Personnalité

Personnalité, ce concept en psychiatrie

1. Le concept de personnalité. – La personnalité est la synthèse de tous les éléments qui concourent à la conformation mentale d’un sujet, pour lui donner sa physionomie propre. Cette conformation résulte des innombrables particularités de sa constitution psychopsysiologique, de ses composantes instintctivo-affectives, elles-mêmes alimentées par les afférences sensitivo-sensorielles et cénesthésiques, de ses modes de réaction, des empreintes laissées par toutes les expériences vécues qui ont jalonné son histoire individuelle.

Mais on entend souvent aussi par personnalité la force de cohésion du moi, le coefficient de résistance, d’unité et de continuité de la structure psychique de l’individu qui lui permet de rester lui-même à travers l’histoire de son existence et dans les divers milieux où elle se déroule. Ainsi entendue la personnalité se confond avec ce que l’on appelle le « caractère » et peut être déterminée par une série d’épreuve psychométriques.

Le concept de personnalité est étroitement lié à la prise de conscience et à la notion du « moi ». Mais la notion de personnalité, ainsi que faisait remarquer Th. Ribot, est plus que l’ensemble des éléments conscients du psychisme ; elle comprend aussi ses éléments inconscients. La personnalité est l’individu lui-même dans sa totalité, sa continuité, son unité psycho-organique.

La personnalité n’est pas « l’individu » qui n’est qu’un numéro dans un groupe.

La personnalité ne se résume pas non plus dans la succession des « personnages » que les circonstances sociales, familiales, professionnelles ou autres nous amènent à jouer.

Quant au mot « personne » dans le langage administratif, il ne désigne que l’individu dans ses particularités d’état civil ou signalétiques. Mais il y a aussi une autre acception du mot « personne », c’est celle de la « personne humaine », cette entité spirituelle et morale consciente de son indépendance et de sa dignité, qui ne veut pas se laisser absorber et dissoudre dans un conformisme commun et totalitaire.

Nous ne pouvons détailler ici les différents éléments qui interviennent dans la formation, le développement et la fixation de la personnalité : apport de tendances héréditaires et constitutionnelles (v. ces mots), influence du milieu, de l’éducation, asservissement ou indépendance, écrasement par les difficultés de la vie, ou raidissement contre elles, conformisme imposé par certaines disciplines morales ou professionnelles. Tout cet aspect du problème est étudié au mot Caractère. Signalons, à ce propos, qu’on a dénoncé la tendance à la formation d’un « homme-standrad » (A. Porot) dans la civilisation contemporaine (XLIVe Cong. Des Al. Et Naurol. De Langue française, Genève, Lausanne, 1956).

Il faut noter aussi qu’une fois formée, la personnalité peut être soumise à des oscillations endogènes ou à des variations de rythmes, à des baisses ou des exaltations du tonus qui peuvent parfois s’exhausser jusqu’à des alternances périodiques. De même, certaines dispositions affetives-actives peuvent orienter, pour certains auteurs (Boll et Delmas) la personnalité vers des types d’apparence constitutionnelle qui contiennent en germe des possibilités de névroses ou de psychoses (v. Constitution). Il est entendu aussi que la personnalité peut subir, du fait des causes pathologiques exogènes ou endogènes de grosses perturbations ou des dégradations temporaires ou définitives.

II. Les bases fondamentales de la personnalité normale – ce sont :

son unité et son identité qui en font un tout cohérent, organisé et résistant;

sa vitalité. C’est un ensemble animé, hiérarchisé, dont la vie est conditionnée par ses oscillations intérieures (endogènes) et des stimuli extérieurs auxquels il répond et réagit;

la prise de conscience. En vertu de son sens coenesthésique, de ses afférences sensorielles multiples ou de ses perceptions conscientes, l’individu se fait une représentation mentale de toutes ses activités physiologiques et psychiques;

ses rapports avec le milieu ambiant. Ce contact avec l’ambiance est de la plus haute importance. La personnalité oppose le « moi » au monde extérieur et lui donne ainsi sa consistance et ses limites. Mais il ne s’agit pas d’un simple enkystement, car la personnalité doit exercer une vigilance constante vis-à-vis du milieu ambiant et régler son comportement sur les circonstances. Les altérations isolées ou complexes de ces différents éléments constituent la pathologie de la personnalité.

III. Les troubles de la personnalité. – Nous inspirant de ces caractères, nous distinguerons dans les troubles de la personnalité les groupes suivants :

1). Troubles dans le développement et la continuité. – Chez les oligophrènes, la personnalité n’arrive jamais à un développement complet ou harmonieux; ainsi s’expliquent les faiblesses et les inconsistances de la personnalité chez les débiles mentaux, les lacunes de certains déséquilibrés. Mais chez des sujets normalement doués, l’influence nocive de certains milieux familiaux, de certaines éducations maladroites, peuvent entraîner des anomalies ou des déviations dans le développement de la personnalité. Des perturbations dans l’évolution normale de l’affectivité, des inhibitions ou des fixations malencontreuses peuvent susciter soit des arriérations affectives, soit des complexes d’infériorité, soit des réactions d’opposition et d’agressivité, susceptibles – si l’on n’y prend pas garde à temps – de constituer des personnalités névrotiques.

Plus tard, dans l’ordre régressif, mentionnons les dissolutions plus ou moins rapides, mais réversibles que réalisent les confusions mentales d’origine toxique ou infectieuse, les dissolutions brusques de l’épilepsie, les effondrements plus lents des démences, les dissociations, les désagrégations dans les états déficitaires juvéniles. Toutes ces détériorations de la personnalité peuvent se faire sous forme globale ou sous forme de fragmentation partielle.

Mentionnons aussi le puérilisme mental de certains séniles (Dupré), qui est une véritable régression au stade infantile et le puérilisme mental artificiel des pithiatiques.

Enfin, les mutilations systématiquement entreprises en ces dernières années sur le lobe frontal dans un but thérapeutique (lobotomie, leucotomie, topectomie) ont souvent, comme rançon, au moins passagère, des troubles importants de la personnalité.

2). Troubles de l’unité. – Dans ce cadre rentrent tous les faits de dédoublement de la personnalité qui se présentent sous différentes formes et dans des circonstances diverses : soit croyance en deux êtres en soi, dissemblables, vivant chacun leur propre vie (manichéisme délirant); soit succession dans le temps de deux personnes différentes : « états seconds » de l’épilepsie, de l’hystérie, des psychoses périodiques parfois; soit projection hors de soi de l’image de son propre corps (héautoscopie ou vision du double). La littérature, le théâtre ont exploité ces possibilités de double personnage.

Outre ces dédoublements massifs, on peut observer des phénomènes de dépersonnalisation et de dissociation fragmentaire de la personnalité : c’est le cas de l’automatisme mental et des hallucinations psychiques ou verbo-motrices. Le sujet alors ne reconnaît plus ces fragments détachés de son langage intérieur ou de sa personnalité, tend à y voir une effraction étrangère et peut greffer là-dessus de véritables délires d’influence ou de possession. Chez certains déments précoces, très évolués, l’ambivalence est poussée à l’extrême et peut faire converser deux être intérieurs.

3). Troubles de l’identité. – Il en existe plusieurs types :

a) Certains sujets renient leur « moi » antérieur et se désolidarisent de lui. Il peut exister de véritables idées délirantes de négation concernant la personnalité.

b) Il y a tous les délires de transformation ou délires métaboliques. De tels faits se rencontrent souvent soit chez des primitifs superstitieux, suggestibles et accessibles à des influences magiques, soit chez des débiles, soit enfin chez des hystériques et des mythomanes.

À un degré moindre, signalons le transitivisme, c’est-à-dire le transfert d’un état subjectif à une autre personne.

c) Mentionnons le groupe important des mégalomanes ou des mystiques, des réformateurs inspirés de Dieu dans leur mission. Certains appartiennent aux délires d’imagination décrits par Dupré, en particulier aux délires de filiation dans lesquels le sujet se croit hériter ou descendant de rois, de grands personnages. D’autres mégalomanes relèvent de processus délirants ou démentiels évolutifs.

4). Troubles dans les relations avec le monde extérieur. – On sait la grande importance attachée au contact avec le réel et l’ambiance, qui a permis à Kretschmer de distinguer les syntones (du type pycnique), bien embrayés dans la vie réelle, et les schizothymes sur eux-mêmes et introvertis.

C’est dans ce dernier groupe que l’on pourra voir des altérations plus ou moins graves de la personnalité dans ses rapports avec le milieu ambiant. On pourra observer chez certains schizophrènes un détachement complet de la vie collective et la culture d’un « moi » plus ou moins déformé et dissocié. Quelquefois, ils s’identifient à d’autres personnes, surtout des personnes aimées et admirées. Ces troubles graves de la personnalité, soit dans sa structure intérieure, soit dans son intégration dans le monde extérieur, sont bien le noyau fondamental de cette psychose.

5). Troubles de la perception coenesthésique et consciente. – Ils sont très fréquemment rencontrés dans les états dépressifs, la mélancolie et les états obsessionnels. Ils se manifestent dans le champ clair de la conscience et sont nettement appréciés par le sujet qui en souffre cruellement.

Chez les obsédés, ces désordres ont été bien étudiés par P.Janet, Seglas, Régis. Constamment hésitants, ils arrivent è douter de leur pensée, de leur santé, du jeu de leurs organes et même de leur existence. Il y a chez ces obsédés et ce déprimés comme un relâchement des liens qui unissent entre eux les divers états de conscience d’où, pour le sujet, la sensation d’être mal relié au monde extérieur ou à son propre organisme physique et mental, d’être fragmenté, dissocié en morceaux séparés, à peine adhérents au reste de l’agrégat (Hesnand).

Dans la mélancolie, des altérations plus grandes et plus graves de la personnalité coenesthésique et consciente s’observent couramment : perte ou changement de la personnalité propre, dédoublement, transformation, possession diabolique, négation d’organes, négation de la vie. Les idées de négation d’organes, de transformation corporelle, d’absence de cerveau et de pensée, la conviction d’être mort, peuvent acquérir une grande intensité, s’accompagner d’énormités, réalisant ce que l’on appelle le syndrome de Cotard. Ce délire de négation peut prendre l’allure d’un véritable délire systématisé et être d’un pronostic grave.

Le délire hypocondriaque avec troubles de la coenesthésie doit être distingué des simples coenestopathies décrites par Dupré et Camus qui, pour être très vives à la conscience, et richement extériorisées par les propos et la mimique, aboutissent rarement à des interprétations délirantes et n’entament guère la personnalité.

On peut encore ranger dans ce dernier groupe des modifications coenesthésiques, toutes les perturbations du schéma corporel.

Ant. Porot et Th. Kammerer.

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« La croissance de la personnalité se fait à partir de l’inconscient. » (Carl Gustav Jung, 1875-1961. Psychologue suisse Image : © Megan Jorgensen.
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