
Hystérie
Définition : Disposition mentale particulière, tantôt constitutionnelle et permanente, tantôt accidentelle et passagère, qui porte certains sujets à présenter des apparences d’infirmités physiques, de maladies somatiques ou d’états psychopathiques. Les manifestations produites peuvent être créées d’emblée et de toutes pièces (accidents hystériques primitifs), ou au contraire apparaître comme des surcharges, des exagérations ou des prolongations d’un état morbide légitime à son origine (associations hystéro-organiques).
1. Historique (grandeurs et décadence de l’hystérie). Connues de la plus haute antiquité (Hippocrate), les manifestations tumultueuses de cette tendance furent d’abord attribuées à des débordements passionnels, que l’on croyait exclusifs à la femme, d’où le nom d’hystérie (hustera = matrice), puis rapportées pendant longtemps à la possession démoniaque et exorcisées ; on y voyait alors par contagion de véritables foyers épidémiques (Ursulines de Loudun, convulsionnaires de Saint-Médard). Cette idée de possession et de sortilège se retrouve encore chez les peuples primitifs (Djenous des Nords-Africains) et ses manifestations collectives s’observent encore dans certaines cérémonie rituelles ou religieuses (Aïssauoas, derviches, etc.).
Pendant que s’édifiait, au XIXe siècle, avec Duchenne de Boulogne, Vulpian, Charcot, une neurologie faite d’affections anatomiques solides, tout ce qui était en dehors forma la vaste groupe de Névroses, qui, pour beaucoup d’entre elles, ne fut qu’un groupe d’attente (chorées, maladie de Parkinson, épilepsie) ; l’hystérie y tenait une place prépondérante et chaque jour croissante. Elle excitait au plus haut point la curiosité médicale par la richesse, la diversité, la singularité de ses manifestations; on la voyait partout et on la croyait capable de tout. C’était, disait Lasègue, la corbeille à papiers où l’on mettait tout ce qui était inclassable. Cette « mauvaise herbe » de la neurologie était soigneusement cataloguée dans toutes ses variétés; elle était même cultivée dans la serre chaude de certains services et y donnait des productions fantastiques et monstrueuses. Avec Charcot, ses minutieuses descriptions et ses présentations spectaculaires de la Salpêtrière, l’hystérie était à son apogée dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’édifice était fragile avec ses superstructures artificielles et allait s’écrouler. Mais la critique a peut-être été trop sévère pour Charcot ; ses successeurs : P. Marie, G. Guillan, Babinski lui-même, et tout récemment encore J. Lhermitte, ont souligné l’importante documentation clinique qu’on lui doit : révélation d’une hystérie masculine, de l’hystérotraumatisme, description clinique remarquable ; s’il s’est laissé prendre au mirage de la présentation d’hystériques inconsciemment dressés, il n’a pourtant pas ignoré les phénomènes de contagion mentale en cette matière et l’intérêt de l’isolement. Au point de vue psychiatrique, s’il a fait une trop large place à la « folie hystérique », il a bien décrit les crises hallucinatoires de ses malades : sa psychologie manquait peut-être de profondeur.

C’est si rare maintenant quand une femme a du tempérament, que quand une femme en a, on dit que c’est de l’hystérie. Pensées détachées (Jules Amédée Barbey d’Aurevilly, écrivain français). Image : © GrandQuebec.com.
Le début du XXe siècle a marqué une profonde transformation dans le problème de l’hystérie ; deux influences principales ont marqué ce bouleversement, d’une part la révision entreprise par Babinski sur le plan organique; d’autre part, l’avènement à la suite de Freud d’une psychologie « en profondeur » qui permit d’en mieux pénétrer les mécanismes psychogénétiques. On peut y ajouter une meilleure connaissance des interférences psychosomatiques si bien étudiés depuis quelque temps et qui ont suivi l’étude physiopathologique du diencéphale, de date récente.
C’est depuis 1901 que Babinski, par la précision rigoureuse de ses observations et sa méthode clinique patiente et inattaquable, a restreint et réduit considérablement le domaine de l’hystérie. Il l’a dépouillée de toutes les supercheries. Il a affirmé l’absence de toute lésion anatomique et localisée et montré le rôle considérable que jouait dans la production et l’enrichissement des symptômes, l’éducation et le dressage du malade par la suggestion inconsciente de l’entourage et aussi des médecins. Les prétendus stigmates de cette névrose étaient créés de toutes pièces par ce dernier (anesthésie sensitive ou sensorielle, rétrécissement concentrique du champ visuel, etc.). Tout dans l’hystérie était réversible, produit par la suggestion et pouvait disparaître par la persuasion. Et c’est pour souligner ce fait primordial qu’il créa le mot de pithiatisme. Tous les neurologistes, à de rares réserves près, s’inclinèrent devant la mise au point faite par Babinski, et l’on vit, comme par enchantement, l’hystérie se raréfier considérablement dans les services hospitaliers du temps de paix. Tant il est vrai, comme le faisait remarquer René Charpentier, que le nombre des accidents dits hystériques, augmente ou diminue selon l’audience qu’ils trouvent auprès des générations médicales successives.
II. Étude clinique (les manifestations dites hystériques et leurs caractères généraux). – Nous ne pouvons donner ici qu’une brève énumération de ces multiples accidents.
A) La plupart intéressent les systèmes de la vie de relation.
1. Accidents moteurs.
a) Les crises ou attaques,, qui ont rarement la sidération brutale et les décharges rythmées de l’épilepsie, sont faites d’une agitation désordonnée, tumultueuse, de contorsions, de rebondissements, d’attitudes extravagantes; pas de morsure de la langue, pas de perte des urines, pas de signes neurologiques objectifs ; la crise est souvent entremêlée d’agitation verbale, de cris, de rire, de pleurs, de lamentations ou d’invectives. Pas de dissolution complète de la conscience, la fonction vigile reste alertée, le sujet choisit le lieu de sa chute et ne se blesse jamais. La crise se prolonge souvent et se renforce sous les moyens de contention apportés par un entourage affolé.
La crise peut aussi revêtir la forme d’une attaque cataleptique ou léthargique.
b) Les paralysies sont un des accidents les plus fréquents : monoplégie, paraplégie, hémiplégie, sans hypotonie, sans modifications réelle des réflexes et très souvent surchargées d’une anesthésie apparente totale.
c) Les spasmes et les contractures souvent localisés peuvent créer de faux pieds-bots, des pseudo-coxalgies, des fausses défenses de la paroi abdominale (pseudo-appendicite), des pseudo-méningites, des plicatures vertébrales (campto-cormie), des contractures du diaphragme créant de faux météorismes, et parfois des pseudo-grossesses.
d) La fonction du langage peut paraître suspendue (mutisme ou aphonie hystérique).
2. Troubles sensitifs ou sensoriels. – Les anesthésies hystériques sont classiques : elles intéressent un segment de membre, un membre, une moitié du corps ou représentent d’autres fois un simple ilot aberrant (prétendu stigmate).
Les fonctions sensorielles peuvent paraître inhibées (pseudo-cécité, pseudo-surdité et parfois pseudo-surdi-mutité); on les déjoue par la persistance de certains réflexes comme le réflexe cochléopalpébral.
B) Manifestations neurovégétatives et viscérales.
L’ancienne hystérie était riche en manifestation de ce genre : fièvre, troubles vaso-moteurs, éruptions cutanées bizarres, oedèmes, accidents hémorragiques et viscéraux, etc. ; il y avait là beaucoup de supercherie (élévation du thermomètre par friction, oedèmes par striction, vomissements provoqués, pseudo-hémoptysie par hémo, sialémèse), le reste ressortit à des désordres neurovégétatifs (troubles vasomoteurs, tachycardie, polyurie).
Ces désordres neurovégétatifs apparaissent dans les mêmes conditions que les accidents moteurs sensitifs; ils relèvent le plus souvent d’une psychonévrose émotive sous-jacente ou d’un désarroi affectif; ils sont aujourd’hui intégrés dans la médecine psychosomatique et Targowla a fait remarquer il y a quelques années qu’il n’y avait eu, pour eux, qu’un changement de rubrique.
C) Manifestations d’apparence psychopathique.
a) Les unes sont paroxystiques et accompagnent la crise : ce sont les anciens délires hystériques dont l’aspect hallucinatoire avait bien été décrit par Charcot; dévidage du souvenir (délire ecmnésique), colloques, invectives avec attitudes extatiques et pseudo-visions ou propos érotiques avec attitudes passionnelles, etc.
b) En dehors de toute crise, on peut voir des syndromes plus ou moins durables rentrant dans le cadre de ce que nous avons décrit, avec Hesnard, sous le nom de syndrome expressionnel (v. Expression), mimique d’inertie, de stupeur, de négativisme, pseudo-catatonie, puérilisme mental, pseudo-confusion mentale, fausses amnésies, n’excluant pas cependant la sincérité (ces sujets restent amnésiques parce qu’ils ne savent pas qu’ils ne sont plus, disait G. Dumas, de certaines amnésies post-commotionnelles). Certaines formes de somnambulisme, certains états crépusculaires ou états seconds, ont été rangés dans ce groupe de manifestations. L’anorexie mentale elle-même était considérée par Lasègue comme de nature hystérique. Toutefois, il faut se monter assez circonspect en certaines circonstances et ne pas oublier que des manifestations hystériques peuvent traduire un déséquilibre très profond ou apparaître comme première manifestations d’un processus de dissociation qui va poursuivre son évolution dans le sens d’une schizophrénie confirmée par la suite.

Une personne hystérique peut perdre tous les traces de sa condition d’être humain. Photo : GrandQuebec.com.
D) Caractères généraux communs aux manifestations hystériques.
C’est d’abord leur absence de tout support organique réel, leur anorganicité ou l’absence de critère évolutif, c’est aussi leur réversibilité toujours possible par des moyens psychothérapiques opportunément appliqués. Il faut y ajouter le fait important qu’elles se déroulent très rarement dans le silence et le secret, qu’elles cherchent toujours plus ou moins consciemment à s’imposer à l’attention de l’entourage, à capter l’intérêt, et se renforcent de toute la sollicitude qu’elles éveillent. En outre, il y a derrière toute manifestation de cette nature un sens caché, une valeur symbolique, une signification expressive dont la pathogénie nous montrera les mobiles et les divers mécanismes. Parfois, cependant, il ne s’agit que d’une simple activité de jeu : « L’hystérique exprime pour exprimer, il exprime des aspirations banales sous une forme impressionnante », disait Hesnard et cet auteur avait pu définir l’hystérie une « névrose d’expression ». Dans cette réalisation expressionnelle, ajoutait-il, le simulateur de bonne foi qu’est l’hystérique construit son symptôme et imite la maladie, non comme le conçoit le neurologue, mais l’opinion vulgaire.
Et c’est pourquoi, après le déblayage et la mise au point opérés par Babinski, on a mieux vu apparaître la vraie figure de l’hystérie ramenée à un désordre mental dont il faut maintenant étudier les traits principaux et les mécanismes constructifs.
III. Étiologie et pathologie des accidents hystériques. – Deux erreurs d’optique sont à éviter, si l’on veut comprendre le problème de l’Hystérie.
1. Il ne faut pas prolonger l’erreur du XIXe siècle et y voir une maladie au sens nosologique du mot, une entité clinique autonome, avec ses constances étiologiques, symptomatiques et évolutives. Il n’y a, sous cette rubrique, qu’un amas de faits disparates et qui n’ont qu’un trait commun : leur caractère artificiel, base insuffisante pour asseoir une entité morbide. C’est pourquoi, en 1935, nous avions proposé de rayer le mot « Hystérie » en tant que substantif, évoquant cette idée d’entité morbide et de ne le garder que comme adjectif (« hystérique » servant de qualificatif à certains accidents).
2. Ces faits ne doivent pas être étudiés en bloc, mesurés à la même échelle et pliés à une pathogénie commune. Des catégories sont nécessaires, imposées par la diversité des situations, des circonstances étiologiques, du fond mental sous-jacent. Il y a des manifestations de nature constitutionnelle et d’autres accidentelles. L’hystérique débutant ou hystérique « vierge » de Van Bogaert, sincère et accessible à la contre-suggestion, n’a rien de la vieille hystérique chevronnée, cultivée à plaisir, qui se complaît dans son cabotinage vaniteux ou tyrannique, ni avec le traumatisé qui a consolidé ses accidents hystériques et a pris la mentalité des revendicateurs obstinés. On ne peut non plus raisonnablement mettre sur le même plan certains accidents hystériques du confus et du commotionné au réveil avec les fantaisies du mythomane qui fabule toute sa vie dans le domaine pathologique, comme dans le domaine social. C’est pourquoi, après avoir étudié certaines conditions de terrain et de mécanisme physiologiques, nous envisagerons différents types cliniques suivant leurs circonstances d’apparition.
A) Le support psychique et physiologique
Nous savons fort peu de chose sur son conditionnement biodynamique, qui peut être atteint consitutionnellement ou par des incidences climatériques de la vie ou, enfin, par certaines conditions pathologiques, comme l’ébranlement émotionnel.
Le choix du symptôme et de la localisation hystérique sont, dans un certain nombre de cas, manifestement favorisés par une fragilisation antérieure; sans parler de l’hystérotraumatisme où la chose est évidente, il peut y avoir des rappels d’affection ancienne qui orientent la détermination locale (J. Sutter).
1. Aptitudes et dispositions mentales. – De tout temps, on s’est penché sur ce qu’on appelait l’état mental des hystériques, il est loin d’avoir une formule univoque et ce sont seulement quelques traits fréquents de cette physionomie qui méritent d’être retenus.
a) La suggestibilité est à la base même de la conception de Babinski, elle est évidente dans la plupart des cas; elle a été décrite sous les noms de malléabilité mentale, de psychoplasticité (Dupré et Logre); on a parlé aussi d’une labilité spéciale, d’un affaiblissement de la synthèse psychologique (notion d’inconsistance de P. Janet); la suggestibilité peut être le fait d’une faiblesse native de la personnalité comme c’est le cas chez certains débiles, ou chez certains primitifs crédules, qui font des accidents de pithiatisme naïf, grossier; souvent s’y rencontre aussi un entêtement tenace qui s’oppose à toutes les tentatives de contre-suggestion.
Mais on peut retrouver aussi cette suggestibilité sous une forme acquise à l’occasion d’un fléchissement accidentel de la personnalité, provoquée par un conflit affectif, une confusion mentale, une commotion nerveuse, ou une émotion violente, ou s’installent à la faveur d’un processus dissociatif à son début (schizophrénie).
b) Certains déséquilibres constitutionnels sont favorables à l’éclosion des manifestations hystériques, c’est le cas en particulier de la mythomanie de Dupré.
Le mythomane fabule avec son corps qu’il affuble de pseudo-infirmités et de pseudo-maladies et qu’il laisse parfois mener jusqu’à la table d’opération (pathomimie de Dieulafoy).
c) Quelques auteurs (Delmas et Trubert) ont voulu faire de la vanité morbide le noyau central de la mentalité hystérique; il est indéniable qu’elle éclate aux yeux dans certains cas d’hystérie trop spectaculaire, qu’elle transparaît chez des sujets plus discrets, flattés cependant de l’intérêt ou de la sollicitude qu’ils suscitent; mais il ne faut pas élargir abusivement cette conception et l’appliquer en particulier aux hystériques accidentels.
2. Le conditionnement neurophysiologique. – Tout en admettant la réalité psychologique du pithiatisme de Babinski, certains neurologistes cependant ne peuvent se résoudre à émanciper complètement les phénomènes hystériques des lois de la physiologie nerveuse. Ses rapports avec le sommeil (sommeil partiel), soulevés autrefois par Claparède, Solliier, ont été repris à la faveur des nouvelles théories plus scientifiques de Pavlow et de son école, faisant jouer des inhibitions corticales et des réflexes conditionnels (Marinesco).
Claude et Baruk ont intégré les manifestations motrices de l’hystérie dans leurs syndromes psychomoteurs (v. ce mot), c’est-à-dire dans ce groupe de faits où s’intriquent manifestations psychiques et motrices et où se fait la mise en train volontaire; elles s’y placent à côté de la catatonie, forme beaucoup plus massive et globale du syndrome.
D’autres auteurs (Tinel, Baruk, et Lamarche, en 1928, puis Van Bogaert et Delbeck, en 1935), ont souligné les analogies qui existaient entre certaines manifestations hystériques et certains accidents sous-corticaux, extra-pyramidaux et particulièrement les accidents diencéphaliques : attaques avec attitudes de rigidité décérébrée, crises neurovégétatives, tics, spasmes d’enroulement et de torsion avec leur déclenchement ou leur suspension sous des influences psychiques (v. plus loin). Titeca, de son côté, signalait des petites modifications du tracé électro-encéphalographique, dans des cas d’accidents hystériques.
Tout cela donnait à penser à ces auteurs qu’il devait y avoir tout de même un conditionnement neurophysiologique des accidents hystériques. « Les hystériques ont des possibilités psychologiques qui ne possèdent pas les autres sujets », écrivait Tinel. Et la conclusion de Van Bobaert, parfaitement recevable, est qu’il « faut admettre chez les hystériques une labilité momentanée du pouvoir de synthèse supérieur au profit d’activités plus primitives et d’une incapacité de réintégrer ces fonctions momentanément libérées. Ce trouble (qui a peut-être une origine, mais certainement une contrepartie psychologique) utilise dans son expression des mécanismes physiologiques ». Conclusion qui s’inspire des doctrines jacksoniennes, acceptée aussi des psychiatres.
Signalons enfin que dans ces toutes dernières années, des travaux sur certaines encéphalites ont ramené l’attention sur des manifestations hystériques rencontrées au cours de formes à symptomatologie basilaire.
Radermeker et ses collaborateurs (R.N., juillet 1957, n 1, p. 25) ont présenté des cas d’encéphalites probablement du type épidémique viral qui comportaient une symptomatologie clinique assez superposable.
Le tableau fait de signes infectieux et neurologiques au début se poursuivait ensuite pendant une longue année par des troubles psychiques de type confusionnel, intermittents, mais par périodes de plus en plus brèves avec intensité décroissante dans plusieurs de ces cas existaient des dérèglements électroencéphalographiques. Cette même symptomatologie hystériforme (avec modification des tracés électroencephalographiques) a de son côté été signalée par Kammerer et coll. (Cahiers de psychiatrie, Strasbourg, mai 1956 et 1957, n 12). Quatre cas y sont signalés dont un suivi d’examen anatomique révélant des lésions histologiques au niveau du tronc cérébral. Il s’agit pour les auteurs d’un type spécial d’encéphalite basale à poussées successives qui remet en question le diagnostic d’avec l’hystérie.
B) Formules étiologiques
1. Hystérie et vie affective. Hystérie de conversion. – L’origine affective des troubles hystériques est relativement fréquente dans la pratique journalière courante. Certaines arriérations ou régressions affectives se signalent au moment de l’adolescence par des épisodes hystériques, crises nerveuses, paralysies, etc. Mais déjà, certaines manifestations hystéroïdes de l’enfance ne sont souvent que des névroses de revendication affective. Le refus de la vocation féminine chez certaines jeunes filles au moment de la puberté aboutit au même résultat. Chez la femme, des conflits affectifs refoulés sont à l’origine de beaucoup de névroses, dont la névrose d’expression hystérique est une forme fréquente. L’accident hystérique apparaît alors comme un phénomène de dérivation et de conversion (v. ce mot). Le refuge dans la maladie est un comportement fréquemment employé par des sujets insatisfaits ou tourmentés pour ramener sur eux une sollicitude qui leur paraît se dérober. Quant à l’émotion-choc, de nombreuses constatations du temps de guerre ou du temps de paix ont montré qu’elles n’engendraient jamais immédiatement et directement des phénomènes hystériques. « Quand une émotion sincère et profonde se secoue l’âme humaine, disait Babinski, il n’y a pas de place pour l’hystérie ». Mais l’ébranlement causé par l’émotion-choc peut avoir des répercussions profondes et prolongées, créer une psychonévrose émotive ou anxieuse propice à des efflorescences hystériques.
2. Hystéro-traumatisme, processus de consolidation et incidences secondaires. – On sait, depuis Charcot, que des accidents hystériques peuvent se greffer sur une zone traumatisée : c’est l’hystérotraumatisme; dans la genèse de ces manifestations, il faut faire intervenir parfois au début une dissolution plus ou moins complète de la conscience quand il y a eu commotion, et par la suite, une désadaptation d’une situation de vie normale, conditions propices à un fléchissement de la personnalité, d’ù réceptivité accrue à toutes les suggestions. C’est alors que, si l’on n’intervient pas, s’installent les phénomènes de consolidation, de persévération, avec toutes les incidences secondaires qui s’y ajoutent : sollicitude mal éclairée de l’entourage, suggestions utilitaires, etc. Le psychisme en subira le contrecoup, soit dans le sens du marasme hypocondriaque ou de l’apathie, soit plus souvent dans le sens de l’esprit de revendication; c’est la Sinistrose de Brisseau.
A cette consolidation psychique vont s’ajouter, malheureusement parfois, des réactions organiques secondaires qui étaient évitables : enraidissement articulaire, atrophies réflexes, etc. H. Claude et J. Lhermitte avaient établi, en 1917, que des altérations secondaires pouvaient apparaître au niveau des cornes antérieures de la moelle.
3. Hystérie de guerre. – Les accidents hystériques chez les commotionnés, les émotionnés et les blessés de guerre, ont fait l’objet de très nombreuses et très importantes études à l’occasion des deux dernières guerres mondiales. En 1914-1918, ce fut la consécration définitive des conceptions de Babinski ; G. Dumas souligne le rôle de la confusion mentale à sa phase de réveil, facilitant la suggestibilité et la persévération.
La dernière guerre a fourni à J.-M. Sutter l’occasion de reprendre, dans une série de travaux à la fois critiques et originaux, l’étude du gros problème des psychoses et des psychonévroses de guerre, avec toutes les manifestations hystériques qui les émaillent si souvent. Cet auteur a souligné le rôle préparant, pourrait-on dire, de la désadaptation sociale et d’une réadaptation nouvelle créées par la mobilisation et les dangers du combat. S’inspirant de la théorie organo-dynamique de H. Ey, il pense que les émotions impressionnantes ou les commotions du champ de bataille entraînent une double dissolution fonctionnelle de la personnalité : dissolution mentale, dissolution affective dans le sens de l’anxiété. C’est dans le désarroi de ce fléchissement par dissolution que s’opère un essai de reconstruction, non plus sur le plan d’une synthèse supérieure complète et harmonieuse, mais avec des éléments empruntés aux instances inférieures (activités diencéphaliques et sous-corticales).
Et nous voilà ramenés à la conception jacksonienne admise aussi par les neurologistes.
IV. Diagnostic (aux confins de l’hystérie). – Les accidents hystériques, faciles à diagnostiquer dans leurs formes pures, par leurs caractères généraux et le critère de la guérison par contre suggestion, présentent parfois avec les syndromes voisins, des correspondances et des analogies qui peuvent créer un embarras passager.
A) Hystérie et simulation
Rayée du cadre neurologique par Babinski, l’hystérie devint, pour quelques auteurs, une simulation pure et simple. L’accident pithiatique n’est qu’un accident simulé, d’après Boisseau qui a pu, à force de volonté, réaliser sur lui-même une anesthésie de type hystérique. Ce jugement de moralité un peu péremptoire n’a pas rencontré beaucoup de crédit.
S’il y a contrefaction dans les deux cas, elle repose sur l’intention délibérée de tromper chez le simulateur vrai, guide le plus souvent par son instinct de défense dans une situation critique (v. Simulation); dans l’hystérie, au contraire, il a toujours à l’origine une sincérité non douteuse; « l’hystérique est un simulateur, mais un simulateur de bonne foi » (Babinski); plus tard, par un glissement insensible et sous l’influence de suggestions utilitaires, il consolidera sont infirmité et se prendra à son propre piège. On a fait remarquer aussi qu’il était difficile d’admettre que l’hystérique s’impose de gaieté de cœur des attitudes parfois fort pénibles et qui, à la longue, peuvent devenir irréversibles. La joie et la reconnaissance témoignées par certains malades au moment de leur guérison plaident aussi en faveur de leur bonne foi.
Le problème de la sincérité est un des plus délicats en psychologie ; ce sentiment, comme tous les autres, a ses nuances, ses dosages, ses alliages. « La sincérité ne se présente pas comme une entité mesurable qui se laissera situer d’une manière précise à l’instar de la vérité ou de l’erreur (Dromard).
B) Hystérie et épilepsie
Le diagnostic entre la crise hystérique et la crise épileptique paraît théoriquement facile. En fait, il est souvent embarrassant, surtout en milieu militaire et dans les milieux indigènes. On assiste à des sidérations brutales avec chute massive, sans précaution, avec raidissement des membres, respiration bruyante ou suspension respiratoire. Malgré les apparences, en pleine crise, la dissolution de conscience n’est pas complète. Le sujet réagit à certaines invigorations par de brusques déplacements ou des mouvements de reptation. La reprise est parfois très rapide. D’autres fois, après une crise convulsive épileptique bien caractérisée explose un accès d’agitation qui, par les gesticulations, les délires ecmnésiques qui l’accompagnent, rappelle tout à fait à fait les manifestations hystérioformes. Parfois, aussi, il existe une véritable alternance entre des paroxysmes épileptiques et des décharges hystériques. Enfin, certains faits d’automatisme ambulatoire, certains états crépusculaires prolongés peuvent réaliser un véritable comportement hystérique chez des épileptiques avérés. La coexistence des deux états morbides, susceptibles de s’intriguer est admise par un certain nombre d’auteurs, elle correspond aux faits antérieurement décrits sous le nom d’hystéro-épilepsie et Dublineau admet un terrain convulsif commun. Le test au cardiozol et l’électro-encéphalographie ont pu rendre, en pareil cas, des services utiles pour la détermination d’une composante épileptique dans ces états mixtes.
Van Bogaert a rappelé, de son côté, les formes de passage qui existent entre les crises hystériques et épileptiques, en insistant sur celles qui ont leur conditionnement dans les zones osus-corticales; épilepsie striée, épilepsie-catalepsie de Baruk et Lagache, il a rappelé surtout les orages vaso-végétatifs que Gowers avait autrefois décrits sous le nom de « crises sympathiques » de Barré; ces crises, déclenchées par des facteurs psychiques émotionnels, peuvent aboutir à la chute et à une dissolution fugitive de la conscience.
C) Hystérie et pathologie sous-corticale
La pathologie sous-corticale et diencéphalitique n’est guère connue3 que depuis un demi-siècle à peine; il n’est pas douteux que beaucoup de ses manifestations (tics, spasmes, automatoses, désordres neurovégétatifs) figuraient au tableau de l’ancienne « grande névrose hystérique ». Mais il n’en reste pas moins qu’il y a entre quelques manifestations nettement diencéphaliques des correspondances soulignées par plusieurs auteurs (Tinel et Baruk, 1928; Van Bogaert et Delbeck, 1935).
Certains faits de catalepsie d’origine sous-thalamique n’ont guère de différence avec les catalepsies hystériques ou les catalepsies provoquées par hypnose. Certains états de dérèglement hypothalamique sont voisins de ceux qui précèdent, accompagnent ou suivent les attaques hystériques.
« La comparaison des états postencéphalitiques et hystériques, dit Van Bogaert, montre une analogie d’esprit et d’allure, elle décèle chez les deux groupes de malades une suggestibilité anormale et une labilité neurovégétative souvent du même signe. On voit, dans les deux séries, une participation importante des facteurs affectifs, une tendance à l’itération, à la contagion par voisinage des malades, au rythme, à l’absence de systématisation morphologique et une analogie dans les paroxysmes moteurs. Dans un cas comme dans l’autre, il semble bien s’agir de phénomène de désinhibition libérant les dispositifs de structure inférieure ». Mais Van Bogaert, qui n’entend pas faire de ce rapprochement une assimilation totale, ajoute : « La pathologie organique sous-thalamique a d’autres symptômes, une permanence et une irréductibilité foncière de ses manifestations, qu’on ne rencontre pas dans le pithiatisme. Les pathologies organiques et fonctionnelles utilisent dans leurs expressions les mêmes voies, les mêmes centres ».
Ainsi que l’a fait remarquer P. Guiraud (A.M.P., juillet 1951, p. 181) on ne saurait opposer des symptômes organiques à des symptômes psychogènes. Ces derniers résultent en effet d’événements qu’on peut exposer seulement en langage psychologique mais qui sont éprouvés par l’organisme malade, aussi bien sous l’aspect psychique que sous l’aspect neurophysiologique. Il faut se borner à constater que certaines suppressions de fonctions ne résultent pas de destruction mais d’incapacité de synergie entre des systèmes fonctionnels. Les conflits, les chocs émotifs, sont capables de provoquer dans le système nerveux des sortes de débranchements, de pertes de possibilités synergiques, récupérables par psychothérapie, par choc, par changement de situation vitale.
D) Hystérie et troubles réflexes physiopathiques
Chez les blessés de la guerre 1914-1918, Babinski et Froment avaient isolé des états parétiques ou des contractures d’un type spécial qui avaient, à première vue, quelques traits apparents des manifestations pithiatiques, en particulier la disproportion entre le déficit fonctionnel et une blessure souvent minime des extrémités, d’où apparence d’exagération. Toutefois, elles n’en distinguaient par un certain nombre de signes objectifs : surréflictivité tendineuse, troubles secrétoires et trophiques surajoutés, modifications thermiques locales, modification légère des réactions électriques; la contracture physiopathique résiste longtemps sous le sommeil chloroformique, tandis que la contracture hystérique disparaît précocement. Enfin, ces accidents sont absolument inaccessibles à la contre-suggestion. Ajoutons que Babinski, lui-même, a montré des associations possibles avec des amplifications hystériques, ces faits ont une origine réflexe et semblent bien mettre en cause les voies du sympathique.
Cette notion des troubles réflexes à cheminement sympathique, a été reprise et étendue il y a quelques années par Barré dans ses syndromes extenso-progressifs; mais il s’agit-là de phénomènes à retardement, dimidiés et non pas segmentaires des membres.
L’intérêt de tels faits est à retenir au point de vue médico-légal.
E) Hystérie et schizophrénie
L’entrée dans la schizophrénie par des manifestations de type hystérique n’est pas une rareté si le psychiatre doit avoir cette notion toujours présente à l’esprit. Après une série d’accidents du plus pur pithiatisme parfaitement réversibles, de jeunes sujets présentent des troubles du comportement qui donnent l’éveil sur une dissociation schizophrénique; le pronostic bénin que l’on était tenté de porter au début se trouve profondément modifié. Rappelons que H. Claude, qui a bien étudié ces faits, a montré qu’il s’agit, dans les manifestations de l’hystérie et dans celles de la schizophrénie, des mêmes processus dissociatifs. Entre les manifestations de type volitionnel bénignes de l’hystérie et les réactions motrices plus stabilisées de la série catatonique, il n’y a, dit-il, qu’une différence de niveau dans la dissociation. Les premières sont encore accessibles à la psychothérapie qui reste impuissante devant les secondes et doit céder la place à l’insulinothérapie.
V. Conduite à tenir (prophylaxie et traitement). Le mérite de Babinski ne fut pas seulement d’avoir mis au point le problème de l’hystérie sur le terrain scientifique, mais surtout d’avoir rendu un énorme service au point de vue prophylactique et thérapeutique.
On a vu très rapidement disparaitre l’hystérie trop spectaculaire observée dans les services de neurologie du temps de Charcot. Les médecins ont appris à prendre une attitude plus réservée vis-à-vis de ces manifestations et, ayant dépisté précocement leur nature, à faire un rapide redressement de ces situations anormales.
Tout praticien peut être appelé d’urgence à l’occasion d’une attaque ou d’une grande crise hystérique qui se déroule au milieu d’un entourage affolé. Le premier devoir est de faire le vide autour du malade et de le laisser se débattre dans le silence; souvent, devant l’impassibilité du médecin, il se calmera très vite. Rappelons aussi quelques pratiques courantes d’ancienne date qui peuvent être utilisées séance tenante : flagellation à l’eau, compression des globes oculaires ou des ovaires. Mais si ce calme tardait à venir, l’envoi d’urgence et l’isolement dans un service spécialisé mettraient fin aux désordres au bout de quelques heures et permettraient alors le redressement psychothérapique nécessaire.
En présence d’un cas suspect d’hystérie, le médecin devra chercher à en détecter l’origine et les mobiles souvent secrets. Il verra d’abord s’il a affaire à un simulateur intéressé ou à un mythomane en mal de fabulation; il ne se laissera pas prendre aux apparences d’ingénuité et de sincérité de certaines mythomanes astucieuses.
Si la bonne foi ne paraît pas en cause, il faudra garder vis-à-vis du ou de la malade une attitude compréhensive, mais sobre et ferme.
S.il s’agit d’un sujet jeune, il y aura lieu de rechercher, soit l’arriération affective, soit les conflits intimes qui peuvent être en cause et appliquer la psychothérapie appropriée, une période prolongée d’isolement suivie d’un changement de milieu est souvent nécessaire quand le climat familial paraît entretenir les désordres.
Il ne faut pas perdre de vue que les manifestations hystériques ne sont souvent que la superstructure d’un état névrosique ou psychopathique sous-jacent; une fois cette surcharge réduite, il faudra pousser très profondément l’étude de l’état mental et instituer son traitement propre. J.-M. Sutter a souligné le réel danger que la disparition d’une conversion pouvait quelquefois entraîner chez des anxieux (réactions suicidaires).
Dans le cas d’hystéro-traumatisme, il y a intérêt à fixer au plus tôt la date de consolidation et la reprise du travail dès qu’il sera jugé possible.
Dans l’hystérie de guerre, la création de centres spéciaux aux armées mêmes a rendu d’immenses services et la narco-analyse a permis dans un bon nombre de cas une libération rapide de l’anxiété sous-jacente.
Le ré-entraînement immédiat, la réadaptation, la thérapeutique de groupe ont permis la récupération précoce et ont préservé bien des blessés des surcharges pithiatiques interminables.
En présence de manifestations hystériques prolongées, il faut se montrer très prudent dans l’emploi des traitements physiothérapiques ; l’électricité ; l’électricité, le courant faradique en particulier, ne doivent être employés que comme un moyen de démarrage moteur ou de réveil de la sensibilité; (1914-18), conçu dans cet esprit, ne constituait qu’un premier temps, dans une thérapeutique de rééducation et de ré-entrainement.
La psychanalyse est indiquée, soit en face d’accidents qui se prolongent après avoir résisté aux thérapeutiques de suggestion ou de persuasion armée, soit pour tenter, chez des sujets jeunes, de modifier la prédisposition à de nouveaux accidents.
Il faut aussi se rappeler que, dans un certain nombre de cas, les manifestations hystériques ne sont souvent qu’une superstructure à une psychose ou à une psychonévrose sous-jacente, dont il conviendra de poursuivre le traitement propre.
Ant. Porot
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