Manie

La manie en psychologie

– Dans le langage courant, on donne le nom de « Manies » aux attachements et habitudes un peu tyranniques auxquelles s’adonnent et s’asservissent certains sujets.

– En psychiatrie, cette expression a servi, au début du XIXe siècle, à catégoriser certaines affections mentales ou certaines tendances orientées dans un secteur déterminé ou présentant une dominante symptomatique élective ; quelques-unes des locutions composées auxquelles elles ont donné naissance sont tombées en désuétude (monomanie, lypémanie) ; d’autres ont survécu en raison même de la précision de leur affectation (dipsomanie, kleptomanie, clinomanie, etc.).

– Mais, depuis longtemps déjà, le terme simple de « Manie » ou de ou de « Manie aiguë » sert à désigner une entité clinique spéciale et autonome, un syndrome général d’excitation psychomotrice à formule bien particulière, à évolution généralement cyclique et périodique, souvent de nature essentielle et constitutionnelle, parfois secondaire et réactionnelle.

Ce syndrome est caractérisé sur le plan mental par une exaltation qui va d’une surabondance et une précipitation anormales des idées, encore cohérentes, jusqu’au débridement le plus tumultueux et le plus incohérent ; sur le plan moteur, par une activité et une instabilité insolite jusqu’au dévergondage le plus débraillé et parfois le plus violent.

Langage et mimique s’exhaussent à l’unisson entraînant une logorrhée intarissable, parfois des cris, des vociférations, s’accompagnant des gestes les plus maniérés ou les plus cyniques, de nudisme ou de lacération.

Ce syndrome d’excitation se rencontre, dans sa forme la plus typique, dans une psychose constitutionnelle, la « Manie périodique » ; mais il peut apparaître à titre secondaire ou réactionnel dans d’autres circonstances.

1. Description clinique. – Le comportement maniaque est très caractéristique.

  • La tenue est souvent excentrique, agrémentée de décorations ou d’ornements plus ou moins fantaisistes, ou, au contraire, débraillée et désordonnée.
  • Le visage est coloré, le regard brillant, l’expression joviale et affable.
  • L’attitude, amicale, est souvent trop familière. La logorrhée incessante, les « éclats de voix ou de rire », les chants ou les cris altèrent rapidement la voix qui est enrouée ou cassée.
  • Le malade ne tient pas en place, tourne en rond, touche à tout.
  • Au cours de l’examen, on assiste souvent à une excitation progressive (auto-excitation) et un interrogatoire commencé dans le calme se termine parfois dans le tumulte.
  • L’excitation est, le plus souvent, progressive dans le temps ; à peine perceptible dans la phase hypomaniaque du début de l’accès, elle s’amplifie parfois jusqu’à l’agitation la plus violente au plus fort de l’accès.

II. Analyse symptomatique. –

1. L’humeur est habituellement euphorique, le malade extériorise sa joie par des plaisanteries, des chants et des cris et par de la gesticulation.

Particulièrement syntone, il veut faire partager cette euphorie à ces interlocuteurs : il se montre avenant, jovial, familier, parfois hors de propos. Vibrant en harmonie avec son interlocuteur, il aura la larme facile au récit d’une histoire triste.

Cet aspect aimable peut d’ailleurs faire rapidement place à l’ironie et même à la malveillance. L’excitation physique du maniaque lui fait, en effet, saisir rapidement les travers de son entourage, il ne résistera pas alors au plaisir de briller par des jeux de mots ou des calembours même s’ils sont déplacés, offensants ou grossiers. La moindre résistance à ses fantaisies fera apparaître l’irritation, la colère, parfois la violence, qui peut aller jusqu’à la fureur. L’instabilité est sa marque caractéristique.

Schule a pu dire : « Rien n’est durable dans la manie que cette transformation perpétuelle ».

2. Troubles des facultés intellectuelles. – Elles sont apparemment exaltées, confèrent au maniaque un brio trompeur.

L’attention spontanée continuellement en éveil lui fait saisir des détails infimes. Il semble qu’il soit d’ailleurs servi par une acuité sensorielle plus vive qu’à l’état normal. Mais cette attention ne se fixera sur rien ; elle ne peut être retenue par un interrogatoire.

Se fiant à ces perceptions superficielles non critiques, le malade est victime d’illusions et de « fausses reconnaissances », basées sur une vague ressemblance ou la communauté d’un détail infime entre la personne véritable et celle faussement reconnue.

La mémoire d’évocation est exaltée : le maniaque vous fait souvent assister à un déroulement de souvenirs précis remontant parfois jusqu’à l’enfance.

La libération des automatismes sera de même responsable de l’abondance des associations superficielles d’idées, par ressemblance, par assonance.

La surabondance des idées et des associations d’idées, l’impossibilité de pratiquer un choix, entraîne la fuite des idées qui peut être telle, parfois, que certaines associations n’ayant pas été exprimées par le malade, ses propos paraissent incohérents.

L’imagination libérée n’admet aucun frein.

Le contenu des proposes du maniaque est difficilement analysable ; sauf dans la forme délirante, il n’y a pas de délire à proprement parler, et l’on a dit avec raison qu’il s’agit plutôt de divagations.

Cependant, les idées qui se font jour le plus communément, traduisant l’euphorie et le bien-être sont des idées de satisfaction, d’ambition, de grandeur, de richesse et souvent aussi des idées érotiques. Il semble d’ailleurs que, bien souvent, le maniaque ne soit pas dupe de son « jeu » et qu’il « se donne à lui-même la comédie ».

3. Troubles de l’activité. – Le maniaque extériorise ses troubles par :

a) Les troubles du langage ;
b) Les troubles de l’écriture ;
c) L’activité ludique ;
d) L’agitation motrice.

a) Les troubles du langage. – On peut rencontrer, suivant le degré de l’état maniaque tous les états intermédiaires entre l’expansivité et le mutisme : dans les états maniaques légers, on notera l’abondance et la richesse des idées et des expressions, la facilité de l’élocution. La diction est expressive et un peu maniérée, le ton plus élevé. A un degré de plus apparaîtra le dramatisme maniaque ; si le sens critique est plus altéré, on constatera une véritable caricature de la déclamation théâtrale. Ces discours sont parfois chantés et rythmés.

La logorrhée est un monologue fait de phrases plus ou moins incohérentes et sans liens apparents ; poussée à l’extrême elle finit par ne contenir qu’une suite de mots ou de syllabes (verbigération).

Le mutisme peut s’observer aussi ; il résulte soit d’une opposition volontaire, soit d’une réaction de jeu, soit d’une fuite des idées poussée à l’extrême comme dans la manie stuporeuse.

b) Les troubles des écrits. – Il y a lieu de considérer :

  • Les matériaux ;
  • Le graphisme ;
  • La forme ;
  • Le contenu.

Matériaux : le maniaque écrit avec n’importe quoi et sur n’importe quoi, aussi bien sur le sol ou un journal chiffonné que dans la marge d’un livre de prix.

Graphisme : Il diffère, en général, de celui qu’avait le sujet à l’état normal. L’écriture est hâtive, décidée, rapide et saccadée, souvent agrémentée de dessins (symboliques ou licencieux), abondamment surchargée au point de devenir parfois illisible.

Forme : Souvent elliptique ou télégraphique ; on note parfois de nombreuses répétitions ou l’absence de lien entre les phrases.

Contenu : Le maniaque prête aux mêmes observations que le contenu du langage et traduit les mêmes troubles. On parle de graphorrée pour caractériser l’abondance et l’incohérence des écrits du maniaque.

c) L’activité ludique. – Elle s’observera dans la mimique, les attitudes, les gestes : caricaturale, elle dépasse souvent le but pour tomber dans le grotesque.

d) L’agitation motrice peut passer par des degrés très variables qui vont de la simple instabilité à l’agitation incoercible.

4. Signes physiques et généraux. – Certains sont à peu près constants et manifestes : insomnie, troubles des fonctions ovariennes. D’autres sont moins réguliers : état saburral digestif, surtout au début des accès ; diminution ou exagération de l’appétit et souvent sans qu’il y ait parallélisme, amaigrissement ou augmentation du poids.

III. Formes cliniques. – L’accès maniaque, tel que nous l’avons décrit, n’est le plus souvent qu’un épisode de la psychose maniaque dépressive. Il aura été précédé ou sera suivi d’accès identique (manie périodique), ou au contraire, alternera avec des accès du type mélancolique (folie circulaire).

Son début se fera, le plus souvent, par une courte période dépressive ou hypomaniaque.

Sa durée très variable allait autrefois de quelques mois à deux ou trois ans. Il était classique autrefois de dire que les accès allaient se rapprochant et s’allongeant avec l’âge, pour aboutir à la manie chronique dans laquelle les intervalles lucides n’existent pratiquement plus.

L’apparition des thérapeutiques de choc a légèrement modifié l’évolution. Il semble que les accès puissent être écourtés.

Mais le tableau classique de la manie est loin d’être toujours réalisé complètement, ce qui amène à considérer des formes cliniques particulières.

Formes suivant l’intensité et les dominantes symptomatiques. – L’accès d’excitation, souvent, ne dépasse pas le stade de l’Hypomanie : l’exaltation intellectuelle se traduite alors par une hyperproduction qui reste cohérente, l’humeur se montre plus euphorique, et l’hyperactivité entraîne parfois le sujet dans des entreprises hasardeuses. Le plus souvent, l’internement n’est pas nécessaire, si l’on peut prendre des mesures de protection des biens.

Parfois, au contraire, le tableau classique de la manie est largement dépassé. L’agitation devient intense, le malade hurle sans arrêt, devient débraillé ou se dévêt complètement, se sert de ses excréments pour barbouiller les murs et se livre même à la coprophagie. L’excitation psychique, et en particulier la fuite des idées, peut être telle que le malade est dans l’impossibilité de faire une phrase correcte et peut même prendre l’aspect d’un confus avec stupeur.

Entre ces deux formes extrêmes se situent des formes coléreuses dans lesquelles l’irritabilité est intense et pousse le malade à des réactions violentes contre les personnes ou les choses.

Les formes hallucinatoires ne sont pas exceptionnelles.

Formes suivant la nature et l’étiologie.

– A côte de la manie constitutionnelle, diverses étiologies sont susceptibles de produire le tableau maniaque :

Chez les jeunes présentant des dispositions dégénératives, on peut constater des bouffées d’excitation psychique passagère aux accès courts et assez rapprochés.

Trop souvent, malheureusement, le tableau maniaque est complété par des signes de la série discordante, qui à chaque nouvel accès deviennent plus nets, tandis que dans les intervalles lucides, les tendances schizoïdes et la perte de contact avec le réel deviennent plus apparents. Ces accès schizomaniaques (H. Claude) sont une voie d’entrée dans la schizophrénie.

A côté des psychoses périodiques tardives (Anglade), il y a lieu de faire une place à part aux accès d’excitation se produisant chez les préséniles, et qui peuvent coïncider avec un fléchissement organique (cardio-vasculaire, hépatique ou rénal…) (Régis, Molin de Teyssieu).

Des facteurs affectifs ou émotionnels sont susceptibles de provoquer l’apparition d’états d’excitation qui trouvent leur place dans les psychoses réactionnelles dans lesquelles le terrain dégénératif joue un rôle important.

Les états d’excitation toxiques, infectieux ou post-infectieux, méritent une attention particulière. Les premiers réalisent surtout le tableau de la manie confuse (états dits confuso-maniaques). Les derniers peuvent prendre l’apparence de l’accès maniaque franc, particulièrement après les psychose-encéphalites ou les psychoses puerpérales.

Il importe de ne pas oublier, en Afrique du Nord, par exemple, que le paludisme est susceptible de provoquer des accès de manie franche et que des accès à type maniaque ont été signalés au cours du traitement par l’atébrine (Thèse de Kammerer).

A mesure que s’enrichit la thérapeutique de certaines maladies par des produits nouveaux, on a vu se multiplier des accès d’excitation à dominante maniaque d’origine thérapeutique. C’est ainsi qu’on en a signalé à la suite de doses excessives et prolongées d’amphétamine, de cortisone et d’A.C.T.H. ; enfin à la suite de l’administration d’isoniazide dans le traitement de la tuberculose (Maurice Porot ; A.M.P., février 1954). Alliez et Savy ont fait de bonnes revues d’ensemble de ces manifestations. La dominante est manifestement du type d’excitation maniaque mais il s’y ajoute souvent de petits états confusionnels et des manifestations hallucinatoires ou discordantes. La prédisposition de terrain en pareil cas garde ses droits mais il n’est pas douteux qu’il s’y ajoute une action déclenchante du produit thérapeutique agissant sur les centres diencéphaliques régulateurs de l’humeur. En général, ces accès sont de courte durée et le pronostic est bénin.

Enfin, les traumatismes crâniens sont susceptibles de provoquer des accès d’excitation, parfois même périodiques, dans lesquelles la composante confusionnelle est presque toujours présente, du moins au début.

Il est intéressant de signaler aussi les accès d’excitation qui se produisent parfois au cours des interventions chirurgicales.
Une étude plus détaillée des états symptomatiques d’excitation est faite ailleurs (Excitation).

En résumé. – Si l’on excepte les manies symptomatiques qui admettent des étiologies variées, on considère généralement que la psychose maniaque est d’origine constitutionnelle, encore que, dans bien des cas, cette conception soit peu satisfaisante.

Certains auteurs (Baruk, Litvak) admettent l’intervention de facteurs acquis dans l’étiologie de la psychose maniaque dépressive.
Il faut reconnaître qu’en fait, nous ne savons pas grand-chose sur les causes de la périodicité.

IV. Pathogénie. – Les bases psychophysiologiques de la manie restent incertaines malgré les nombreux travaux de chercheurs.

Les troubles du métabolisme, les perturbations neurovégétatives et endocriniennes, les constatations des neuro et psychochirurgens orientent les recherches vers le diencéphale dont le rôle régulateur affectif de l’humeur, la thymie, est généralement admis (travaux de Camus et Roussy, P. Abély, Assailly et Laïne, de K. Delay et ses élèves).

Le rôle des lobes préfrontaux mérite aussi d’être retenu. Le syndrome de la « moria », signalé dans les tumeurs, est bien connu.

V. Réactions médico-légales. – Elles sont fréquentes, surtout dans la phase de début des accès. Elles peuvent aller des simples excentricités et écarts de conduite jusqu’aux délits graves, tels que les abus de confiance ou les attentats à la pudeur et les réactions coléreuses et violentes. Elles s’expliquent par le déficit du sens moral et de l’autocritique, la propension aux abus des toxiques associés à l’excitation psychique et génésique.

VI. – Traitement et mesures à prendre.

1) Les accès maniaques francs sont justiciables du placement dans des services ou des établissements spécialisés, ce qui est pratiquement presque toujours nécessaire pour éviter les conséquences sociales graves qui peuvent résulter des troubles du comportement, autant que pour soustraire les malades aux nombreuses sources d’excitation qui, à l’extérieur, entretiennent ou aggravent l’agitation.

Cette hospitalisation préserve aussi les malades de dépenses ou d’entreprises inconsidérées qu’ils seraient tentés de commettre, soit spontanément, soit par exploitation de la part des gens sans scrupules qui abuseraient de leur générosité morbide. Des questions médico-légales peuvent, en effet, se poser à cet égard et des expertises opportunes sont parfois demandées en vue de l’annulation de certaines opérations ou contrats signés en pleine période d’excitation maniaque.

2) Seuls les états maniaques symptomatiques peuvent bénéficier de traitements étiologiques (état maniaque d’origine toxique ou infectieuse et parfois, chez les sujets âgés d’origine circulatoire).

Dans la manie aiguë, les traitements biologiques de choc sont efficaces. Ils en abrègent l’évolution mais ne paraissent pas avoir d’action sur le rythme des accès. Les résultats de la cure de Sakel et de l’électrochoc sont sensiblement égaux, mais ils sont nettement inférieurs à ceux que l’on obtient dans la mélancolie ; les auteurs les plus optimistes estiment cependant les résultats favorables à 60%.

3) Les calmants habituels (barbiturates, opium chloral, bromures) n’ont que des effets limités ou temporaires et encore à des doses qui ne sont pas sans danger.

On s’est adressé aussi aux sels de lithium, traitement qui complète et prolonge l’action des électrochocs et se révèle actif surtout dans la manie vraie plus que dans les états d’excitation secondaire.

4) L’introduction dans la thérapeutique psychiatrique des neuroleptiques et tranquillisants a donné des résultats très intéressants dans le traitement des états maniaques : le Largactil et Sepasil en particulier, et accessoirement de Nozinan, raccourcissent la durée des accès maniaques, permettent des cures d’entretien, et parfois décapitent l’accès d’excitation avant l’apparition des troubles graves du comportement qui, autrefois, auraient rendu l’internement obligatoire.

De ce fait, on fait beaucoup moins appel aux E.C. et à l’insuline.

F. Ramée.

Sels de lithium

Cade et quelques autres médecins australiens se sont fait les protagonistes du traitement de la manie par les sels de lithium (citrate et carbonate). Quelques psychiatres français ont confirmé ses heureux résultats (Despinois et J. de Romeuf, Mlle Deschamps et Denis).

Le citrate de lithium est donné à la dose de 3 g par jour en trois prises : le carbonate, un peu moins actif, est moins dangereux. Des accidents toxiques se sont produits en effet en cours de traitement prolongé dont quelques-uns mortels ; d’abord, de petits malaises : troubles digestifs, vertiges ; puis accidents neurologiques rappelant ceux de l’encéphalite ; et enfin, accidents rénaux, albuminurie, d’où la nécessité d’une surveillance active et d’un bilan rénal.

Ce traitement aux sels de lithium complète et prolonge l’action des électrochocs et se révèle actif surtout dans la manie vraie plus que dans les états d’excitation secondaire.

Voir aussi :

Les manies des grands hommes

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« Rien n’est durable dans la manie que cette transformation perpétuelle ». (Schule). Image : © Megan Jorgensen.

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