Imagination, délires d’imagination
Le domaine pathologique de l’imagination est fort vaste : il va de certaines rêveries morbides, de l’onirisme et des états oniroïdes passagers aux graves désordres constitutionnels permanents de la mythomanie et aux grands délires d’imagination. En outre, l’imagination vient souvent apporter à d’autres états pathologiques des appoints plus ou moins importants; des « compensations imaginatives » (Montassut) s’insinuent souvent dans les troubles de la vie affective à l’occasion d’échecs ou de carences, parasitisme qui n’est pas sans danger pour l’avenir mental du sujet.
De même, dans un cerveau momentanément ou définitivement privé de ses facultés d’attention, de mémoire et de jugement, on verra surgir d’une imagination sans contrôle les efflorescences anarchiques et anachroniques de la confabulation. L’onirisme, la mythomanie, la fabulation délirante sont étudiées ailleurs. Nous ne nous occuperons ici que des délires dits d’imagination.
– Délires d’imagination – De tout temps, les aliénistes avaient noté les élucubrations fantaisistes et imaginaires contenues dans certains délires. Morel, Falret père avaient même très bien décrit certains de leurs traits distinctifs : en Allemagne, de nombreuses études avaient été consacrées à cette pathologie spéciale de l’imagination et la pseudologia phantastica (Forel et Delbruck), ainsi que le délire de confabulation de Neisser en donnaient un bon exposé.
En France, Sérieux et Gapgras, dans leur étude sur les psychoses interprétatives, avaient isolé une variété qu’ils appelaient le délire de fabulation. Mais c’est surtout Dupré qui présenta d’abord, en 1905, la mythomanie constitutionnelle sous ses différents aspects ; puis, en 1910, avec son élève Logre, les délires d’imagination dont il distinguait les formes aigües et chroniques, ainsi que les formes symptomatiques secondaires, – ces dernières répondant à la fabulation.
1. Formes aiguës. – Il existe un certain nombre de cas dans lesquels on voit surgir des délires d’imagination transitoires à début soudain, à évolution rapide et à terminaison favorable (« délire imaginatif de grandeur », de Seglas et Logré ; « délire imaginatif en bouffées », de Dupré, Terrien et Le Savoureux). Dans quelques cas, il y a eu un état psychopathique aigu initial, très éphémère, avec ou sans amnésie, une obnubilation confusionnelle légère (Régis et Hesnard) ; après cette dissolution transitoire de la conscience, la bouffée délirante se poursuit pour son propre compte. Ces romans imaginatifs s’apparentent à certains états de rêverie dans lesquels se complaisent les esprits romanesques à l’imagination plus ou moins déréglée ; ils s’observent surtout au moment de la puberté et au cours de l’adolescence; parfois, ils ne sont vécus qu’en secret, ne s’épanchent que dans un journal intime ou dans quelques confidences.
On a signalé aussi leur forme parfois paroxystique qui les fait apparaître chaque jour à certaines heures (« délire imaginatif à éclipses », de Dupré et Marmier).
On a relaté aussi comme accidents prodromiques d’une démence précoce des états de rêverie paroxystique, parfois entremêlés d’autres manifestations du type hystérique (attaques convulsives ou cataleptoïdes). Dans tous ces cas aigus, il faut souligner un éréthisme psychique presque constant et plus ou moins accusé qui favorise l’efflorescence imaginative ; quelques-uns même ont pu avoir pour support des accès périodiques d’hypomanie.
Le diagnostic de ces états imaginatifs aigus est dominé par la distinction souvent délicate à établir entre les états oniriques vrais et les états imaginatifs purs, ces derniers pouvant succéder – nous l’avons dit – à un bref état onirique. « Il existe, du reste, entre le délire onirique et le délire d’imagination, des faits d’association et de transition aussi nombreux que ceux qui retient le sommeil et la veille, le rêve, la rêverie, l’improvisation romanesque » (Dupré, conception reprise du reste par H. Ey).
II. Formes chroniques. – Durpé avait pris soin de préciser qu’il ne s’agissait pas ici d’une entité nosologique nouvelle, mais bien d’une simple variété des délires chroniques se plaçant à côté des autres et n’en différant que par son mode d’édification.
Chez l’imaginatif, tout s’enchaîne, non par déduction logique comme chez l’interprétant, mais par juxtaposition et succession de scènes comme dans un récit ; chez lui, « la réalité ne fournit à l’esprit que le thème sur lequel l’imagination exécute, à loisir, des variations plus ou moins fantaisistes et des improvisations personnelles ». Très souvent, ce sont des allusions à un passé qui se trouve romancé (« mythomanie rétrograde » ou « fabulation anachronique »). En fait, il n’y a pas l’amnésie, mais des souvenirs qui sont travestis par l’imagination. Au demeurant, tout est centré sur la personne du délirant imaginatif : romains d’amour et d’aventures extraordinaires, scènes d’attentats, de viol ou romains policiers, délire de grandeur filiale ou familiale, découvertes sensationnelles ou secrètes… Le plus souvent, les thèmes de grandeur l’emportent sur les thèmes de persécution ; le sujet est de haute lignée, descend d’un personnage illustre, sa naissance est entourée de mystère.
Parfois, il y a un héritage fabuleux qui doit lui revenir, mais dont un coffre-fort inviolable recèle la preuve secrète (affaire Thérèse Humbert). Le délirant imaginatif va jouer son personnage et conformer ses actes et son comportement à son thème délirant par son attitude, ses démarches et ses entreprises, voire ses revendications. Les romans d’aventures fantastiques germés dans certains cerveaux s’accompagnent parfois de déplacements à plus ou moins grand rayon et d’un véritable vagabondage ; ou bien simplement, le délirant se contentera de falsifier des documents, d’en fabriquer de toutes pièces pour étayer son roman.
Parfois, il intentera des actions en justice qui justifieront aux yeux des profanes le bien-fondé de sa thèse. Aussi le délire d’imagination entraîne-t-il souvent des situations médico-légales délicates : fausses accusations, faux écrits, vagabondage, escroqueries, revendications. Il y a rarement à craindre, avec le délire imaginatif, des réactions tragiques, mais l’internement s’impose souvent en raison du désordre social causé par ces entreprises ou ces revendications.
Si les fabulations isolées sont fréquentes, le grand délire d’imagination soutenu est rare, ainsi que le reconnaissait Dupré lui-même. On observe d’ailleurs toutes les transitions entre la fabulation épisodique, variable dans son contenu, et le délire d’imagination systématisé. Par ailleurs, la fabulation délirante systématique peut se rencontrer chez son auteur avec d’autres dispositions constitutionnelles qui la consolideront ou l’aggraveront et lui donneront une tournure spéciale ; c’est le cas en particulier de la disposition paranoïaque et revendicatrice. C’est souvent, du reste, une séparation un peu artificielle qui oppose les délires d’imagination aux autres délires chroniques, en particulier au délire d’interprétation. Pour certains auteurs même (Delmas, G. Dumas), il y a presque toujours à l’origine des fabulations délirantes une tendance interprétative qui déclenche le délire, va le soutenir et l’enrichir par la suite. Inversement, on a signalé des états de simple rêverie de l’adolescence se transformant ultérieurement en délire chronique, polymorphe, où l’interprétation, les idées de persécution et la fabulation, s’entremêleront (Heuyer et Borel).
Dans le secteur des érotomanes, on trouve certains imaginatifs et imaginatives qui se sont cru distingués par une grande dame ou une vedette illustre qu’ils harcèlent de leurs déclarations et de leurs poursuites.
Tous les types mégalomaniaques (inventeurs, prophètes, réformateurs) sont souvent à base imaginative.
La contagion des délires d’imagination dans certaines collectivités est un fait social intéressant, observé quelquefois; certains exaltés imaginatifs ont pu entraîner à leur suite des groupes crédules et suggestifs et créer d’importants mouvements sociaux ou politiques.
Ant. Porot.
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