Regarder sa montre, est-ce un signe de la nervosité
Est-ce un signe de nervosité que de regarder souvent sa montre? Un fait caractéristique de notre époque, c’est de rencontrer des personnes qui, pendant une conversation, jettent à chaque instant un regard sur leur montre-bracelet.
Elles veulent toujours être renseignées sur la fuite du temps; de jour comme de nuit, elles ont leur montre au poignet. Et même, quelquefois, cela ne leur suffit pas. et elles parlent dans une poche une seconde montre de contrôle
Est-ce que ce contrôle continuel du temps est un signe de “nervosité? » – C’est le contraire qui est vrai. Ces personnes ont reconnu que seul un contrôle minutieux du temps permet de faire face aux exigences de notre vie moderne. La nervosité est la maladie de notre temps. En vérité, reconnaissons que l’homme actuel subit des assauts qui mettent A rude épreuve son système nerveux. Notre activité journalière est toute différente de ce qu’elle était auparavant. Mais aucune plainte invoquant les douceurs du bon vieux temps ne modifiera l’état de choses actuel. Il faut donc se résigner et s’adapter aux conditions nouvelles, ce qui notre système nerveux réalise encore assez vite, s’il n’est pas trop surchargé.
Une cause importante de surmenage est le « manque de temps ». On peut l’éviter, ou tout au moins s’atténuer en « rationalisant » son activité. L’homme qui continuellement contrôle sa montre et qui règle ses actions sur elle, ne se laisse pas déborder. Ce n’est pas la montre qui rend nerveux, mais le fait de l’oublier, de ne pas l’écouter. Prenons un exemple : un industriel a bien réparti son temps. Mais voici qu’une visite, non prévue, vient le contrarier. Le temps s’écoule, et malgré la longueur de l’exposé du visiteur, l’industriel, en homme bien éduqué, suit la conversation jusqu’au bout. L’exposé est terminé, la cause est entendue, mais le visiteur repart de plus belle et recommence pour la deuxième fois. Alors notre homme s’impatiente, regarde sa montre, fait semblant de se lever, répond aux communications téléphoniques, traite avec ses employés… tandis que son interlocuteur remâche pour la dixième fois son sujet toujours plus confus. L’industriel est trop poli : sa politesse n’est plus de ce temps.
Il a bien une montre qu’il regarde continuellement, mais elle ne lui est d’aucun secours. Il s’énerve, s’épuise; une seule solution peut le calmer : renvoyer poliment mais fermement son visiteur.
Autre exemple : un homme peut travailler assidûment sans se fatiguer : mais il ne le peut que s’il vit en se conformant aux exigences de sa nature. Son emploi exige qu’il se lève tôt. S’il écoute les appels de son réveil matin, il surmonter toutes les difficultés de la journée et aura suffisamment de temps à sa disposition pour parer aux imprévus de ses occupations sans manifester de la nervosité.
Mais voilà que notre homme, pour une raison ou une autre, est contraint de veiller plus longtemps que d’habitude. C’est contre sa nature, car il aime se reposer le soir, contrairement à celui qui se repose le matin. Ces longues soirées le fatiguent : il veut se retirer, jette constamment un regard à sa montre, observe l’horloge, mais hélas, on le retient; il n’a pas le courage d’écouter l’appel de sa montre. Il est donc obligé de se coucher tard; il se lève fatigué, endormi, sombre et nerveux; il commence un quart d’heure, une demi-heure trop tard son travail qui n’avance que lentement et péniblement. Les jours se suivent et de plus en plus la nervosité s’accentue.
L’homme qui veut se préserver de cette excitation nerveuse doit se connaître, s’observer et s’éduquer personnellement. La montre est l’auxiliaire indispensable de celui qui veut mettre tout son temps à profit. Celui qui regarde constamment sa montre n’est pas nerveux; mais il est sur le point de la devenir, s’il ne peut déduire de ce regard les conséquences nécessaires. La montre aide à disposer de son temps, elle est indispensable à notre genre de vie moderne, à l’homme dont le système nerveux n’est pas encore affecté.
(Ces réflexions datent du janvier 1930, car le texte a été publié dans le journal La Presse, le 4 janvier 1930, mais ses conclusions sont également valables de nos jours).
Voir aussi :
