Psychologie de la vie sociale et sociologie
La psychologie contemporaine est marquée par un désir de s’évader de « robinsonnades » (Wallon) et d’envisager l’homme concret dans sa situation sociale, dont Gourvitch a marqué l’importance en proclamant : « La société est en nous et nous sommes dans la société ».
Cette étude, au carrefour de disciplines ambiguës, reste en fait assez confuse, mais certains « centres d’intérêt » se dégagent nettement. C’est d’abord l’approche phénoménologique de la vie sociale dont l’essentiel est dans :
1. L’analyse du lien humain dont l’immédiateté, niée par Sartre, est soulignée par Scheler affirmant que la « sympathie » est intuition émotionnelle d’autrui ;
2. La description des états vécus où se distinguent le « tu », saisie de la personne d’autrui dans son altérité, dans son unicité (Buber); l’ « on », forme impersonnelle de la sourde existence en commun (Heidegger), le « nous » qui exprime les réalités communautaires sous leur forme étouffante ou libre (Mounier).
Si précieuses que soient ces analyses ou ces recherches pour le psychiatre d’aujourd’hui, son intérêt porte d’ordinaire plutôt sur :
1. La macro-sociologie, étudiant, outre les problèmes de mentalité qui intéressent surtout par la description des « personnalités basiques » des sociétés primitives (v. Sociologie); les « dimensions » de ce que Cattell, pour en marquer le caractère unitaire, appelle la « syntalité du groupe ». Trois composants seront en particulier définies : « la complexité, opposée à la simplicité », « l’intégration, opposée à la désintégration », « l’organisation, opposée à la désorganisation, et par exemple la complexité de la culture sera mise en rapport avec la fréquence de la schizophrénie, tandis que sa désorganisation s’accompagnerait d’une moralité très faible et d’une conduite antisociale.
Ainsi se justifie l’effort pour introduire dans la compréhension de l’inadaptation les composants « culturels » dont Alexander et surtout K. Horney ont montré l’importance dans la théorie analytique des névroses.
2. La microsociologie envisageant les relations individuelles à l’intérieur des ensembles collectifs. Héritée de Tarde, cette « interpsychologie » se développe avec K. Lewin et surtout avec Moreno. Sa sociométrie est caractérisée par un essai de quantifier avec une représentation graphique originale les données de la recherche. Ainsi ont été popularisées les notions d’atome social, caractérisées par le nombre et la nature des désignations qu’il effectue et dont il est lui-même l’objet ou de configurations associatives ramenées à quelques types principaux ; notions qui ont au moins le mérite de fournir un langage à la psychologie de groupe, si les généralisations sociométriques sur la « gravité » ou la « mobilité » sociales ne dépassent guère la constatation banale. Rappelons que Moreno a d’ailleurs tiré de sa doctrine une sociothérapie qui gagnera à être dégagée de cette infrastructure théorique, ce que s’efforcent de faire les psychiatres et les psychologues soucieux de tenir compte dans l’effort thérapeutique des facteurs sociaux, soit qu’ils facilitent simplement l’intégration à la collectivité et à la communauté, soit qu’ils aident à la libération plus ou moins cathartique, des difficultés profondes.
H. Luccioni.
Sociologie
Science des faits sociaux, c’est-à-dire, des institutions qui caractérisent une société (Hubert).
Par « Institutions » il faut entendre toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité (Durkheim).
Toutes ces institutions agissent puissamment sur la vie de l’individu (l’éducation en particulier). Elles méritent d’être connues du psychologue et du psychiatre au même titre que les facteurs psychologiques individuels.
Le groupe politique et ses subdivisions (nation, province, cité), la famille, l’ambiance culturelle, professionnelle et religieuse, le statut économique auquel il est soumis, sont autant de facteurs dont l’individu subit l’influence. Il accepte de s’y soumettre pour en tirer parti, ou, au contraire, se révolte contre ces impératifs et adopte une attitude d’opposition. En psychiatrie infantile et au cours de la crise pubérale, la chose est particulièrement manifeste.
Des essais de psychologie gestaltiste ont étudié certains de ces groupements : couple conjugal, couple père-fils, etc.
La connaissance des sociétés primitives et de la mentalité primitive, fondamental en sociologie, éclaire bien des aspects de la psychiatrie.
Divers auteurs ont déjà, dans des études parcellaires, abordé certains de ces rapports : Lévy-Valensi, dans un mémoire très documenté (Annales Médico Psychologiques, 1934, I, 676), les a clairement résumées.
Tanzi rapproche la paranoïa de la mentalité primitive; il recherche dans la documentation ethnographique des particularités analogues aux principaux symptômes de cette psychose : idées de persécution, d’empoisonnement, de grandeur, culte du moi, valeur mystique du nombre, hallucinations, etc.
Les Allemands Schilder, Storch, Willmann, se livrent à un travail semblable en ce qui concerne la schizophrénie et ses signes : actions à distance, identité de l’image et du réel, forces occultes, symbolisation, ambivalence.
Les psychanalystes (Jung, en Suisse ; Freud) s’occupent de la psychose obsessionnelle et montrent les analogies entre les tabous et les obsessions.
Toutes ces doctrines ont pour but de faire des maladies mentales une régression vers la mentalité primitive. C’est là qu’elles sont critiquables : la mentalité primitive est une chose, la maladie en est une autre. Les analogies entre certains de leurs éléments sont incontestables ; nous pensons même que ce sont plus que des ressemblances fortuites; mais l’aliéné ne redevient jamais un primitif, pas plus que le primitif ne peut être considéré comme un fou.
Il est nécessaire d’étudier chacun des processus, de comprendre sa signification psychologique et biologique, de trouver ses traces chez l’individu normal (enfant ou adulte) et d’observer, chez le malade, les conditions psychosomatiques de son développement.
H. Aubin.
