Idées de protection

Idées de protection : Étude sémiologique et clinique

Les idées de protection avaient déjà été signalées dans les belles études cliniques sur les délires que l’on doit aux aliénistes du XIXe siècle, mais elles ont rarement fait l’objet d’une description isolée. C’est parce qu’en pratique les idées de protection sont le plus souvent entremêlées à d’autres thèmes délirants, celui de persécution en particulier (plus de la moitié des cas), plus rarement celui de mégalomanie ou d’érotomanie. Toutefois, il arrive qu’elles émergent, d’une façon dominante, dans le complexus délirant et c’est ce qui a permis à quelques auteurs de les isoler dans certains cas. Lafon et Maurel en ont repris une étude très complète et ont plaidé leur autonomie (Ann. Méd. Psych., juillet 1954).

Les idées de protection sont essentiellement polymorphes et nuancées, soit, dans leurs formules, soit, du fait des circonstances cliniques qui les engendrent (modifications de la personnalité, supports affectifs, etc.) Leur mode d’expression est, dans la plupart des cas de type hallucinatoire (voix, plus rarement du type interprétatif. Une surcharge imaginative peut venir renforcer les autres mécanismes.

Ce sont tantôt des paroles de simple compassion et de consolation se présentant sous forme d’hallucinations auditives, ces propos provenant parfois d’un personnage haut placé et flattant le sujet qui les reçoit (cas de mégalomanes). Tantôt ce sont des conseils et des mises en garde, à titre d’avertissement. D’autres fois, enfin, le sujet a la sensation très nette qu’un fluide protecteur lui est envoyé par le défendre contre des rayons nocifs, ou que le protecteur verse le contrepoison dans des aliments suspects (cas des persécutés).

On peut observer aussi des idées de persécution bienveillante bien décrites jadis par Cotard, Séglas, Clérambault et surtout Sérieux et Codet ; elles constituent une des formes du délire hallucinatoire chronique de Sérieux et Capgras, présentées sous le titre de « délire de protection ». En pareil cas, il y a une véritable intrication de sensations favorables et de sensations pénibles. Le patient les interprète alors comme des épreuves d’endurance, des modifications bienfaisantes, des souffrances salutaires, etc.

On les observe aussi dans l’érotomanie. Dans ces cas qui ne sont pas très fréquents mais qui représentent la forme la plus pure du délire de protection, il y a sous la construction délirante une perturbation affective importante que l’analyse permet de déceler.

On conçoit que tous les faits envisagés aient été souvent décrits et même confondus avec les délires d’influence (v. Influence). Cellier même pensait que le thème de protection est le contenu le plus fréquent des délires d’influence.

L’ambivalence, telle que Bleuler l’avait décrite dans la schizophrénie glissant vers un état paranoïde, peut dans bien des cas être un autre suspect du délire de protection, surtout, comme c’est la règle la plus fréquente, quand elle s’associe à des idées de persécution.

« Le secret de cette affinité réciproque paraît résider dans la structure contradictoire de leur association où se reflète avec exactitude l’ambiguïté foncière des deux thèmes… L’ambivalence manifeste ou latente forme le nœud de cette association (Lafon et Maurel).

On peut aussi mettre sur le compte d’ambivalence d’autres formes mineures et antagonistes : le délire de controverse de Sérieux et Capgras avec le dialogue de ses doubles voix, sa dialectique du « oui » et du « non », et le manichéisme délirant de Dide et Guiraud. Ce sont ces formes que Lafon et Maurel désignent sous le nom de formes dégradées du délire de protection.

Rappelons aussi que Magnan attribuait aux idées de protection dans le délire chronique une valeur analogue à celle des idées ambitieuses et mégalomanes, d’un fâcheux pronostic évolutif.

Les rapports avec l’érotomanie sont des plus évidents. Souvent la protection équivaut à l’amour, comme l’avait noté G. de Clérambault quand il écrivait qu’un des postulats fondamentaux de l’érotomanie était la protection continuelle du sujet.

Comme on le voit en définitive, le thème de protection se situe au carrefour de la pensée morbide sous la plupart de ses aspects.

Il est intéressant de noter la façon dont réagit le sujet à ces idées de protection ; il reste passif le plus souvent, est conscient de l’inefficacité des efforts de ses protecteurs ; cette absence de réaction avait déjà été notée par Morel et Legrand du Saule ; Lafon et Maurel y ont de nouveau insisté. Le sujet souffre même souvent de cette lutte dont il est l’enjeu qui finit par le fatiguer et l’épuiser et qui, au surplus, n’arrête pas l’évolution progressive du délire. En dehors de quelques cas d’érotomanie où le sujet se complaît dans cette protection bienveillante, sa satisfaction, quand il en éprouve, est toujours quelque peu étriquée et se réduit à la longue à quelques attitudes et quelques formules stéréotypées.

Psychopathologie

Comme tous les délires chroniques, les délires de protection qui n’en représentent souvent qu’un aspect partiel tirent leurs racines des transformations de la personnalité et des perturbations affectives qui sont à la base de tous ces délires).

Ses relations avec le délire de persécution (cas le plus fréquent) ont été bien étudiées par Minkowski. Le thème de protection et de défense paraît à première vue comme une contrepartie du thème de persécution auquel il s’opposerait. En réalité, dit Minkowski, « ce qui s’oppose à un délire de persécution, ce ne sont point des idées de bienveillance, ni un mélange d’idées de bienveillance et de malveillance, mais le sentiment d’aisance et de liberté avec lequel nous évoluons dans la vie, malgré tous les obstacles que nous y rencontrons ».

Il n’y aurait donc, entre l’idée de persécution et l’idée de défense, qu’une pseudo-opposition verbale. L’apparition du thème de protection dans un délire de persécution, loin de signifier une discontinuité ou un répit dans l’évolution du délire, doit être considérée, ainsi que le font remarquer Lafon et Maurel, plutôt comme un enrichissement cohérent marquant la progression de la pensée morbide par une simple conceptualisation supplémentaire.

Quant aux racines affectives de ces thèmes délirants de protection, les psychanalystes veulent y voir la valeur d’un thème narcissique ou l’image du double se projette en forme de protecteur ; peut-être aussi dans certains états de carence ou d’inassouvissement affectif le protecteur pourrait-il être considéré comme représentant le symbole de l’amour maternel. De toute manière, la personnalité du sujet ne reste pas indifférente à leur production et des conflits dynamiques peuvent mettre en jeu des facteurs affectifs avec leurs mécanismes de projection et de compensation.

Retenons enfin l’intéressant point de vue d’H. Aubin à propos de la « pensée magique » (« L’homme et la magie », Desclées et Brouwer éd. Paris 1952). C’est la forme première et élémentaire de la pensée humaine chez le primitif : c’est aussi l’aspect dominant de la mentalité infantile, que la civilisation a contenu et refoulé dans l’inconscient mais qui peut émerger dans certaines circonstances pathologiques comme l’insuffisance mentale, les états de régression psychique avec altération de la personnalité ; cette « pensée magique » est essentiellement caractérisée par la croyance en une force extérieure surnaturelle, la « mana », qui commande notre comportement, force ambivalente, tantôt malveillante et agressive, tantôt bienveillante et protectrice ; certains thèmes délirants, associant la protection à la persécution, pourraient être considérés comme une résurgence de cette croyance.

Ant. Porot.

Quand le réel nous désespère, la rêverie constitue un facteur de protection. (Le Murmure des fantômes, Boris Cyrulnik, psychanalyste et psychiatre français). Image : Megan Jorgensen.
Quand le réel nous désespère, la rêverie constitue un facteur de protection. (Le Murmure des fantômes, Boris Cyrulnik, psychanalyste et psychiatre français). Image : Megan Jorgensen.

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