Phacomatoses

Phacomatoses en psychiatrie

Le terme de phacomatose a été proposé en 1932 par Van der Hoeve pour désigner un groupe d’affections comprenant primitivement la maladie de Recklinghausen, la sclérose tubéreuse de Bourneville et l’angiomatose cérébro-rétinienne de von Hippel-Lindau, puis dès 1937, l’angiomatose encéphalotrigéminée (maladie de Sturge-Weber-Krabbe) (d’autres termes ont été proposés pour désigner de telles manifestations : neuroectodermoses (Roger), dysplasies ((Van Bogaert), moins employés actuellement).

Le groupe de phacomatoses n’a cessé de s’accroître depuis intégrant encore actuellement de nouvelles entités morbides dont nous ne ferons que citer les ichtyoses et kératoses palmo-planitaires congénitales et diverses dysplasies pigmentaires, sans compter plusieurs formes de passage entre ces affections. T. Sjögren et T. Larsson, ont récemment signalé l’association, dans le même cadre, d’oligophrénie, d’ichtyose congénitale, et de troubles neurologiques type maladie de Little (Acia Psych. Neurol. Scand., 1957, 32). Nous nous limiterons aux quatre phacomatoses majeures.

De nombreux travaux d’ensemble leur ont été consacrés par divers auteurs. Et faut retenir particulièrement la thèse de Mme Baoitelle-Lentillo (Paris, 1947), le rapport de J. Alliez et P. Moutin au LVe Congrès des Aliénistes en Neurologistes de Langue française (Lyon, septembre 1947) et les travaux de A. Borberg (Acta psychiatrica et neurologica Scandinavia, Copenhague, 1951, Suppl.71, #1).

Caractères généraux : Le lien entre ces affection et le phakos – terme grec signifiant étymologiquement « lentille » est devenu par la suite synonyme de nævus, tache.

Au point de vue anatomoclinique l’unité du groupe repose sur la triple atteinte de la peau, du système nerveux et de l’œil.

La lésion cutanée type est le nævus, pigmentaire ou vasculaire, associé ou non à d’autres lésions telles que l’angiome tubéreux, le molluscum pendulum (neurofibromatose), les adénomes sébacés symétriques de a face (sclérose tubéreuse).

Les lésions nerveuses, gliome ou ménigiome, atteignent essentiellement le système nerveux central avec une topographie variable selon chaque type de phacomatose : méningée et hémisphérique dans la maladie de Recklinghausen, angiome kystique cérébelleux dans la maladie de von Hippel-Lindau, nodules disséminés dans la maladie de Bourneville. Le neurinome périphérique est une caractéristique de la neurofibromatose.

L’atteinte oculaire se marque le plus souvent par la présence au fond d’œil de tumeurs papillaires blanchâtres (sclérose tubéreuse. Neurofibromatose) ou d’angiome de la choroîde (angiomatoses).

Le phacome rétinien, bien que décrit comme signe commun par Van der Hoeve, est en fait assez exceptionnel.

À ces lésions fondamentales peuvent s’associer des malformations diverses : tumeurs viscérales ou hypertrophies segmentaires. Des troubles endocriniens surtout dans le sphère hypophyso-génitale se rencontrent à des degrés variables, mais avec une fréquence assez grande pour susciter des hypothèses étiopathologiques intéressants (étiologie centrale des phacomatoses, rapports avec certaines manifestations mentales : Allez et cll., A. M. P., avril 1958).

Ce sont des maladies congénitales, à caractère fréquemment familial et héréditaire, bien que l’on discute encore de la nature exacte et du mode de transmission (vraisemblablement dominant) de cette hérédité.

Elles ont un caractère évolutif général qui ne retrouve dans chacune de leurs manifestations cliniques.

Les manifestations neuropsychiatriques des phacomatoses :

1) Les plus importantes son l’épilepsie et les déficits intellectuels, auxquels s’associent fréquemment des troubles du comportement et de la sphère instinctivo affective. Leur importance respective varie selon l’affection en cause.

a) Dans la maladie de Recklinghausen le déficit intellectuel se rencontre dans près de la moitié des cas (10 à 50% selon les auteurs : 33% dans la statistique d’Heuyer et Vidart, A.M.P. mars 1940).

Tous les degrés, de la débilité légère à l’idiotie profonde, peuvent se rencontrer mais il s’agit le plus souvent de débilité mentale moyenne (Q.II. en 70 et 80) avec d’importants troubles de la mémoire et de l’attention. L’évolution démentielle est rarissime.

L’épilepsie est relativement peu fréquente et le plus souvent conditionnée par des localisations centrales de la neurofibromatose ou une atrophie corticale.

Les troubles du comportement et du caractère sont par contre fréquents : 60% des malades selon Heuyer et Vidart présentent des anomalies telles qu’amorabilité, perversion instabilité (vagabondage). Zimmer a insisté sur les conséquences médico-légales de ces constatations dans le sens d’une atténuation de la responsabilité pénale des sujets.

Des tendances dépressives ont été souvent signalées chez les malades, indépendamment des troubles réactionnels, apparemment assez rares, aux manifestations inesthétiques de la maladie.

b) Dans la sclérose tubéreuse au contraire ce sont les déficits intellectuels et l’épilepsie qui dominent. Duchêne et Smirnoff estiment à 70% la fréquence des déficits intellectuels. L’idiotie, présente dans l’observation princeps de Bourneville, et l’imbécillité sont plus fréquentes que la simple débilité. Elles ne présentent pas de caractère particulier.

L’épilepsie est d’une grande fréquence : 80% des observations (Beurey et Kissel), mais ce taux a pu paraître excessif à d’autres auteurs. Toutes les formes de l’épilepsie peuvent se voir.

De caractère classiquement doux et affectueux les malades peuvent être en fait assez instables, sujets à des brusques colères, agressifs et se livrant à des activités classiques.

L’absence en général d’habitus épileptoïde ne permettrait pas de rattacher des troubles à la comitialité (Allez). L’aggravation quasi constante de ces manifestations non seulement dans la vie du malade, mais surtout dans la descendance, dénonce ici le caractère évolutif des phacomatoses plus ou moins évident dans les autres affections.

c) Dans la maladie se Sturge-Weber le déficit intellectuel « est de règle » (Crouzon et Christophe), soit présent dans 50% à 80% des cas à type le plus souvent d’idiotie ou d’imbécilité comme dans la maladie de Bourneville.

L’épilepsie est pratiquement constante (surtout crises bravais-jacksoniennes) et s’accompagne alors du caractère épileptique avec bradypsychie, viscositémentale et crises clastiques.

d) Dans l,angiomatose de von Hippel-Lindau, déficit intellectuel et épilepsie sont signalés dans la plupart des observations. Mais leur nombre est trop restreint pour permettre des statistiques. Il semble que l’hypertension intracrânienne en soit en grande part responsable.

2) Les manifestations psychotiques (épisodes oniriques, hallucinations, bouffées délirantes, psychose maniaco-dépressive, « schizophrénie ») éveillent toujours l’intérêt. Mais leur importance semble moins pratique que théorique, d’ordre pathogénique ou génétique (H. Ey et Bourguet, A.M.P.), février 1952). Alliez a souligné avec raison d’une part leur caractère disparate et non spécifique et d’autre part les difficultés d’interprétation de certaines observations dès que s’y associe la débilité mentale ou l’épilepsie. Cette critique vaut surtout pour la sclérose tubéreuse (formes paranoïdes et hallucinatoires de Critchley et Earl) mais doit dans tous les cas faire peser le diagnostic avec une certaine prudence.

Signalons que l’E. E.G. a retenu l’attention des chercheurs pour la présence possible d’anomalies autres que celles de l’épilepsie ou de l’hypertension intracrânienne. Son utilisation a été envisagée pour le dépistage des formes frustres et les recherches génétiques.

Cet intérêt est certain pour la maladie de Recklinghausen : anomalies à type d’ondes lentes ou de rythme thêta, en corrélation nette avec l’existence de facteurs héréditaires.

Il n’est davantage encore dans la maladie de Sturge-Weber où le tracé n’est presque jamais normal, même dans les formes frustres. L’É.É.G. a de plus une valeur réelle pour la localisation des angiomes cérébraux (zone circonscrite de « silences » électriques).

Par contre sa valeur reste très discutée en ce qui concerne la détection des formes frustres comme la localisation des nodules tubéreux dans la maladie de Bourneville. Les avis sont souvent contradictoires sauf sur un point : les perturbations électriques paraissent en corrélation plus nette avec le degré de débilité mentale qu’avec l’épilepsie (Alliez).

Aucune étude de ce genre ne semble encore avoir été faite pour la maladie de von Hippel-Lindau. Il s’agit de toutes façons d’un chapitre de la pathologie encore en pleine évolution.

I. Mondzain.

Abandonner les préjugés.
Dès que l’on commence à épier son corps, le vieillissement a commencé.  (Claudette Boucher). Illustration de Megan Jorgensen.

Corticothérapie (Cortisone-A.C.T.H.)

L’emploi de plus en plus fréquent des hormones de la corticale surrénale a permis d’observer un certain nombre de réactions psychiques à la suite de ces traitements. Il ne semble pas que l’on puisse différencier celle de l’A.C.T.H. et celle de la Cortisone. De plus ces deux hormones peuvent dans certains cas influencer favorablement des psychoses. On peut, donc, avec J. Delay, L. Bertagna et A. Lauras qui en ont fait une bonne étude d’ensemble (Pr. Med., 7 juillet 1954), distinguer :

1) Les réactions psychiques au traitement;
2) L’action thérapeutique sur les psychoses.

1. Réactions psychiques au traitement.

a) Modifications habituelles du psychisme

Ces réactions sont fréquentes (75% des cas); elles consistent essentiellement en un état de sub-excitation psychique avec sentiment de facilitation intellectuelle, euphorie, logorrhée, rappelant l’hypomanie et même la moria. J. Delay et Pichot en ont fait une étude expérimentale à l’aide des tests dans un service de rhumatisants traités par la corticothérapie (Encéphale 41, #5, 393-406, 1952). Il n’y a pas de parallélisme entre les résultats thérapeutiques sur l’affection traitée et l’apparition des troubles psychiques, puisque ces derniers ont pu apparaître chez des malades qui n’avaient accusé aucune amélioration dans leur état rhumatismal.

De leur côté, Mozzinacacci et C. Koupernik, sur 51 cas étudiés, 9 enfants n’ont présenté aucun trouble, 40 des incidents mineurs et 2 des formes graves. Parmi les incidents mineurs, citons la boulimie, de l’insomnie assez fréquemment, de l’anxiété, plus rarement, de l’agitation. Les deux cas graves réalisèrent : l’un, une démence complète, l’autre, des troubles caractériels et un état délirant. Il semble, que dans la genèse de ces accidents, puissent jouer des antécédents neuropsychiques, personnels ou familiaux, la longue durée du traitement, de fortes doses de cortisone. Il est à noter que ces incidents surviennent surtout au début et lors de l’arrêt du traitement (Bull. Soc. Méd. Des Hôpitaux de Paris, 6 mai 1955).

b) Psychoses de l’A.C.T.H. et de la Cortisone.

Elles ont été bien étudiées par Lauras (Th. Paris, 1952). Tous les auteurs ne sont pas d’accord sur leur fréquence (10% pour Rome et Braceland) mais les statistiques françaises (Pasteur-Valery-Radot et Derré, Coste et Bertagne, Loyot, de Sèze) ramènent cette proportion à 1% en moyenne.

Leur apparition est relativement indépendante de la dose administrée. Le moment d’apparition par rapport au début du traitement est très variable, parfois précoce, le plus souvent au bout d’une ou deux semaines; on les a vus survenir aussi quelques jours après la fin du traitement (Mozziconacci et Koupernik). Ce début est parfois brutal (la moitié des cas), sous forme de crise d’agitation anxieuse, parfois tentative de suicide; il est, dans l’autre moitié des cas, progressif. Mais l’étude des antécédents a montré le rôle capital de la prédisposition constitutionnelle et d’antécédents psychopathiques avérés. La note anxieuse est toujours prédominante et parfois impressionnante. Le reste de la symptomatologie est très variable : quelques guérisons spontanées, quelques-unes acquises par des traitements appropriés (électrochocs); la guérison est presque la règle mais dans des délais très variables et parfois prolongés. Une seule fois sur dix dans la statistique de J. Delay, Bertagna et Lauras la guérison n’était pas obtenue après deux ans d’évolution.

Il importe donc de détecter avant tout traitement par la cortisone les facteurs constitutionnels propices au déclenchement des accidents mentaux.

II – Action thérapeutique de la corticothérapie sur les psychoses

Les expériences de Pincus et Hoagland constatent que l’électrochoc déclenchait une sécrétion d’A.C.T.H. d’environ 100 mg ont incité certains auteurs à substituer aux chocs dans le traitement des différentes psychoses, des injections d’A.C.T.H. Si les résultats ont été fréquemment et même habituellement nuls ou éphémères chez des schizophrènes, par contre on a enregistré des résultats remarquables dans la psychose maniaque dépressive. Citons en particulier trois observations françaises de J. Delay et ses collaborateurs. On a également pu juguler des psychoses aiguës survenues en cours de traitement par l’A.C.T.H. par des doses massives de cortisone (Coste et Bertagna).

Smith a publié également une série impressionnante de guérisons rapides du delirium tremens par administration brève d’A.C.T.H. (25 mg toutes les six heures). Il est prudent d’y associer des antibiotiques, ces malades étant souvent en même temps des infectés.
III Interprétation pathogénique

De toutes les hormones, la Cortisone et l’A.C.T.H. semblent bien celles qui ont l’action la plus élective sur le psychisme.

J. Roger, Gastaut et A. Roger, étudiant expérimentalement les effets de la cortisone sur les électro-encéphalogrammes chez le rat, ont observé des modifications analogiques à celles produites par les amphétamines, d’où la conclusion qu’il s’agirait d’une action pharmacodynamique simple. Il n’y aurait pas, semble-t-il, une action spécifique, des modifications biologiques spéciales n’ayant pu être décelées. Pour Baruk, les psychoses de l’A.C.T.H. sont dues à l’œdème cérébral (expérience sur le singe), opinion discutée par d’autres auteurs.

J. Delay et ses collaborateurs rapprochent les psychoses de la corticothérapie d’autres psychoses d’origine endocrinienne (maladie de Cushing, maladie d’Addison, puerpéralité). Ils inclinent à rapprocher les effets de l’A.C.T.H. sur le psychisme de ceux de l’électrochoc, le syndrome humoral étant assez semblable et rappelant celui de la réaction d’alarme de Selye ; il s’agirait pour eux d’une action neuroendocrinienne dans laquelle interviendrait le rôle régulateur du diencéphale; l’échelon diencéphalo-cortical paraît essentiel dans le mécanisme du déclenchement. La prédisposition intervient pour faciliter le déséquilibre neuro-hormonal.

Ant. Porot.

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