Hygiène mentale

Hygiène mentale

L’hygiène mentale est l’ensemble des précautions et des mesures destinées à maintenir l’équilibre psychique, à prévenir les désordres mentaux et à faciliter l’adaptation des sujets à leur milieu. Cette action préventive peut s’exercer soit sur le plan individuel, soit sur le plan collectif et social.

1. Sur le plan individuel. – L’homme qui veut se maintenir en bonne santé mentale, doit se maintenir d’abord en bonne santé physique, et le vieil adage : Mens sans in corpore sano, n’a rien perdu de sa valeur. L’équilibre psychiatrique, le jeu régulier des grandes fonctions, conditionne l’équilibre mental et le jeu régulier de l’esprit. Ce sont vérités banales dans le détail desquelles il est inutile d’entrer. Les petits désordres nutritifs et métaboliques entraînés par les fautes de régime alimentaire, par la vie sédentaire, un mauvais fonctionnement du tube digestif sont à la base non seulement de troubles cénesthésiques et hypocondriaques multiples, mais peuvent engendrer des troubles psychiques plus graves par le mécanisme de l’autointoxication.

Nous ne citons que pour mémoire le danger créé par l’alcoolisme et la répercussion fâcheuse chez certains sujets de quelques toxicomanies mineures (tabagisme, caféisme).

Le problème du sommeil doit être au premier plan des préoccupations de l’homme soucieux de maintenir son activité psychique en bonne forme ; rien ne doit porter atteinte au repos périodique compensateur de la nuit; il faut condamner en particulier les veillées excessives, comme l’abus des hypnotiques que font certains sujets. L’insomnie comme l’anxiété qui l’accompagne et la cause souvent, est une des composantes majeures du surmenage dont nous avons dit ailleurs l’action nocive sur le psychisme. Avec l’anxiété, nous entrons dans le domaine de la vie affective qui est bien le secteur le plus exposé et le plus vulnérable de la vie mentale, celui dont les attentes et les désordres ont les plus graves répercussions sur l’équilibre psychique.

Personne n’est maître d’écarter de soi certaines fatalités, certains événements comme les deuils, les déceptions, les échecs ou les surprises inattendues qui peuvent se jeter momentanément en travers de sa vie normale ; l’homme en bon équilibre saura surmonter ces incidences par son tonus moral ; quelques-uns y ajoutent le secours de leurs conceptions philosophiques ou religieuses. Mais ce sont toujours, comme on le sait, les petits chocs émotifs, répétés, quotidiens, inhérents à des situations difficiles, qui ont une répercussion pénible sur l’énergie morale et peuvent créer parfois un véritable état d’anaphylaxie émotive, amorcer des névroses ou provoquer des psychoses réactionnelles (crise anxieuse, état mélancolique, décharge passionnelle); aussi tout sujet en pareille situation doit-il s’efforcer de liquider au plus tôt et au mieux tous les conflits affectifs, dissiper les incertitudes et les équivoques qui entretiennent son inquiétude; tout cela exige évidemment une maîtrise de soi, une affirmation de la volonté, aisées chez quelques privilégiés du caractère, plus difficiles pour les esprits faibles.

Les pratiques d’« autosuggestion » peuvent avoir leur valeur en pareil cas ; on voit du reste périodiquement s’offrir au grand public, certaines doctrines érigées en système par leurs auteurs qui prônent l’éducation rationnelle de la volonté, le « self-entrainement » ; quelques-unes ont des fondements psychologiques rationnels ; d’autres ne sont que des techniques naïves et empiriques qui n’en ont pas moins eu leur heure de célébrité.

Mais c’est surtout chez l’enfant que cette hygiène affective est indispensable, car on peut voir se compromettre sérieusement l’avenir de son équilibre psychique par les déformations caractérielles qui peuvent se constituer à cette époque; nous en avons longuement traité ailleurs.

Enfin, n’oublions pas l’importance du facteur hérédité en pathologie mentale, et les déductions eugéniques que l’on peut en tirer : les conseils opportuns au moment du mariage, certificat prénuptial. Certains pays ont proposé et appliqué la stérilisation des anormaux.

II. Sur le plan social. – Nous ne rappellerons pas ici d’histoire des conceptions et des préjugés qui ont longtemps fait tenir l’aliéné pour un sujet inspiré, possédé ou dangereux. On trouvera au mot Assistance psychiatrique toute l’histoire des transformations de régime qui, à la suite de l’intervention heureuse de Pinel (1792), ont abouti en France à la loi d’Assistance et Protection du 30 juin 1838. Le XIXe siècle et surtout le XXe siècle, placèrent progressivement la pathologie mentale sur le même plan que les autres secteurs de la pathologie humaine. Elle a servi la médecine contemporaine dans son évolution vers le plan social (prophylaxie, hygiène). Si l’on a pu définir l’hygiène : « Cette partie de la médecine qui traite du milieu où l’homme est appelé à vivre et qui cherche à le modifier dans un sens favorable à son développement », cette définition est particulièrement applicable à l’Hygiène mentale, et Genil Perrin, à qui nous empruntons cette remarque, ajoute encore : « S’il est un ordre de maladies où il soit nécessaire d’aller au-devant du malade sans attendre que le malade vienne au médecin, où il soit fréquent que le malade, où le dépistage précoce soit indispensable en vue de l’isolement et de la protection sociale, s’il est, enfin, un ordre de maladie ou s’impose impérieusement le recours aux méthodes modernes de la médecine sociale, c’est bien celui des maladies mentales ».

A) Les préjugés à combattre

Mais ce mouvement a été longtemps contrarié par quelques préjugés tenaces sur la folie, préjugés en voie de régression, mais qui n’ont pas encore complètement disparus. Ce sont :

  • La croyance à un fatalisme évolutif de la folie, et à son incurabilité, alors que les statistiques des services de traitement précoce donnent des proportions de guérison sociale importante (40 à 60%) ;
  • Le caractère mystérieux et la terreur qu’inspire encore la folie à beaucoup d’esprits ;
  • L’idée que tout malade mental est un être dangereux ou malfaisant (ou la peur qu’il inspire), alors que beaucoup ne sont que des malheureux inoffensifs ;
  • La tendance à considérer tout malade, touché même légèrement, comme désormais incapable de toute manifestation normale;
  • Enfin, le caractère infâmant de la tare mentale.

Heureusement, la multiplication des consultations et des dispensaires, des Services ouverts, a eu pour premier effet d’abaisser la barrière qui stigmatisait le psychopathe et laissait planer sur lui et sa famille une suspicion illégitime.

B) Naissance et développement du mouvement d’hygiène mentale

La loi française de 1838 pourrait, dans une certaine mesure, être considérée comme une des premières lois d’hygiène et de protection sociale; mais elle ne prévoyait pas les cas légers ni les simples prédispositions. Elle permettait de faire la part du feu, mais non de prévoir l’incendie.

Falret avait déjà envisagé la réadaptation sociale des aliénés, Quelques sociétés de patronage s’étaient constituées en leur faveur. La Finlande est un des premiers pays à avoir créé, en 1897, des œuvres en faveur de l’hygiène mentale.

Mais c’est par un véritable apostolat que se diffusa l’idée d’Hygiène Mentale, En 1903, à New-York, un jeune employé d’assurance, Cliff Beers, qui venait de passer deux ans dans un asile, publia à sa sortie, après guérison, un livre (Une intelligence qui se retrouve) qui eut un grand retentissement en Amérique. Il entreprit une campagne à laquelle il intéressa des personnalités éminentes. Un riche philanthrope, Henry Phipps, créa une clinique psychiatrique, à l’hôpital John-Hopkins et devint le mécène attitré du mouvement.

En 1909, était fondé le Comité National d’Hygiène mentale, à New York, avec sa revue trimestrielle Mental Hygiène.

En France, le D. Toulouse faisait une campagne, dès 1899, en faveur des services libres. En 1918, par l’intermédiaire de Mourgues, il prenait contact avec le mouvement américain, fondait un Comité National d’Hygiène Mentale avec Genil Perrin, H. Claude, Antheaume, Roubinovitch.

En 1922, Beers vint poursuivre sa propagande et Europe où se fondèrent de nombreux comités ; mentionnons l’activité particulière d’Auguste Ley, en Belgique; de Répond, en Suisse.

Deux Congrès Internationaux d’Hygiène Mentale connurent un grand succès (Washington, 1931 ; Paris, 1937).

Dans l’ordre pratique, se fondèrent un certain nombre de Services ouverts, dont l’hôpital Henri-Rousselle, créé par le Dr. Toulouse, est le plus accompli.

Ce n’est qu’en 1938 qu’une circulaire ministérielle a préconisé, en France, la création de Dispensaires de Psychiatrie, de Services ouverts et prôné le développement du Service social.

À l’étranger (Belgique, Suisse, Pays-Bas), des réalisations intéressantes avaient déjà matérialisé ces idées sociales.

Une Fédération mondiale, réunissant toutes les ligues de l’Hygiène Mentale, s’est constituée après la dernière guerre et a tenu déjà 3 Congrès (Londres, 1948 ; Genève, 1949 ; Paris, 1950).

La Vie Réunion de la Ligue européenne d’Hygiène mentale tenue à Berlin – Ouest, 11 et 12 août 1956, s’est occupée de l’influence des distractions modernes sur le psychisme des individus (radio, télévision, cinéma) ainsi que du problème des loisirs. « La technique écrase l’humanité au moment même où celle-ci doit faire face à une modification de ses conditions biologiques ». (V. Frank).

Sous les hospices de l’O.M.S., avait déjà eu lieu en 1955, à Monaco, une réunion qui mit à l’étude les conditions nécessaires d’une hygiène mentale envisagée sous l’angle de la Santé publique ; mais ainsi que le faisait remarquer R. Charpentier dans un bref compte rendu (A. M. P., décembre 1955, p. 975) les participants étaient par la plupart des fonctionnaires, quelques infirmières et les psychiatres ne s’y trouvaient qu’au nombre de deux.

C) Les principaux secteurs de l’hygiène mentale

Le domaine de l’hygiène mentale s’est élargi d’année en année et est devenu aujourd’hui considérable. On peut grouper sous 4 chefs ses principales tendances :

1. L’étude des facteurs étiologiques des désordres mentaux, héréditaires, individuels, sociaux, psychologiques, pathologiques, économiques et leur prophylaxie.

D’intéressantes études génétiques ont montré la part qu’il convenait de réserver à l’hérédité, et certains pays n’ont pas hésité à réclamer des mesures d’épuration, telles que la stérilisation obligatoire. Dans l’ordre social et économique, l’amélioration du sort des travailleurs, les congés payés, la lutte contre le taudis et les autres fléaux sociaux (tuberculose, syphilis et surtout alcoolisme), sont à l’ordre du jour des préoccupations gouvernementales.

2. Le dépistage et la précocité des soins : de la précocité des soins dépend le pronostic de la maladie et les charges ultérieures qui incombent à la société en matière d’assistance. Un aliéné, qu’on n’a pas su dépister et traiter au début de sa maladie, va être toute sa vie durant à la charge de l’État, une fois passé à la chronicité.

Nous ne pouvons qu’énumérer ici l’armement utilisé par ces entreprises d’Hygiène Mentale : dispensaires et consultations spécialisés, services ouverts, et surtout création d’un Service social, particulièrement nécessaire en la matière; plus qu’ailleurs, le rôle d’assistantes spécialisées est indispensable pour la détection précoce des désordres par des enquêtes auprès des familles, ou pour des démarches auprès des autorités (Commissariat, Justice, Administration) ; leur action n’est pas seulement utile au début ou pendant le cours de la maladie, elle s’exercera encore pour le reclassement et la surveillance des malades après leur guérison.

En certains pays, des Comités de Patronage étendent leur action sur les malades après leur traitement hospitalier; ajoutons que, déjà, dans certains hôpitaux psychiatriques de France, des Thérapeutiques de Groupe, des essais de vie collective parfois partagée avec le personnel infirmier, facilitent grandement la réadaptation sociale.

On a mis l’accent, dans ces dernières années, sur ce qu’on a appelé le « service d’accueil » à l’entrée du malade à l’hôpital, ce service d’accueil étant surtout destiné à amortir le choc moral causé par la séparation du malade de son milieu habituel et la tristesse de l’isolement. En France, Sidadon s’est fait l’apôtre de cette « humanisation » psychiatrique.

3. La Psychotechnique et l’Orientation professionnelle ont pris un essor considérable en ces dernières années ; elles ont permis l’ajustement des surjets à leurs possibilités sociales; elles ont protégé certaines collectivités militaires ou civiles, certaines entreprises industrielles ou certains services de l’État, contre l’encombrement par des indésirables et évité bien des déceptions carrière, génératrices des déchets sociaux, avec toutes leurs conséquences psychopathiques.

4. L’effort considérable entrepris depuis un quart de siècle en faveur de l’enfance anormale et inadaptée, représente certainement la contribution la plus importante et la plus heureuse qu’on ait pu apporter à la prophylaxie des maladies mentales. On sait, en effet, combien de névroses tirent leur origine de troubles affectifs et caractériels de l’enfance et combien de réactions antisociales, souvent pathologiques, ne sont qu’une conséquence lointaine d’une inadaptation de l’enfance.

Ant. Porot.

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« Règle d’hygiène : n’aie jamais deux fois la même pensée. » (Alain, philosophe français, né en 1869 et décédé en 1951). Illustration : © Megan Jorgensen.

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