
Mémoire et amnésies
Il y a fait de mémoire chaque fois que le comportement actuel d’un individu s’ordonne en fonction d’une expérience antérieurement vécue. En pratique psychiatrique cependant, comme d’ailleurs dans l’œuvre de Pierre Janet, le terme de mémoire a généralement une conception plus limitée. Ce terme désigne la reconnaissance ou l’évocation spontanée des souvenirs.
Les insuffisances pathologiques de mémoire sont nommées amnésies. Lorsque l’évocation des souvenirs n’est pas complétement impossible, mais seulement pénible ou imparfaite, on emploie souvent le terme de dysmnésies.
Rappel psychologique. – Les faits dits de mémoire, s’ils présentent, quant à leur résultat, une certaine parenté sont en réalité disparates. L’application des tests à l’exploration intellectuelle a bien montré la complexité du problème mémoire immédiate et mémoire différée, mémoire des sons, des images, des contacts, mémoire des chiffres, mémoire des mots, mémoire des situations ou des événements se comportant comme autant de fonctions quasi indépendantes.
Divers essais de synthèse ont tenté de regrouper ces faits sous un petit nombre de rubriques. Avec Dwelshauwers, par exemple, dont la position est représentative de la psychologie traditionnelle, on en peut reconnaitre cinq. Les faits les plus élémentaires que l’on retrouve jusque chez les êtres inférieurs (Piéron) ne sont que de simples répétitions mécaniques. L’habitude est déjà beaucoup plus complexe et différenciée, mais elle reste essentiellement passive et automatique.
Avec la mémoire associative apparait une première intervention de la personnalité psychologique et souvent même une intentionnalité, telle association étant choisie parmi d’autres également possibles.
La mémoire évocative utilise, cette fois systématiquement, le processus de sélection volontaire : l’évocation est recherchée et obtenue en fonction des données de la situation présente.
La mémoire réfléchie ou réflective représente la variété la plus hautement intellectualisée des processus mnésiques. Elle utilise les formes précédentes au service d’un effort créateur.
Existe-il enfin une « mémoire affective »? Certains psychologue l’admettent ; d’autres le nient : s’il est certain, en effet, que l’évocation d’un souvenir tend à reproduire l’état affectif qui avait accompagné l’expérience initiale, il est difficile d’affirmer que cet état affectif peut être remémoré en soi indépendamment de tout contenu idéique.
Avec J. Delay, on peut aussi grouper les faits de mémoire selon 3 plans qui, pour cet auteur, représentent 3 niveaux d’évocation de la fonction mnésique, hiérarchiquement superposés et que la maladie peut mettre successivement à découvert selon le degré de dissolution qu’elle réalise.
- La mémoire sensoriomotrice, commune aux hommes et aux animaux, régie par les lois d’habitude concerne des souvenirs élémentaires de sensations et de mouvements ; ces souvenirs ne sont pas ordonnés chronologiquement, ni repérés par rapport aux autres éléments de la personnalité.
- La mémoire autistique, qui est celle des rêves et des délires, obéit aux lois du dynamisme inconscient; elle est « personnelle », mais dépourvue d’organisation chronologique et de références sociales. Elle contracte des rapports étroits avec l’affectivité.
- La mémoire sociale est caractérisée par la « conduit du récit » (P. Janet). Elle implique un ordre rationnel et une conception sociale du temps ; elle est inséparable des catégories logiques.
Cette distinction, si elle répond à une réalité psychologique, a de plus le mérite de s’accommoder avec les notions biopsychologiques actuellement admises ; la mémoire sensoriomotrice paraît liée de façon assez étroite au fonctionnement des centres corticaux voisins des zones sensorielles, sensitives et motrices ; la mémoire autistique, instinctivo-affective, semble en relation plus particulière avec les appareils complexes de la région sous-thalamique ; les formes mnésiques les plus intellectualisées enfin sont beaucoup moins intégrées dans les fonctions de la vie de relation et les hypothèses tendant à les « localiser », par exemple, au niveau des lobes frontaux ou de la région basilaire, n’ont reçu jusqu’à présent aucune vérification probante.
Il faut également souligner que la fonction mnésique est étroitement solidaire de la vie psychobiologique tout entière. Elle contracte en particulier d’importantes relations avec les fonctions motrices : nombre d’évocations sont impossibles sans un mouvement au moins ébauché (mouvement des globes oculaires pour un souvenir visuel). Quant à l’effectivité, les découvertes nées de la psychanalyse ont montré que son rôle est encore plus considérable qu’on ne l’avait cru et s’étend à presque tous les phénomènes mnésiques.
Les diverses variétés d’amnésie. – D’un point de vue uniquement descriptif, on distingue :
- Les amnésies antérogrades, dans lesquelles sont oubliés les événements de la vie passée antérieurs à la maladie.
- Les amnésies rétrogrades, dans lesquelles sont oubliés les événements de la vie passée antérieurs à la maladie.
- Ces diverses amnésies peuvent être partielles ou totales, selon qu’elles intéressent seulement certaines catégories de souvenirs (oubli d’une longue, d’une technique, d’un personnage, etc.), ou au contraire tous les souvenirs sans distinction.
D’après le mécanisme psychologique, d’autre part, on a suivant les cas :
- Amnésies de fixation, si les événements vécus paraissent ne pas avoir laissé de trace dans la mémoire. En réalité, cette trace existe (Bergson a montré que l’oubli total n’existe pour ainsi dire pas), mais dépourvue des rapports logiques et des repères chronologiques qui en feraient un souvenir socialement utilisable; c’est une amnésie d’intégration ou de mémoration (J. Delay).
- Amnésie d’évocation, lorsque le souvenir ayant été normalement « mémoré » ne peut être appelé en temps voulu dans le champs de la conscience; un cas particulier dans ce groupe est celui des amnésies dites psychiques : ici un mécanisme inconscient de défense s’oppose à l’évocation d’un souvenir qui ne saurait être rappelé sans un sentiment pénible (anxiété).
- Amnésie de conservation, quand le souvenir d’abord normal s’efface irrémédiablement : en réalité, on pense plutôt aujourd’hui que ces cas ressortissent aux deux catégories précédentes.
- Enfin, J. Delay a groupé sous le nom d’amnésies neurologiques les aphasies (oubli du langage), les apraxies (oubli des gestes) et les agnosies (oubli des perceptions).
Les amnésies en clinique psychiatrique. – Il n’est aucune affection psychiatrique qui ne marque son action sur la fonction mnésique. Nous n’envisageons ici que les faits les plus typiques et les plus importants.
Dans la confusion mentale, l’obtusion intellectuelle se traduit mentale dans le domaine de la mémoire par la lenteur, l’imprécision et la pauvreté des évocations. L’amnésie est particulièrement marquée dans cette forme de confusion qu’est le syndrome de Korsakoff ou psychose polynévritique : le malade semble tenter de la compenser par une fabulation plus ou moins vraisemblable ou fantaisiste suivant les cas. Mais surtout, la confusion mentale laisse presque toujours après soi une amnésie lacunaire : les souvenirs correspondant à la période active de la maladie sont complètement abolis, ou plus souvent, ils persistent sous un aspect fragmentaire, échappant aux lois de la chronologie et de la pensée sociale. Les paroxysmes psychiques de l’épilepsie provoquent presque toujours une telle lacune : on a pu voir certains sujets tenter de la combler par des souvenirs imaginaires (Féré).
Dans la schizophrénie, les formes élémentaires de la mémoire paraissent intactes, voire exaltées ; l’organisation autiste de la personnalité et la dissociation psychique affectent par contre gravement la « conduite du récit ».
Les démences séniles et préséniles sont, avant tout, caractérisées par une amnésie d’évocation d’un type assez particulaire : c’est ici que se vérifie la loi de Rirot, selon laquelle les souvenirs les plus anciens résistent le plus longtemps : de tels malades peuvent faire sans défaillance le récit détaillé d’un événement survenu pendant leur jeunesse, alors qu’ils oublient des faits récents beaucoup plus importants. Les psychotechniciens utilisent cette bonne conservation des acquisitions les plus anciennes (en particulier du vocabulaire), pour juger du niveau qu’avait atteint la « personnalité prépsychotique » et mesurer ainsi l’importance de la « détérioration mentale » (Weschler, Pichot). Il faut encore souligner, à propos surtout des démences préséniles (maladies de Pick et d’Alzheimer), la fréquence des « amnésies neurologiques » (Delay), c’est-à-dire des éléments aphasiques se superposant à l’amnésie proprement dite. Dans la presbyophrénie, comme dans la psychose de Korsakoff, avec laquelle elle a plus d’un trait commun, on note une amnésie particulièrement marquée avec fabulation compensatoire.
Les amnésies dites psychogènes s’observent surtout au cours d’un état névrotique et des psychonévroses d’origine émotive. Elles peuvent être lacunaires et l’on doit signaler à ce propos la fréquence des amnésies infantiles prolongées (un sujet adulte ne conserve aucun souvenir, par exemple des huit ou dix premières années de sa vie), qui témoignent toujours de mauvaises conditions éducatives.
Parfois le malade a oublié tout le passé, y compris son identité. Au contraire, l’oubli peut porter sur un ensemble restreint de faits ou de notions, parfois sur un souvenir isolé. L’apparition brutale de ces amnésies qui sont d’ailleurs toujours capables de cesser aussi rapidement qu’elles s’étaient installées, leur aspect outrancier ou paradoxal, la coexistence d’autres symptômes névrotiques permettant, le plus souvent, de les reconnaître. Mais leur caractère le plus important est d’apparaître à l’analyse psychologique (que l’on devra souvent conduire sous subnarcose) comme apportant une solution au moins provisoire à des difficultés vitales que le malade se sentait incapable de surmonter. L’amnésie psychogène apparaît ainsi comme un mécanisme de défense contre l’anxiété.
Problèmes thérapeutiques et médico-légaux. – Le traitement d’une amnésie se confond, en général, avec celui de l’état psychopathique dont elle fait partie. Cependant, dans certains états névrotiques, l’amnésie revêt une telle importance, qu’elle semble constituer à elle seule toute la maladie ; d’autres fois, elle masque la localisation d’un affect dont la connaissance est essentielle à l’action psychothérapeutique ; dans tous ces cas, on doit attaquer l’amnésie par les voies de la psychologie, en s’efforçant de multiplier les associations dont le jeu ramènera à la conscience les souvenirs oubliés ; ce travail est grandement facilité par la subnarcose chimique.
Parfois en particulier dans les amnésies dites neurologiques, il faut procéder à une véritable rééducation, à un nouvel apprentissage des notions oubliées, différent dans ses méthodes et dans son évolution de l’apprentissage primitif.
Mais l’amnésie est souvent un symptôme que l’on doit traiter, elle semble, d’autres fois, jouer un rôle important dans la thérapeutique ; à cet égard, on ne peut manquer de noter que l’électrochoc, le coma insulinique, le choc cardiazolique, le choc acétylcholinique, la cure de sommeil, la plupart des interventions de psychochirurgie, et à moindre degré la subnarcose chimique, et même les chocs thermiques, sont tous suivis d’une amnésie lacunaire plus ou moins importance en durée ; il est à penser que la thérapeutique de « dissolution-reconstruction » (Delmas-Marsalet) trouve dans cette rupture, dans cette interruption de l’évolution morbide, l’une des conditions à tout le moins de son efficacité.
En matière d’expertise médico-légale, la constatation d’une amnésie lacunaire peut être un argument de poids en faveur d’un diagnostic de confusion mentale, toxicinfectieuse, traumatique ou épileptique. Mais il faut se rappeler d’existence des amnésies d’origine affective qui témoignent un état psychologique n’ayant pas les mêmes conséquences du point de vue de la responsabilité. On doit surtout penser aux amnésies alléguées, procédé simple et souvent efficace de simulation.
En matière de capacité civile ou juridique enfin, on peut être amené à prononcer l’interdiction d’un sujet atteint d’amnésie sénile, même si l’affaiblissement intellectuel reste relativement peu marqué dans les autres domaines.
J. M. Sutter.
Sismothérapie
Terme créé par Courron pour designer, au moment de leur apparition, les nouvelles thérapeutiques convulsivantes introduites en psychiatrie (cardiazol, insulinothérapie, électro-choc). Il a rappelé à ce propos que les thérapeutiques de surprise ou de violence étaient déjà employées autrefois pour le traitement des aliénés (cages tournantes, précipitation dans l’eau froide, etc.).
Scotomisation
Mécanisme psychique inconscient par lequel le sujet fait disparaître du champ de sa conscience, ou de sa mémoire, un fait, un souvenir porteur d’une charge affective pénible ou désagréable.
M. P.
Cardiazol
Le cardiazol, ou pentaméthylénetétrazol, est un analeptique cardio-vasculaire dont l’action convulsivante, lorsqu’il est employé à fortes doses et par voie veineuse, est utilisée en psychiatrie pour le traitement de certaines affections mentales.
Von Meduna (de Budapest), se basant sur l’hypothèse d’un antagonisme épilepsie-schizophrénie, proposa, en 1932, d’utiliser le cardiazol dans la thérapeutique des malades atteints de cette dernière affection. L’expérience et les recherches ultérieures devaient montrer que cette hypothèse de travail était fausse ; cependant, les résultats en furent heureux, puisqu’elle permit la découverte de l’efficacité des thérapeutiques convulsivantes, de la sismothérapie, dans d’autres affections, la psychose maniaco-dépressive notamment.
La solution à 10% doit être poussée rapidement (1cc par seconde) dans une veine du malade qui, après un bref temps de latence, fait une crise convulsive typique avec phase tonique, phase clonique et période de stertor. La dose à employer varie avec chaque sujet, mais nous avons montré qu’une dose de 8 mg par kg provoque toujours une crise, en pratique. Il y a avantage à réinjecter immédiatement une dose légèrement supérieure en cas d’échec, afin de préserver le malade du souvenir de l’angoisse très vive qui précède la crise et qui disparaît dans l’amnésie qui la suit.
Nos vies sont comme une forêt noire. Artwork par ElenaB.
On pratique ainsi un nombre de crises variable : 2 à 3 par semaine, jusqu’à un total de 10 à 12, ces chiffres pouvant être largement dépassés.
L’angoisse des crises manquées, la nécessité de pratiquer une injection intraveineuse chez des malades qui ne sont pas toujours dociles, l’inconvénient que représente l’introduction d’une substance chimique dans l’organisme a incité la grande majorité des auteurs à remplacer ce traitement par l’électrochoc qui a des indications, des contre-indications, des résultats et des inconvénients analogiques. Ils sont étudiés avec l’électrochoc (v. ce mot).
Toutefois, les chocs au cardiazol gardent des partisans, notamment lorsqu’il s’agit de combiner la convulsiovthérapie à la cure de Sakel.
Cardiazol-Test
Cette épreuve a pour but de déceler les aptitudes convulsivantes d’un sujet suspect d’épilepsie. Elle consiste à injecter rapidement dans une veine du pli du coude 2 cc de cardiazol pour un sujet de taille et de poids moyens. Dans 65% des cas environ, cette injection déclenche une crise chez les épileptiques alors qu’elle n’est positive que dans 10 à 15% des cas chez les non-épileptiques (Bardenat, Maurice Porot et Léonardon, Ann. Méd, psych., 1942, p. 53).
Ce test, sans donner une certitude absolue, a donc une valeur d’indication précieuse dans les cas douteux, la négativité du résultat plaidant contre l’hypothèse de l’épilepsie. On l’utilise aussi au cours des examens électroencéphalographiques dans le but, également, de révéler des signes d’épilepsie électrique que l’enregistrement sans préparation ou après hyperpnée ou stimulation lumineuse intermittente n’ont pu mettre en évidence.
Maurice Porot.

« Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. » (Ferdinand Foch, maréchal de France, né en 1851 et mort en 1929). Image : © GrandQuebec.com.
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