La mimique et la psychiatrie
La mimique est l’ensemble des jeux de physionomie, des attitudes et des gestes par lesquels nous traduisons nos états affectifs ou soulignons les propos qui expriment nos pensées.
Si le langage parlé représente le mode le plus parfait et le plus évolué des moyens de communication avec nos semblables, il peut être remplacé dans certaines circonstances par un langage purement physionomique et gestuel : c’est le cas des sujets privés de la parole (muets, sourd-muets, aphasiques), des étrangers ne parlant pas la langue d’un pays ; c’est enfin par leurs ressources mimiques que certains acteurs arrivent à donner à des rôles muets une signification souvent saisissante. Tout en suivant fidèlement le langage qu’elle accompagne, la mimique se fait de plus en plus discrète à mesure que l’homme se civilise ; par contre, on dit souvent de certains peuples primitifs qu’ils « parlent avec leurs mains » ; Dromard, à qui nous devons une excellente étude sur La mimique chez les aliénés (1909), distinguait : 1) Une mimique émotive, involontaire et réflexe correspondant à des centres sous-corticaux ; 2) Une mimique idéative, volontaire, soumise à l’influence des centres corticaux.
Cette distinction reste valable, étant entendu qu’il y a souvent des interférences et des conjonctions entre ces deux pôles, comme l’admettait déjà cet auteur. A mesure que l’homme augmente la maîtrise de soi, il discipline davantage sa mimique inférieure et réflexe.
Il n’est guère de perturbation mentale, minime ou grave, passagère ou durable, qui ne se reflète dans la physionomie ou l’attitude du sujet troublé. Esquirol en avait le premier souligné l’intérêt.
– Sémiologie des troubles de la mimique. – Elle est riche et étendue. On trouvera, à propos de chaque affection mentale, les désordres mimiques qui l’expriment. Nous nous bornerons ici à un essai de groupement synthétique de ces troubles de la mimique en les envisageant au point de vue de leur intensité (mimiques exagérées et mimiques appauvries), de leur congruence et de leur concordance avec l’état mental sous-jacent (mimiques discordantes et inadaptées).
1) Mimiques exagérées (hypermimies)
Elles peuvent traduire un état général d’excitation, reflétant le ton ou l’humeur de l’exaltation en cause ou être polarisées sur un sentiment dominant ou une idée prévalente.
a) Exaltations mimiques généralisées. – Citons l’hypermimie des maniaques, généralement euphorique et joviale, narquoise et ironique, volontiers familière et débraillée. Toujours mobile et changeante à l’extrême. Au plus fort de l’accès, elle devient parfois totalement incohérente : dans certaines formes, elle peut devenir coléreuse et violente.
Tous les états d’excitation, quelle que soit leur nature, comportent une mimique adéquate à la situation mentale du sujet.
Rappelons aussi les mimiques si expressives des confus délirants oniriques, vivant leurs rêves hallucinatoires et leurs illusions et les traduisant par une mimique anxieuse ou terrifiée.
Les déments agités, les paralytiques généraux se signalent souvent par une mimique de turbulence excessive, mais souvent vide de signification logique.
b) Mimiques polarisées. – Ce sont celles qui expriment un état affectif ou passionnel déterminé : colère, haine ou qui se trouvent centrées sur une idée délirante systématisée.
La peur, à tous ses degrés (peur, effroi, terreur), s’extériorise par une gamme de réactions mimiques, qui va de l’immobilisation avec pâleur jusqu’à la fuite éperdue.
L’inquiétude, l’anxiété, l’angoisse se trahissent sur le visage par le regard anxieux, l’immobilité motrice, des mouvements parasites.
La grande agitation anxieuse réalisé un tableau bien spécial avec son tremblement, ses crispations, ses autolacérations, ses raptus impulsifs.
Les mimiques de colère et de fureur retiennent immédiatement l’attention. La fureur épileptique se caractérise par sa violence inouïe, son incoercibilité.
Dans la psychose hallucinatoire chronique, on voit parfois le sujet contrarié tendre l’oreille aux voix qui le harcèlent ou marmotter des ripostes aux interrogations qui l’assaillent et parfois aussi se livrer et parfois aussi se livrer à des gestes conjuratoires pleins de signification.
Les mystiques, au regard inspiré, ont parfois des attitudes d’extase ou de ravissement bien symptomatiques. Les mégalomanes traduisent par leur port altier, ou leur accoutrement la haute conception qu’ils ont de leur personnalité. Quant au paranoïaque, son attitude hautaine et méprisante décèle d’orgueil foncier qui anime son comportement ; un silence dédaigneux est parfois la seule attitude qu’il croit devoir prendre vis-à-vis du médecin qui l’interroge.
2) Mimiques appauvries et négatives (hypomimies)
a) Citons dans cet ordre d’idées toutes les mimiques qui traduisent des états d’inhibition, depuis le simple saisissement émotif jusqu’aux grand états de stupeur. La stupeur des confus se caractérise par l’air d’égarement, l’inertie du masque l’œil éteint, à moins que n’y passent des visions oniriques hallucinatoires.
La stupeur catatonique est bien caractéristique avec son hypertonie, sa rigidité, ses attitudes parfois paradoxales, sa flexibilité cireuse ou son opposition.
La stupeur mélancolique se reconnaît dans les formes purement dépressives, par l’inertie, l’effondrement et l’immobilité sur place, la tête inclinée et le regard à terre, les bras repliés. Dans les formes anxieuses et délirantes de la mélancolie, la douleur morale et la concentration d’esprit se lisent sur le visage du malade.
D’une façon générale, les états dépressifs quelle qu’en soit la nature, se traduisent par un ralentissement mimique, une pauvreté de gestes, un aspect de lassitude propres à ces états.
Le négativisme a une silhouette mimique bien particulière, avec ses attitudes de refus et d’opposition si spéciales.
Parmi les mimiques déficitaires, signalons encore celle si frappante des idiots avec, parfois, leurs stigmates endocriniens ou morphologiques, celle des déments organiques à l’œil atone, à l’inertie motrice dans les formes apathiques. Certains déments turbulents peuvent en imposer par une agitation automatique, mais qui prend souvent le caractère de stéréotypie monotones et à court rayon.
La stéréotypie est, en effet, une forme appauvrie de mimique qui a perdu son contenu idéo-affectif et n’est plus qu’un résidu vide de sens. Elle peut se rencontrer aussi chez de vieux délirants chroniques.
Rappelons enfin que les troubles de l’expression mimique font fréquemment partie des syndromes sous-corticaux : regard fixe, visage atone et attitude figée du parkinsonien, décharges de rire et de pleurer spasmodique sur la figure habituellement inexpressive des pseudobulbaires.
3) Mimiques discordantes et inadaptées (paramimies).
L’accord doit régner entre tous les éléments composants d’une mimique pour qu’elle soit harmonieuse et expressive. D’autre part, il doit y avoir correspondance exacte entre l’état psychique réel et les attitudes expressives. Quand la première de ces conditions n’est pas réalisée, les fausses notes créent des mimiques désaccordées ou discordantes. Quand il y a désaccord entre la mimique et le fond mental réel, il s’agit de mimiques d’emprunt (dues au pithiatisme ou à la simulation).
a) Rappelons d’abord les mimiques désadaptées des apraxiques, des agnosiques et des aphasiques.
b) La grimace n’est souvent qu’une fausse note sur le clavier mimique ; on sait tout le parti qu’en tirent certains clowns ou certains comiques pour déclencher l’hilarité des spectateurs.
Certains tics, certains spasmes peuvent prêter à celui qui en est affligé des apparences d’attitude mentale qu’il n’a pas en réalité (clignement d’yeux, tics de dénégation, de haussement d’épaules, etc.). Pareillement, les grimaces ou les gestes désordonnés des choréiques ne traduisent que des mouvements involontaires, sans représentation mentale.
c) Mais il est des discordances mimiques plus sérieuses et plus profondes dans leur signification : ce sont celles que l’on rencontre si fréquemment chez les déments précoces et les schizophrènes ; elles se réduisent parfois à un simple maniérisme ou à des gestes singuliers dont la signification symbolique échappe à première vue ; ce sont, d’autres fois, des expressions asymétriques de la physionomie, chaque hémiface se fixant dans une expression différente ou des attitudes paradoxales ou caricaturales, indéfiniment persévérées ; enfin, des stéréotypies de gestes n’y sont pas rares. L’hypertonie entre souvent en jeu pour entretenir ces fixations d’attitudes, dont la catatonie est l’expression la plus marquante.
d) Non moins importantes et non moins intéressantes sont les mimiques d’emprunt, car elles posent à l’observateur et parfois au médecin légiste le problème toujours délicat de la bonne foi et de la sincérité.
1) Rappelons simplement que l’hystérique se livre volontiers dans ses manifestations à un « théâtralisme » toujours spectaculaire : puérilisme mimique, attitudes passionelles, attaques cataleptoïdes, convulsions désordonnées ou, au contraire, attitudes extatiques ; dans ses aspects neurologiques, il prend des attitudes de blocage total ou partiel : inertie, léthargie ou paralysies diverses, mutisme, etc.
Chez certains débiles, le pithiatisme peut inspirer des attitudes grossières et caricaturales que A. Porot et A. Hesnard avaient bien étudiées et soulignées à l’occasion de la guerre de 1914-1918, sous le nom de Syndromes expressionnels d’inertie et de stupeur.
2) C’est dans la simulation que le désaccord est le plus flagrant entre l’expression mimique et la réalité psychique, puisque le sujet cherche délibérément à donner le change à l’observateur. Ce problème et ses aspects sont étudiés ailleurs.
3) Signalons en terminant le curieux phénomène de l’échomimie ou échokinésie : certains sujets reproduisent instantanément et de façon réflexe toutes les attitudes, tous les gestes, même les plus extravagants que l’on exécute devant eux.
Ant. Porot.
Échomimie, Échopraxie, Échokinésie
Ce syndrome consiste dans l’imitation des jeux de physionomie, des gestes et des mouvements d’autrui, imitation qui se réalise d’une manière immédiate avec la brusquerie et la promptitude d’une activité réflexe (Dromard). On le rencontre surtout chez des sujets particulièrement suggestibles : des débiles mentaux, des êtres primitifs, parfois chez des affaiblis intellectuels ou des déments.
Chez les premiers, il est volontiers cultivé et développé par la curiosité et l’amusement qu’il provoque. Il a été signalé à l’état contagieux en différents pays du monde où ce curieux syndrome prend des noms différents : jumping (province américaine du Maine); myriachit (Sybérie) ; schaffrunkenheit (Allemagne) ; amok ou latah (Malasie) ; malimali des Tagals, baktchis (Siam). En Afrique du Nord, des cas analogues ont été signalés, parfois en série, chez les adaptes de certaines confréries religieuses, les Alssaouas en particulier (J. Lévi, A. Porot).
Voir aussi :
