Paludisme en psychiatrie
Les psychoses du paludisme ont vu leur autonomie affirmée d’abord en France par Régis et ses élèves, confirmée ensuite à l’occasion du paludisme d’Orient pendant la guerre 1914-1918 (Porot et Guttmann). Elles font aujourd’hui l’objet de nombreux travaux (. Thèse de Kammerer, Alger, 1942 et travaux de Gallay, Médecine tropicale, 1945). Leur fréquence a été estimée à 2% des paludéens par Tasmanik. Le parasite le plus souvent rencontré est le Plasmodium praecox (52%), puis le Plasmodiume vivax (32%), enfin le Plasmodium malariae (2%). À l’action directe du Plasmodium s’ajoutent la destruction massive des globules (psycho-anémies), l’insuffisance hépato-rénale fréquente traduite par une forte azotémie. À ces facteurs directs s’ajoutent souvent en pays endémiques et dans les armées en campagne la fatigue, de mauvaises conditions hygiéniques ou d’autres infections associées (dysenterie).
Caractères généraux : 1) Ces psychoses sont toujours, à de rares exceptions près, à début confusionnel. 2) L’élément stupeur confusionnelle, avec son ralentissement, son obtusion, domine de beaucoup l’élément onirique, lequel n’est souvent qu’intermittent ou éphémère. « Le malade dort plus qu’il ne rêve » (Hesnard). 3) Les formes traînantes et prolongées y sont particulièrement fréquentes, en rapport toujours avec un paludisme insuffisamment traité ou mal éteint. Il y a souvent association de petits signes neurologiques et d’une atteinte profonde de l’état général (anémie, amaigrissement).
Aspects cliniques : 1) Formes brèves. – Il y a des bouffées délirantes incluses en quelque sorte dans le cycle d’un accès et se dissipant avec lui. Chez de vieux paludéens, il peut y avoir de véritables accès d’automatisme mental totalement inconscients, avec ou sans fièvre, au cours desquels peuvent se produire des réactions insolites et dramatiques (fugues, meurtres, etc.).
Croyez-moi, il craint, il redoute la bataille générale. Son heure est sonnée. C’est moi qui vous le dis. (Tolstoï). Photo de Puerto Madero à Buenos Aires, Argentine, d’ElenaB.
Enfin, certains accès pernicieux peuvent prendre l’apparence d’un délire aigu hyperthermique avec ou sans convulsions et entraîner la mort.
2). Formes confusionnelles aiguës. – Elles accompagnent généralement un paludisme d’invasion et peuvent durer de quelques jours à quelques semaines; la confusion y domine, parfois surchargée d’un peu d’onirisme; chez les jeunes sujets, il y a souvent réaction méningée cytologiques ou clinique. Elles cèdent, généralement au traitement, mais si celui-ci a été insuffisant, l’accès confusionnel reparaîtra à chaque reprise (formes intermittentes pseudopériodiques).
3) Les accès confusomaniaques ou maniaque purs ne sont pas rares et durent alors de deux à quatre mois. Il en est de même pour les accès confusomélancoliques parfois rencontrés.
1) Formes traînantes et prolongées. – Outre les formes à rechutes signalées plus haut, on peut voir des états dépressifs traînants durant plusieurs mots, parfois teintés de mélancolie, quelquefois traversés de petits épisodes oniriques associés à des états d’asthénie physique et psychique; ils ne sont pas rares chez les coloniaux rapatriés, insuffisamment suivis et traités; ils posent souvent des problèmes d’aptitude et de réforme qui peuvent créer des injustices quand on n’est pas averti de leur réalité pathologique. D’autres fois, ce sont des troubles du caractère et de l’humeur pouvant susciter des actes d’indiscipline, des mésententes conjugales, des troubles de la sociabilité qu’on ne rapporte pas à leur vraie cause. Il s’agit cependant de formes non évolutives, encore curables par un traitement suffisant et suffisamment prolongé.
2) Formes associées neurologiques. – Outre l’état neurasthénique, on a pu signaler des cas de polynévrite associés aux désordres mentaux et réalisant le syndrome de Korsakoff (Hesnard), des pseudoparalysies générales réalisées par la conjonction des troubles mentaux et de dysarthrie, de tremblement, parfois de modification des réflexes.
3) Formes chroniques évolutives. – Kammerer les oppose aux formes traînantes mon évolutives. L’état confusionnel se prolonge sans redressement, sous une forme atténuée réalisant le type de confusion mentale chronique de Régis et Laurès. On a alors un tableau démentiel simple dans lequel dominent la perte de l’initiative, le ralentissement pragmatique, l’apathie affective. Parfois, l’état hallucinatoire se prolonge; une véritable désagrégation produit l’automatisme mental, générateur de délire d’influence, parfois de persécution et même d’érotomanie. Plus exceptionnellement, on peut assister à un véritable syndrome de dissociation schizophrénique. Ces séquelles définitives du paludisme, sans être très fréquentes, s’observent surtout chez des jeunes ou chez des sujets touchés par un paludisme prolongé au moment de l’involution présénile.
4) Encéphalopathies infantiles. – Le paludisme survenant dans la première enfance ou au début de la seconde, peut réaliser de véritables encéphalopathies infantiles amenant des arrêts de développement intellectuel, des convulsions, des signes en foyer (hémiplégie, diplégie). De Brun avait signalé autrefois un infantilisme paludéen dont plusieurs cas ont été présentés récemment par Aubry, d’Alger.
Psychoses thérapeutiques. – Dans ces dernières années, avec l’introduction de la chimiothérapie dans le traitement du paludisme, plusieurs auteurs ont constaté des psychoses manifestement dues à l’emploi de l’atébrine ou quinacrine, de la plasmoquine. Ces psychoses atébriniques généralement apyrétiques, se révèlent le plus souvent sous forme de petits accès d’agitation maniaque, parfois anxieuse, d’une durée de quelques jours, plus rarement de deux ou trois semaines, toujours curables, dont l’étude d’ensemble a été bien faite récemment par C. et M. Porot (Algérie médicale, 1948).
Paludothérapie et psychoses secondaires des paralytiques généraux. – L’introduction de la paludothérapie a provoqué, chez les paralytiques généraux traités, l’apparition d’aspects mentaux inaccoutumés (formes hallucinatoires chroniques, formes paranoïdes). On a beacoup discuté sur les pathogénie, certains auteurs pensant qu’elles sont un apport nouveau du paludisme (Leroy et Medakowich), d’autres pensent qu’elles correspondent à la transformation d’une syphilis anallergique en une syphilis tertiaire allergique dont on trouve d’autres manifestations coexistantes (Gertsmann, Claude, Guiraud, Dujardin, Heuyer).
Diagnostic et traitement : Si le diagnostic est aisé en milieu endémique, il n’est est plus de même dans la Métropole, spécialement chez des sujets rapatriés, ainsi que nous l’avons dit dans les formes traînantes. S’il y a tant de psychoses palustres prolongées, c’est qu’il y a trop de paludéens insuffisamment traités (Porot et Guttmann), d’où la nécessité d’une thérapeutique suffisante et suffisamment prolongée. La quinine n’a pas été détrônée par les autres médicaments; elle garde, avec sa suprématie, l’avantage d’une inocuité absolue sur le plan mental, mais il faut savoir la prescrire à doses suffisantes et suffisamment soutenues. Toutefois, l’introduction en ces derniers temps de nouveaux médicaments de synthèse (Paludrine, Chlorigane, Nivaquine), a donné des stérilisations rapides et définitives, sans qu’on ait signalé de petits désordres psychiques comme on en observe avec l’atébrine.
– En médecine légale, outre les injustices à éviter et dont nous avons parlé (réformes anticipées injustifiées), il faut se rappeler la très grande fréquence d’une syphilis ancienne et d’habitudes d’alcoolisme en association avec des antécédents paludéens (Dublineau); on ne s’en laissera pas imposer sans réserve par l’allégation fréquente que font certains inculpés d’un passé colonial et paludéen ancien.
Ant. Porot.
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