Idiotie, idiotie amaurotique, crétinisme en psychologie
Le mot idiotie a remplacé celui d’idiotisme qui, au temps de Pinel, comprenait tous les états mentaux déficitaires graves et profonds : c’est Esquirol qui en a extrait la démence, soulignant que « si l’homme en démence est un riche devenu pauvre, l’idiot a toujours été dans l’infortune et dans la misère ».
On réserve donc le mot idiotie aux états graves d’insuffisance mentale congénitale. Depuis Morel, on admet qu’il représente le palier le plus bas de l’arriération mentale.
L’âge mental de l’idiot est inférieur à 2 ans et Rogues de Fursac donne les 4 critères essentiels de son niveau mental :
– L’idiot ne parle pas – il est inattentif. Ses connaissances ne dépassent pas celles de la première enfance. Il est incapable de se garantir contre les dangers les plus évidents.
La physionomie de l’idiot traduit d’emblée, le plus souvent, sa misère mentale : faciès inexpressif, souvent grimaçant, bouche entr’ouverte laissant écouler la salive, de nombreuses malformations du crâne, de la face, des oreilles, des dents, trahissent l’arrêt de développement.
Souvent frappé de convulsions, de paralysies diverses, de troubles rétiniens, parfois de surdi-mutités, de contractures, de déformations des membres, de mouvements choréo-athétosiques, il ne peut apprendre à marcher que fort tard et souvent très incorrectement : parfois même, il est voué au fauteuil pour le reste de son existence qui sera, du reste, abrégée, l’idiot ne vivant guère au-delà de 20 à 30 ans, emporté par la tuberculose ou d’autres complications infectieuses. S’il arrive à marcher, c’est pour se livrer à une activité grossière, stéréotypée ; sa turbulence le rend insupportable. Il frappe sans discernement, brise les objets et tourne souvent sa fureur contre lui-même. Un geste agressif courant est la morsure « une des réactions les plus anciennes de l’animalité ».
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Les fonctions végétatives restent mal assurées (un certain nombre d’idiots n’arrivent pas à manger seuls) ; d’autres font des troubles de la déglutition – ce qui ne les empêche pas, souvent, d’être gloutons. Ceux qui peuvent manier cuillère et fourchette le font maladroitement. Ils sont, le plus souvent, incontinents et gâteux ; certains – cependant – à force de patience, sont susceptibles de dressage. Quant au langage, il se réduit ordinairement à des grognements inarticulés, parfois à des cris stridents ou à des mots péniblement appris. Les rudiments du langage qui peuvent être acquis, dans quelques cas heureux, sont souvent entravés par des troubles de l’élocution : bégaiement, blésité, etc.
Les sentiments affectifs sont rudimentaires, mais certains sujets sont susceptibles d’attachement instinctif à ceux qui les soignent. Par contre, d’autres sont manifestement pervers (cruauté, destruction).
Le sens génital, quand il s’éveille, les oriente vers la masturbation cynique ou les attentats sans discernement sur l’autre sexe. On avait distingué des degrés dans l’idiotie; tout ce que l’on peut dire légitimement, c’est que certains idiots sont profondément déchus et impuissants dans tous les domaines ; que d’autres sont susceptibles d’un certain dressage visant leurs fonctions végétatives ou leur comportement courant.
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Mais les ébauches d’instruction qu’on pourra leur donner ne leur permettront jamais de se suffire socialement. Ils resteront toute leur vie à la charge de leur famille – charge souvent fort lourde et difficile – ce qui oblige presque toujours à les confier à des établissements d’assistance spécialisés. Notons, à ce propos, l’attachement parfois extraordinaire de certaines mères pour ces rejetons déshérités, attachement qui va parfois jusqu’à l’aveuglement et au délaissement partiel des autres enfants.
Etiologie générale. – On trouvera au mot Arriération intellectuelle une revue de toutes les causes susceptibles de frapper le cerveau dans son développement : hérédité, infections, intoxications, traumatismes obstétricaux, embryopathies et dysgénésies fœtales, encéphalopathies de la première enfance, insuffisances endocriniennes graves, etc.
Anatomie pathologique. – Les lésions sous-jacentes à l’idiotie sont diverses et variables suivant les cas : arrêts de développement ou agénésies du cortex ou déformations cérébrales profondes (corps calleux), atrophie des circonvolutions cérébrales, diffuse ou régionale (porencéphalie), distension ventriculaire avec aplatissement laminaire des circonvolutions, scléroses diverses dont la sclérose tubéreuse de Bourneville est un type classique, souvent associée à des lésions cutanées (noevi, neurofibromatose).
Types morphologiques et cliniques. – Ils sont nombreux et divers variant surtout en fonction des facteurs étiologiques.
Morphologiquement, il peut y avoir des idiots de stature normale ou subnormale ; le plus souvent, ils ont un arrêt plus ou moins important de développement psychique ou sont déformés par leurs infirmités. Il y a, enfin, de véritables nains (nanisme myxoedémateux). Le volume du crâne est très variable : microcéphalie, hydrocéphalie.
Nous ne ferons qu’énumérer ici les principaux types d’idiotie :
a) L’idiotie par encéphalopathie infantile, une des plus fréquentes, est caractérisées par l’association de signes neurologiques importants.
b) Les idioties par embryopathie.
c) L’idiotie myxoedémateuse et le crétinisme d’origine glandulaire.
d) L’idiotie mongolienne.
e) Le groupe des idioties amaurotiques familiales.
f) La sclérose tubéreuse de Burneville.
g) Le gargoylisme.
h) Le syndrome de Laurence-Moon-Riedl-Bardet.
Traitement. –
Ce sont surtout des mesures d’assistance qu’il faut envisager : le dressage possible pour faciliter les habitudes de propreté et un peu de discipline; les soins d’hygiène générale et de propreté pour éviter les infections chez les infirmes. Bien entendu, quand on suspecte une tare syphilitique, un traitement spécifique sera toujours utile. ‘Mais il faut reconnaître que l’on en a beaucoup abusé et qu’on lui a demandé plus qu’il ne pouvait donner. Il ne saurait, en effet, réparer des lésions destructives définitives.
Le traitement thyroïdien ou polyglandulaire est indiqué chez les myxoedémateux.
Idiotie amaurotique
Nom donné à un groupe d’idioties, dont le caractère familial est presque constant. Il se constitué par une cécité due à des lésions du fond d’œil, associée à une absence de développement intellectuel.
L’idiotie amaurotique familiale de Taysachs en est le type le plus anciennement connu ; à l’idiotie s’ajoutent les lésions caractéristiques de la macula (tache rouge cerise) et une diplégie spastique; cette affection assez spéciale à la race juive débute entre 2 et 4 mois, par de l’apathie, de l,amblyopie et de l’hypotonie qui fera place ensuite à de la spasticité, évolue rapidement et entraîne la mort du sujet vers l’âge de 2 ou 3 ans.
Naville a montré qu’il y avait des formes atypiques de la maladie de Taysachs : apparition plus tardive, survie plus prolongée, variations dans l’aspect du fond d’œil.
La maladie de Vogt-Spielmeyer a une évolution plus lente et la pupille est d’un blanc jaunâtre. Mais elle débute à l’âge de 4 à 10 ans seulement. Les maladies de Myer-Kuf et de Beekowky sont plus tardives encore (forme juvéniles, retardées).
Ces idioties peuvent s’associer à d’autres infirmités comme la surdi-mutité.
Thiébault et ses collaborateurs ont signalé une observation de forme juvénile avec baisse de la vision, syndrome de régression psychique, crises épileptiques avec altérations électroencéphalographiques et vacuolisation des lymphocytes (Soc. fr. de Neurol., 6 mai 1954). Une observation familiale, deux frères et une sœur, avec début à l’âge de 11 ans, a été également signalée par Juliao, Canelas et Longo : il y avait consanguinité des parents (Archives de N. Psiquiatrica, 1956, #2. Anal. In R. N., octobre 1956, #342).
L’idiotie amaurotique est due à une tare héréditaire du type récessif; la consanguinité intervient dans une proportion de 10 à 15% (Jean Rostand).
Crétinisme
On donne ce nom à un état de dégénérescence physique et d’arriération mentale en rapport avec une insuffisance thyroïdiennes qui se révèle. Le plus souvent, par la présence d’un goitre, parfois assez volumineux et croissant avec l’âge.
Le crétinisme se différencie de l’arriération myxoedémateuse par l’absence de l’infiltration des téguments, spéciale à cette dernière. À cette exception près, la symptomatologie reste la même. Au point de vue morphologique, le crétin est de petite taille. Son infantilisme se poursuit fort longtemps, toute sa vie durant parfois. La tête, souvent de volume normal et parfois un peu réduite, est du type brachicéphale : le front est bas, le faciès est souvent ridé; la mimique est inexpressive ou peu expressive. La dentition défectueuse et soumise à une carie précoce. Le système pileux est très peu développé, la peau est sèche. Il y a un ralentissement général de l’activité.
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Quant à l’état mental, il va de l’idiotie jusqu’à l’arriération simple, suivant les cas. Certains auteurs, du reste, avaient décrit au-dessus du crétin complet le demi-crétin et le crétineux.
Au point de vue tempérament et caractère, le crétin est le plus souvent un apathique, relativement calme, qui peut généralement rester en liberté dans sa famille.
Le crétinisme, on le sait, est une affection endémique rencontrée dans certains villages des vallées montagneuses. On en ignore la nature exacte. L’on a tour à tour invoqué les conditions géologiques spéciales, la nature des eaux riches en calcaire et en magnésie, dépourvues d’iode, les mauvais conditions hygiéniques de l’habitat ou de l’alimentation, la consanguinité des mariages dans ces vallées isolées, etc.
L’étude de cas de crétinisme congénital a montré la diversité des causes fonctionnelles possibles. Le transfert transplacentaire des hormones iodées serait très limité (Crumbach et Werner; Hall et Myant). Il pourrait y avoir divers troubles métaboliques de la biogenèse hormonale intervenant dès le stade fœtal.
Les traitements glandulaires ou iodés peuvent donner des améliorations.
Consanguinité (texte paru en 1950)
Il y a un siècle déjà que l’on avait signalé le danger des unions consanguines pour la transmission des tares (Boudin, 1862) et Graham Bell en 1883 mentionnait la fréquence des mariages entre cousins germains dans l’ascendance des sourds-muets.
Le grand naturaliste Darwin, constatant lui aussi les dangers des mariages consanguins, souhaitait qu’une étude scientifique plus rigoureuse vint donner l’explication du phénomène. Suggérer des mesures prophylactiques appropriées. La « génétique », science nouvelle, nous les a apportées. En effet, beaucoup d’anomalies ou de tares (qu’elles soient morphologiques ou mentales) se transmettent conformément au schéma mendélien ordinaire. Soit que le gène anormal domine le gène normal correspondant ou qu’il soit dominé par celui-ci. Dans le cas des tares dominantes, le sujet taré a toujours un parent taré (hérédité continue ou directe). Alors que, dans le cas des tares récessives, il a presque toujours deux parents normaux.
Le danger des unions consanguines, entre cousins germains par exemple, est précisément d’augmenter les probabilités d’extériorisation des tares récessives. On conçoit, en effet, que deux individus de même ascendance soient, plus que deux individus pris au hasard de la population, exposés à porter le même mauvais gène.
Prenant l’exemple de l’albinisme (tare récessive), J. Rostand démontre par ses calculs qu’« un mariage entre cousins germains aura une chance sur 400 de produire des albinos Alors qu’un mariage entre individus non parents n’a qu’une chance sur 2,500 d’en produire ».
Il donne enfin quelques chiffres fournis par les statistiques pour diverses tares ou maladies récessives.
En ce qui concerne la neuropsychiatrie retenons les chiffres de :
Taux des mariages consanguins
- Rétinite pigmentaire ………………. 15 à 17 %
- Idiotie amaurotique ………………… 14 à 15 %
- Idiotie phénylpyruvique ……………. 15%
- Surdi-mutité héréditaire …………….. 9 à 23%
- Débilité mentale …………………….. 3 à 18 %
En définitive, la consanguinité ne présente des inconvénients que « pour autant qu’elle accroît les probabilités de rencontre des mauvais gènes. Si les gènes étaient tous de bonne qualité, ils pourraient sans dommage provenir indéfiniment de la même souche. C’’est ce qui explique que chez l’animal on a pu prolonger la consanguinité pendant des dizaines de générations. Cela sans nuire à la robustesse des produits, à la condition de maintenir la qualité génétique par une rigoureuse sélection ».
Malheureusement, une telle sélection n’est pratiquement guère possible pour l’espèce humaine. Là, où les unions, loin de se faire dans un but d’« amélioration raciale », sont trop souvent encore inspirées par les convenances, les caprices, les passions ou les intérêts.
On a bien tenté des efforts d’eugénisme et de stérilisation dans divers pays. Mais restent notoirement insuffisants au point de vue absolu. Ils se heurtent à des considérations très respectables d’ordre moral, religieux, social qui ont limité leur effet.
Ant. Porot.
Voir aussi :
