
Mythomanie
En 1905, Dupré créa le terme de mythomanie pour désigner la tendance constitutionnelle présentée par certains sujets à altérer la vérité, à mentir, à créer des fables imaginaires (fabulation), enfin à simuler des états organiques anormaux (simulation). Il en a donné une description à laquelle il n’y a rien à ajouter et qui a fait une rapide fortune pleinement justifiée. Cette disposition peut être héréditaire et familiale et l’on a pu signaler des cas touchant cinq générations (Brousseau). Notons enfin que la mythomanie est plus fréquente dans le sexe féminin.
1. Mythomanie chez l’enfant. – Il existe chez l’enfant une activité mythique que l’on pourrait dire physiologique, dont Dupré avait bien indiqué la gradation : d’abord la simple altération de la vérité due à son inexpérience psychosenorielle, au caractère encore embryonnaire de son sens critique et de son jugement, à la suractivité de son imagination créatrice, à son goût du merveilleux et des légendes ; il faut y ajouter pour une bonne part aussi les suggestions et les récits venus de l’extérieur : le mensonge, qui est un aspect plus marqué de cette activité mythique, une création de l’autosuggestion consolidée par la répétition.
En étudiant le mensonge, on peut faire allusion à une remarquable étude de J.-M. Sutter sur le mensonge chez l’enfant et les différentes types que l’on peut y observer : « pseudomensonge » du tout jeune enfant, mensonge social, mensonge pathologique, et un type réactionnel spécial, qu’il a appelé le « mensonge-névrose ». Plus rarement, l’enfant se laisse aller à la simulation pour retenir sur lui la sympathie et la bienveillance de son entourage. Il existe enfin des fabulations complètes ; l’enfant, sous l’influence d’une lecture, d’un récit entendu, forge tout un roman dont il est le personnage principal et s’y complait jusqu’à ce que la mise au point de l’entourage dissipe cette rêverie imagée.
Il est intéressant de rapprocher cette activité mythique de l’enfant de celle observée chez les primitifs très attachés à leurs légendes, à leurs superstitions, à leurs rites et à leurs mythes. On peut expliquer, de la même manière, certains traits souvent signalés dans la mentalité des indigènes des peuples au niveau des sociétés primitives : déformation de la vérité, aptitude au mensonge, simulation, que leur esprit à la fois crédule et utilitaire leur suggère.
À mesure que l’enfant grandit, prend un meilleur contact avec les réalités et développe ses facultés de jugement et de critique, l’activité mythique se ralentit, l’imagination se discipline pour des fins créatrices et utiles.
II. Mythomanie chez l’adulte : – Mais il est de jeunes sujets chez lesquels elle ne s’endigue pas ; elle continue son activité exubérante et peut avoir alors des répercussions sociales gênantes et parfois dangereuses. Elle s’associe souvent à d’autres déséquilibres psychiques. Chez ces déséquilibrés, même doués d’intelligence, il y a presque toujours une certaine faiblesse de la réflexion et du jugement et cela aussi bien chez l’adulte que chez l’adolescent.
– Le mythomane, ainsi que l’a fait remarquer J. M. Sutter, met au service de son activité imaginative toutes les ressources, normales ou pathologiques, de sa personnalité, aussi bien que toutes les occasions offertes par les circonstances. Le même auteur souligne que le mythomane adapte constamment la teneur de ses récits à la qualité de son auditoire, qu’il sous-estime pourtant presque toujours.
III. Formes cliniques. – On peut distinguer chez l’enfant comme chez l’adulte, d’après les associations morbides, 3 types principaux de mythomanie (Dupré).
1) La mythomanie vaniteuse. – Les types les plus bénins, en sont le fanfaron et le hâbleur (Tartarin de Daudet). Certains de ces mythomanes se vantent à tout propos de relations distinguées ou d’appartenance mystérieuse. J. M. Sutter a décrit quelques types originaux : les « fanfarons de la réforme » qui, « éliminés de l’armée pour des tares physiques ou psychiques et ne voulant pas les avouer à leur entourage, se vantent d’avoir habilement trompé les experts en simulant quelque maladie » (cette description est valide pour la conscription) ; puis ceux qui, dans la vie prosaïque « ne trouvant pas l’occasion escomptée de rencontrer un jour des périls distingués et des gloires de légende, compensaient cette déconvenue en recréant la réalité à l’image de le leurs désirs ».
Cette mythomanie vaniteuse, fréquente chez les débiles mentaux, n’a pas d’autre inconvénient que de faire sourire et de discréditer ces trop avantageux personnages, mais elle peut – dans certaines circonstances – suggérer des histoires d’auto-accusation, d’insinuation, de pseudo-attentats, d’automutilations. Toutes ces manifestations confinent à l’hystérie et à la simulation qui ont si souvent – comme la mythomanie – un dénominateur commun : la vanité.
2) La mythomanie maligne. – Elle va de la simple malice jusqu’aux formes de la férocité la plus acharnée. Arme de choix des femmes et des enfants pour satisfaire leurs instincts, leur besoin de défense, cette forme revêt toutes les variétés et présente dans sa virulence une gradation ascendante : médisance, écrits mensongers, lettres anonymes, dénonciations souvent inspirées par la haine, la jalousie, la vengeance. La plus curieuse de ces formes de mythomanie maligne est l’hétéro-accusation génitale (viols, attentats à la pudeur).
3) La mythomanie perverse. – La perversité s’associe souvent à la vanité et à la malignité. L’activité mythique est ici mise au service de tendances vicieuses, de perversions instinctives ou d’appétits morbides (cupidité, lubricité), elle représente alors une arme de guerre d’autant plus dangereuse que le malade est plus intelligent. À ces formes principales, Dupré ajoutait la mythomanie errante dans laquelle s’associent à l’activité mythique la versatilité mentales, l’aboulie, l’appétit du changement, l’excitation locomotrice (fables en marche). Certaines fugues d’enfants mythomanes rentrent dans ce groupe. Très souvent, le mythomane mystificateur ou accusateur trouve des oreilles complaisantes et devient le centre de toute une suggestion collective à grand rayonnement.
La mythomanie peut parfois être accidentelle ou épisodique. Sous sa forme de disposition permanente, elle subit l’influence des circonstances et certains grands événements, comme la guerre, ont pu réactiver ces dispositions latentes.
Les formes soutenues de la mythomanie peuvent donner naissance à des récits plus ou moins cohérents : c’est la fabulation. Quand celle-ci s’organise en un système permanent et durable, et règle tout le comportement de l’individu, c’est le délire d’imagination.

Poupées jamaïcaines. Photo : GrandQuebec.com.
IV. – Nature de la mythomanie. – Dupré faisait reposer la mythomanie sur 3 éléments, l’émotivité, l’exaltation des facultés imaginatives et la suggestibilité. Minkowsky (XLIXe Congrès des Méd. Al. et neurol. de France et des Pays de Langue française, Rennes , 1951) est revenu récemment sur ce problème. Il rattache la mythomanie à la « notion d’inconsistance » que l’on doit à P. Janet. Aujourd’hui, dit-il, « nous donnons la préférence à des notions globales ; celle d’inconsistance trouve ici sa place ». L’exaltation des facultés imaginaires, en particulier, connaîtra quelques restrictions. Il existe sans doute des mythomanies fantastiques, comme il existe des délires fantastiques. Elles ne font pas le tout de la mythomanie. Le mythomane « raconte des histoires » au sens courant du terme comme un autre, d’après sa nature, « fait des manières », l’un et l’autre s’écartant soit de la consistance, soit de la simplicité foncière de la vie. Ces « histoires » doivent frapper l’imagination d’autrui, plus qu’elles ne reposent nécessairement sur une riche activité imaginaire de l’individu lui-même. Secondairement, elles deviennent calomnieuses, vaniteuses, auto-accusatrices aussi parfois. Dans leur structure propres, elles sont et peuvent fort bien aller de pair avec une imagination relativement pauvre.
« La mythomanie fait partie d’un tout : elle vient s’intégrer à un ensemble, à une structure et en procède. Inconsistance et indigence intérieures – et la suggestibilité n’est est qu’un signe – semblent indiquer les caractères essentiels. Dans beaucoup de cas, la mythomanie se situe bien plus près de la motricité désordonnée et du début verbal que celle-ci englobe que d’une véritable activité imaginaire et encore moins, du réel désir de mentir ou d’induire autrui en erreur. Et il ajoute : « Le terme de Dupré, impulsion narrative, terme peu cité ultérieurement à notre connaissance, nous paraît excellent. Il rattache la mythomanie à la narration et rejoint pour là les vues de P. Janet ».
V. – Conduite à tenir. – On ne saurait trop se méfier des tendances mythopathiques de l’enfant qu’il faut surveiller attentivement et détecter précocement ; il ne faut surtout pas les alimenter par des récits extraordinaires, des lectures ou des représentations cinématographiques dangereuses (romans policiers, films de gangsters, etc.). Les entreprises de cinéma éducateur devraient satisfaire sans l’exaspérer la curiosité de ces jeunes esprits. Il convient également de redresser les tendances vaniteuses ou perverses que certains enfants mettent au service de leur imagination. Les situations médico-légales, souvent délicates, créées par les mythomanes doivent également être étudiées.
Ant. Porot
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Qui as ecrit cette article merci ?
Drôle de question. En fait, l’article est signé.