Onirisme en psychologie
L’onirisme est un mode d’activité mentale automatique fait de visions et de scènes animées, telles qu’en réalise le rêve.
À côté de l’onirisme de l’homme qui dort et rêve et que l’on pourrait dire normal (bien qu’il soit soumis à des influences physiologiques, fatigue, digestion), il existe toute une gamme d’onirismes, créés par des conditions pathologiques, organiques, toxiques ou infectieuses.
C’est Lasègue qui, le premier, a assimilé le délire des alcooliques à un rêve éveillé. Chaslin, par la suite, a montré l’association fréquente de ces délires de rêve à la confusion mentale dont il a créé l’autonomie. Mais il n’a pas manqué de souligner son indépendance possible. Régis, par la suite, a magistralement décrit le délire onirique avec ses deux faces confuse et délirante pouvant prédominer l’une sur l’autre, suivant les cas et souligné sur le plan étiologique la signification presque toujours infectieuse ou toxique de l’onirisme délirant. C’est le type de délire onirique toxique ou infectieux que nous décrirons d’abord, pour ensuite signaler quelques autres aspects de ce syndrome en pathologie mentale.
Conditions étiologiques
1. L’onirisme infectieux et toxique. – Le sujet atteint d’onirisme, non seulement assiste au déroulement de visions et de scènes irréelles, mais le plus souvent, il y participe comme un somnambule : les visions, tantôt élémentaires, tantôt organisées en scènes animées, empruntent leurs éléments à la vie professionnelle, à des préoccupations habituelles ou à des événements récents qui l’ont frappé. Ces visions ont souvent un caractère nettement hallucinatoire; une charge affective variable s’ajoute à elles, – état affectif le plus souvent pénible et anxieux, parfois terrifiant, imposant au sujet des réactions variables. Celui-là se contente d’extérioriser ses réactions par un simple bavardage plus ou moins cohérent, parfois aussi il joue et vit son rêve et ne se contente pas de le parler; il s’anime, gesticule, s’agite et peut présenter des réactions de peur, des impulsions à la fugue (Joffroy et Dupouy), des raptus pantophobiques, comme on les appelle.
Le délire onirique est généralement associé à la confusion mentale résultant de la dissolution plus ou moins complète de la conscience, émoussant la perception du réel. Si certains auteurs estiment que la confusion mentale est la condition nécessaire du délire onirique, pour d’autres cette interdépendance, fréquente dans la pratique, n’est cependant pas obligatoire et on a publié de belles observations de délire onirique sans perte de conscience ni amnésie consécutive (Chaslin, René Charpentier).
Dans les maladies infectieuses, le délire onirique se déroule suivant une gamme très étendue qui va qui des simples rêvasseries du soir avec marmottement se dissipant le matin jusqu’aux grandes manifestations de fugue et de suicide par défenestration, le sujet désorienté enjambant la fenêtre croyant passer par une porte pour fuir des ennemis imaginaires. On a même signalé des noyades et des crimes commis dans l’inconscience sous l’influence d’un raptus anxieux onirique.
C’est dans l’intoxication alcoolique que l’on trouve le délire onirique hallucinatoire le plus aigu et le plus tragique. La plupart des drames de l’alcoolisme se déroulent sous l’influence des scènes oniriques. On peut le retrouver dans toutes les intoxications.
Généralement, le délire onirique – qu’il soit infectieux ou toxique – s’apaise progressivement. Le réveil brusque est rare. Pendant la phase de réveil et de libération, il y a mélange du réel et de l’onirisme; puis une fois réincorporé au présent, le sujet a perdu tout souvenir des scènes oniriques qu’il a vécus (amnésie dite lacunaire).
Moins souvent, le délire onirique laisse des séquelles; les une transitoires, les autres plus durables. Des idées fixes postoniriques peuvent survivre dans l’esprit du malade qui’ ayant rêvé, par exemple, la mort d’un parent ou d’un ami, ou vécu un événement important, a besoin d’une démonstration concrète du contraire pour rectifier sa croyance (Régis, A. Delmas).
Ces idées fixes postoniriques peuvent amorcer de véritables délires secondaires postoniriques d’apparence systématisée, tels certains délires postinfectieux se prolongeant pendant quelques jours ou quelques semaines dans la convalescence et se dissolvant seuls aisément; tels aussi certains délires de jalousie, de persécution, d’autoaccusation chez les alcooliques, germés dans l’onirisme et susceptibles de durer plusieurs mois ou même plusieurs années.
Plus rarement, le délire onirique apparemment éteint, peut reparaître à l’occasion d’une cause identique (délires reviviscents ou à éclipses).
Les délires oniriques prolongés et à forte charge anxieuse peuvent entraîner un certain degré de fléchissement intellectuel ou de dissociation mentale, des troubles de l’émotivité et du caractère.
Nous renvoyons aux diverses rubriques concernant les maladies infectieuses, les intoxications, l’alcoolisme, la confusion mentale, pour les différents aspects de ces onirismes délirants.
2. À côté de ces grandes formes d’onirisme agité et vécu, d’origine toxi-infectieuse, il existe des formes plus discrètes où l’élément hallucinatoire existe seul et à l’état pur, le sujet assistant passivement comme un témoin neutre au déclenchement des scènes qui passent devant ses yeux.
C’est le cas de l’onirisme hypnagogique survenant au moment de l’endormissement de certaines hallucinations pures, en particulier, de l’hallucinose pédonculaire des visions de la mescaline, des rêveries imagées de certaines toxicomanies (opium, haschich) – toutes manifestations étudiées par ailleurs.
3. On peut voir aussi l’onirisme apparaître chaque fois qu’il y a une dissolution plus ou moins complète de la conscience, sous l’influence d’un processus biodynamique quelconque. C’est le cas, en particulier, de certains chocs émotifs ou affectifs violents susceptibles d’amener le désarroi dans la conscience et de déclencher une bouffée délirante onirique. C’est le cas aussi de certains paroxysmes anxieux. Mais c’est surtout le fait des accidents épileptiques ou de certains états crépusculaires rattachables soit à l’épilepsie, soit à l’hystérie. C’est dissolutions de la conscience facilitent la production d’images et de complexes subconscients et d’automatismes inférieures plus ou moins coordonnées pouvant aboutir à des actes propulsifs, à des fugues, voire à des réactions violentes ou dramatiques.
Mentionnons aussi la possibilité de voir des bouffées délirantes oniriques de quelques heures ou de quelques jours chez des malades frappés d’ischémie circulatoire cérébrale accidentelle (spasmes, grandes hémorragies) ou de désordres circulatoires plus sérieux (hémorragies, ramollissement), consécutifs à l’artério-sclérose).
Enfin, chez certains séniles, l’agitation nocturne est parfois commandée par un onirisme plus ou moins fruste et mal formulé.
Diagnostic. – Le diagnostic de l’onirisme est généralement aisé sous ses différents aspects d’hallucinose pure ou de délire animé. Il y a cependant, à la frontière de l’onirisme quelques états dont on doit le différencier :
a) On ne confondra pas le délire onirique avec le délire d’imagination tel que l’a décrit Dupré, dans lequel le sujet, conscient, présent et orienté, étale à froid les produits de sa fabulation, invente des récits et des situations imaginaires dont il est généralement le centre, le personnage principal, intéressé et avantageux (fabulation des jeunes mythomanes).
b) Il y a à côté des états oniriques vrais, des états oniroïdes caractérisés par l’intrusion dans la pensée « vigile » d’états de rêverie particuliers.
c) La rêverie à laquelle s’abandonnent volontiers certains sujets n’est souvent qu’une forme d’évasion mentale, mais qui est conscient et, généralement, réductible par la reprise de contact avec la réalité. Si elle ne l’est pas, comme cela se passe dans certaines dissociations schizophréniques, on se trouve en présence d’un cas particulier des états oniroïdes.
Ant. Porot.

États oniroïdes
On désigne sous ce nom « l’infiltration des constructions du rêve dans la pensée vigile (H. Ey et Rouart).
Tout en partant de l’ambiance et du monde environnant, le sujet se livre à certaines rêveries et vient greffer sur le réel qui l’entoure une véritable « fiction vécue », qui va troubler son affectivité et son comportement, proliférer plus ou moins dans sa conscience, alors qu’il garde cependant sa lucidité et son orientation.
Suivant l’expression de H. Ey, il se produit « une véritable osmose du subjectif et de l’objectif ». Le même auteur souligne la résonance inaccoutumée que prend le monde, sa signification tragique ou comique, chaque objet, chaque personne se doublant d’une fiction qui le métamorphose. « L’ambiguïté de cette forme de conscience qui sévit, étrangère à elle-même, et est encore elle-même, entraîne des imprécisions constantes de mystère, d’énigme, d’artifice et de glissement vers les grands mythes qui expriment à la fois la catastrophe, l’ineffable et la fantastique évanescence du temps et du monde.
L’un des caractères les plus typiques des états oniroïdes est l’organisation possible et durables des souvenirs du délire.
Le comportement du sujet et ses réactions vont traduire cette intrusion d’éléments morbides et, suivant l’organisation structurale sous-jacente on observera des formes anxieuses, expansives et imaginaires et des formes avec syndrome de dépersonnalisation ou d’interprétation.