Jumeaux

Jumeaux en psychiatrie

Depuis les débuts de la génétique, on a tenté de tirer parti de l’observation des jumeaux pour discriminer les caractères acquis des caractères héréditaires. On sait en effet qu’en principe les jumeaux uniovulaires ont un génotype (patrimoine héréditaire) identique. Quelques réserves s’imposeraient cependant si on devrait confirmer le rôle du cytoplasme dans l’hérédité. Les jumeaux biovulaires, au contraire, provenant de deux ovules différents, ne se ressemblent pas plus que deux frères ou deux sœurs.

Ce n’est évidemment qu’à grande échelle que ces données sont utilisables pour l’étude génétique des dispositions pathologiques. L’École allemande, à partir de 1924, (Siemens, Von Verschuer, Weinberg, Luxenburger, Lange, etc.) a mis au point une véritable méthode tendant à codifier l’élaboration et la critique statistiques des jumeaux.

Les corollaires intéressant la génétique sont fondés sur le principe suivant : quand le taux de concordance (c’est-à-dire de similitude des deux jumeaux concernant tel ou tel caractère) est le même, pour un caractère donné, dans le lot des uniovulaires et celui des biovulaires, ce caractère n’est pas héréditaire, ou du moins, ce sont les facteurs acquis qui jouent le rôle étiologique prédominant.

Quand, au contraire, la concordance est nettement accrue chez les uniovulaires par rapport aux biovulaires, l’étiologie du caractère considéré comporte sûrement des facteurs héréditaires.

Se fondant sur ces principes, toute une série de travaux considérables ont été consacrés, tant en Europe qu’en Amérique, à l’étude génétique des grandes psychoses. Nous ne pouvons qu’en résumer brièvement les résultats.

– La psychose maniaque dépressive a été étudiée par Luxenburger (sur 17 paires de jumeaux) et Rosanoff (90 paires). Les deux statistiques présentent un taux de concordance oscillant entre ¾ (Luxemburger) et 16/23 (Rosanoff) pour les uniovulaires, tandis qu’il est de 0 à 8/35 pour les biovulaires. Malgré les divergences des deux auteures, l’importance des facteurs héréditaires ressort nettement de ces chiffres. Dans un travail plus récent, Kallman, étudiant 75 paires (dont 23 uniovulaires) de jumeaux, constate qu’en aucun cas des jumeaux uniovulaires n’ont jamais présenté des psychoses différentes (l’un étant maniaque-dépressif, l’autre schizophrène, etc.) Cette même homogénéité se retrouve d’ailleurs chez les jumeaux biovulaires et dans les familles de maniaques dépressifs. Kallman en conclut que la psychose maniaque dépressive et la schizophrénie sont deux maladies spécifiques et génétiquement tout à fait distinctes.

– La schizophrénie a fait l’objet d’une importante statistique de Luxenburger (sur 81 paires de jumeaux, 58 purent être étudiés) : la concordance était de 14/21 pour les uniovulaires, 1/38 pour les biouvulaires ; preuve décisive de l’influence prépondérante des facteurs héréditaires. L’auteur reconnait cependant la part nécessaire des facteurs acquis (du milieu) pour réaliser la manifestation de la psychose. Il admet que dans 20-30% des cas, ces facteurs exogènes ne survenant pas, la disposition génotypique reste sans manifestation clinique.

– L’épilepsie a été étudiée par Rosanoff, et surtout par Conrad (258 paires de jumeaux) et par Lennox (55 paires). Chez Conrad, la concordance était 22 fois plus fréquente pour les uniovulaires que pour les biovulaires ; en défalquant les épilepsies symptomatiques, la concordance atteignait un taux de 86 % chez les uniovulaires, de 3-4% seulement chez les biovulaires. Lennox arrive même à une concordance de 94% chez les uniovulaires. Par ailleurs, Conrad constate une plus grande fréquence de la gémillité chez les épileptiques (1 jumeau sur 48 épileptiques), comparativement à la fréquence moyenne dans la population (1 jumeau sur 60 individus) ; mais ce surcroît des jumeaux est le fait des biovulaires et l’auteur en conclut à une corrélation génétique entre l’épilepsie et la disposition à la polyovulation.

– La débilité mentale s’est avérée, elle aussi (à l’exclusion des encéphalopathies obstétricales et postnatales), déterminée par des facteurs héréditaires génotypiques : sur 66 paires de jumeaux, Smith (Danemark) trouve une concordance près de 4 fois plus élevé chez les univulaires que chez les biovulaires. Juda, sur 228 paires de jumeaux, arrive à des résultats moins concluants : les biovulaires ont un taux de concordance de 45%.

– La criminalité a fait l’objet de 3 grandes statistiques gémellaires : Lange sur 30 paires, Krane sur 74, Strumpfl sur 37. La concordance oscille auteur des 2/3 pour les uniovulaires, de 1/3 seulement pour les biovulaires. Il est certain que l’influence du milieu reste un élément considérable et on relate de nombreuses observations montrant un parallélisme frappant dans le comportement social des biovulaires. Mais à l’examen détaillé, on est amené à discerner très nettement le lot des délinquants d’occasion (prépondérance des facteurs exogènes) et celui des récidivistes endurcis, chez lesquels le milieu n’intervient pas et qui sont des antisociaux ou qu’ils se trouvent.

Si l’apport des observations gémellares a été considérable, pour la génétique, il a contribué à montrer l’impossibilité d’établir une frontière absolue entre facteurs héréditaires et facteurs du milieu. On peut affirmer que l’une et l’autre de ces deux séries de facteurs interviennent toujours pour toute affection. C’est ainsi que, dans des cas d’épilepsie traumatique apparemment la plus exclusivement exogène, Lennox a montré qu’il y a certainement une part de disposition génotypique. C’est précisément le coefficient respectif de chacune des deux séries de facteurs qui peut varier considérablement d’une affection à l’autre.

Th. Kammerer

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« Le sommeil et la mort sont des frères jumeaux. » (Homère). Image : © Megan Jorgensen.

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