Primitivisme en psychiatrie
L’expression de mentalité primitive qualifie l’ensemble des caractères psychiques et des institutions que l’on observe dans les peuplades inférieures, sous une forme comparable dans toutes les contrées et en tout temps. D’après l’expérience des sociologues, elle forme un tout homogène qui s’oppose à la mentalité civilisée à 3 points de vue :
- Elle fait appel à la connaissance intuitive, au sentiment subjectif que l’on a des choses et des phénomènes qui se passent autour de nous, et non au raisonnement logique, à l’expérience objective.
- Elle est fixée par une tradition qu’on ne discute pas, donc statique, au lieu d’être comme la science des civilisés en évolution continuelle, soucieuse de progrès interrompus, dynamique.
- Elle vise à une efficience immédiate, qui s’exprime dans la pratique de la magie, alors que notre civilisation scientifique cherche avant tout à connaître une vérité souvent sans applications immédiates, une réalité abstraite et théorique, sachant bien que c’est une étape utile et nécessaire qui permet seule une maîtrise toujours grandissante des Forces de la Nature.
Cette mentalité primitive que nous rencontrons encore dans quelques sociétés closes, forme un tout cohérent, pratiquement imperméable, au raisonnement et aux enseignements de l’expérience. Mais elle n’est pas aussi rudimentaire qu’on le pense communément et malgré d’intéressantes similitudes, elle ne se confond nullement avec la mentalité de l’enfant, ni avec celle des débiles, ou malades mentaux. Il est même certain qu’elle a été un instrument utile de stabilité et de cohésion.
Ses postulats, dénommés « représentations collectives », se fondent sur des intuitions remarquablement similaires dans l’espace et dans le temps, tout imprégnées d’affectivité et de données instinctuelles. À ce titre, on peut inférer que la mentalité du primitif est surtout le reflet de son diencéphale, alors que la civilisation se mesure à l’affranchissement de ce domaine, à l’utilisation croissante du cerveau antérieur (télencéphalisation des processus psychiques).
La plupart des représentations collectives s’inspirent de la notion d’une force occulte (MANA) qui pénètre l’univers et conditionne les relations mystérieuses (liaisons, participations) entre les gens, les groupements humains, les phénomènes de la nature, les événements, etc. Les notions de totem, d’interdiction et de tabous en dérivent.
Il est certain que bien des manifestations de la mentalité primitive subsistent chez le civilisé aussi bien dans ses petites superstitions que dans les rites de politesse, certaines techniques de travail, etc. Mais c’est surtout dans la maladie, et plus particulièrement dans les maladies mentales, que réapparaissent ces « processus archaïques ». La psychanalyse (Jung) et la clinique (Aubin) en ont montré les multiples aspects. Leur connaissance conditionne dans une importante mesure la psychothérapie (tout ce qui reste mystérieux et inexplicable engendre l’anxiété, favorise le développement du délire, etc.) et rend compte de nombreuses réactions médico-légales.
Rappelons à ce propos que Pierson (de Casablanca) a décrit ce qu’il a appelé une « paléophrénie » chez les indigènes marocains et dont il a cité plusieurs observations.
Sous l’influence des nouvelles équipes ethno-sociologiques américaines, le concept de mentalité primitive a été vivement critiqué et qualifié. Certes, l’École de Lévy-Bruhl a commis l’erreur de vouloir creuser un fossé artificiel entre l’homme de nos pays et le non-civilisé et elle a proposé les critères différentiels insoutenables (méconnaissance des principes rationnels d’identité, de casualité, etc.). Ce fut aussi l’erreur d’un Blondel voulant opposer conscience morbide et conscience normale et, à un moindre degré, celle d’un Piaget pour caractériser la psychologie de l’enfant. Il n’en reste pas moins que les œuvres de ces chercheurs et de leurs émules ont laissé des apports décisifs.
Ceci ne diminue en rien l’intérêt des recherches nouvelles, celles des Kardiner, Linton, Marg, Mead, etc., issues d’observations de première main portant tout spécialement sur le développement des situations de l’enfance (soins maternels, initiation affective, etc.). La notion dans chaque société d’une « personnalité de base », reflet sur le plan de l’individu de la totalité des institutions de son groupe, permet d’y reconsidérer utilement la signification des névroses, des psychoses, de la criminalité. Nous n’y trouvons que plus d’intérêt à tenir compte des institutions, des représentations et des réactions communes à un grand nombre de sociétés (rites divinatoires, de purification, sacrifices, etc.).
Le vrai clinicien saura apprécier le rôle de ces données sociologiques et celles qui appartiennent en propre à l’individu (éléments biologiques, chocs affectifs, etc.).
H. Aubin
Paléophrénie
Terme créé en 1955 par Pierson, de Casablanca, pour désigner, chez l’indigène marocain, des tendances ancestrales à des réactions impulsives et criminelles, dont « la place d’honneur revient au meurtre »; cette aptitude latente s’identifie avec l’impulsivité criminelle de l’indigène algérien décrite en 1932 par Ant. Porot et D.C, Arrii (An. Méd. psych. déc. 1932, n.5). On ne saurait ici, dit Pierson, parler de simple débilité mentale, terme impropre en la circonstance, parce qu’il situe le sujet dans l’échelle des déficits mentaux. Il pense que « le néologisme de paléophrénie se rapporte à une ontologie moins évoluée et à une sensibilité qui s’est peut modifiée depuis le lointain ancêtre ». Il s’agit de « fondations souterraines et d’archétypes structuraux sur lesquels peuvent s’échafauder les superstructures les plus modernes en apparence, sans que soit ébranlée cette structure fondamentale. »
Ainsi entendue, la paléophrénie rejoint, et, dans une certaine mesure, se superpose à ce que l’on avait décrit jusqu’ici sous le nom de « primitivisme » ; mais elle s’en distingue cependant par le fait que, dans ce dernier, il s’agit plutôt d’une façon de sentir et de penser (la « pensée magique » de H. Aubin), tandis que, dans la paléophrénie, on est en présence surtout d’une aptitude réactionnelle spéciale aboutissant à la criminalité souvent féroce et sauvage avec son profond mépris de la vie humaine et une inconscience totale d’avoir mal agi. Elle peut resurgir, malgré un vernis superficiel de civilisation, à la moindre occasion qui réveille ses instincts profonds; c’est pourquoi Pierson l’a décrite sous le titre de « paléophrénie réactionnelle » (Maroc médical, 1955, n 360, 34) ; on trouvera dans ce travail des exemples saisissants.
Ant. Porot.
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