne (A.M.P., avril 1958).
Ant. Porot.