Humeur et joie

Humeur et joie en psychiatrie

“L’humeur est cette disposition affective fondamentale riche de toutes les instances émotionnelles et instinctives, qui donne à chacun de nos états d’âme une tonalité agréable ou désagréable, oscillant entre les deux pôles extrêmes du plaisir et de la douleur » (J. Delay).

La régulation de l’humeur semble bien sous la dépendance d’une fonction spéciale qui a son centre dans le diencéphale. On a donné le nom de fonction thymique à cette régulation de l’humeur. Suivant que l’humeur est exaltée, ralentie ou déficiente, on dit qu’il y a hyperthymie, hypothymie ou athymie. Toutes les perturbations de l’humeur constituent des dysthymies.

Il y a des dispositions constitutionnelles de l’humeur dans le sens de l’euphorie ou du pessimisme, de l’enthousiasme ou de l’indifférence, de l’exaltation ou de l’apathie.

Quant aux troubles morbides de l’humeur, ils sont fréquemment observés en clinique psychiatrique.

Ils sont parfois au centre même de l’affection, comme dans la manie (humeur gaie et expansive) et la mélancolie (humeur triste et douleur morale) ; ils sont, d’autres fois, secondaires à des processus très divers et vont généralement de pair avec des modifications du caractère et des troubles du comportement. Ils peuvent être parfois prodromiques d’une affection en voie d’installation, qu’elle soit organique (méningites et encéphalites) ou psychosique (schizophrénie, délires chroniques) enfin, ils peuvent persister à titre de séquelle à la suite de quelques affections (encéphalites, confusions mentales, commotion cérébrale).

On a décrit aussi sous le nom de catathymie des variations de l’humeur à début brusque et assez brèves, soit dans le sens de l’excitation, de la dépression ou de la passivité.

Ant. Porot.

Joie, Joie morbide

La joie est la manifestation du contentement intérieur. Elle peut être dans certains cas simplement conditionnée par une disposition heureuse de l’humeur ou un optimisme foncier : c’est l’euphorie. Elle est, le plus souvent, la réaction à une surprise agréable, au succès d’une entreprise, à la réalisation d’un désir. Ce sont surtout les satisfactions d’ordre affectif et sentimental qui la suscitent. Sur ce plan affectif, elle représente le pôle opposé à celui de la tristesse.

Les manifestations de la joie peuvent être d’ordre intérieur et intime : joie de la découverte scientifique, de la création littéraire ou artistique, ravissement mystique. Mais la joie à une force expansive qui, même dans ces cas, arrive à l’extérioriser : attitude extatique des mystiques, joie explosive d’Archimède. Le plus souvent, cette force expansive se manifeste par une certains exaltation de la personnalité, par l’exubérance dans les propos et les gestes, de l’hilarité, etc.

Parfois même, la joie peut déclencher des mimiques discordantes ou paradoxales (« pleurs de joie) avec agitation (ivresse émotive). Dans ces phases expansives, la joie s’accompagne souvent de concomitants physiologiques : ampleur et profondeur de la respiration, accroissement de la circulation et vasodilatation périphérique, augmentation des métabolismes, des sécrétions, etc. On a signalé aussi le déclenchement de crises cataplectiques à l’occasion d’une émotion joyeuse, et, sous une forme plus réduite, le relâchement du sphincter vésical.

Il y a des joies anormales et morbides. Rogues de Fursac en distingait deux formes : la forme calme et la forme active. Dans la première, il rangeait la satisfaction béate de certains paralytiques généraux inconscients de leur déchéance, l’euphorie étonnante de certains tuberculeux au dernier stade de leur maladie et l’état extatique des délirants mystiques. La forme active, exubérante et expansive, de beaucoup la plus fréquente, se rencontre dans l’état maniaque, dans certains épisodes agités de la paralysie générale, dans certaines ivresses toxiques (alcool).

Mentionnons aussi la joie superficielle et puérile de certains débiles mentaux, souvent hypomanes du reste.

D’une façon générale, chaque fois que les dispositions affectives sont gravement perturbées, par carence ou discordance, la joie morbide peut apparaître. C’est le cas de certains déments précoces dont le rire, immotivé et discordant, est très symptomatique. C’est un trouble instinctivo-affectif qui commande la joie perverse des sadiques. Des déments organiques, – les presbyophréniques en particulier – ont des hilarités parfois incoercibles que rien ne justifie.

Rappelons aussi le rire spasmodiques des pseudo-bulbaires et certains accès de fou rire signalés dans les atteintes sous-corticales. La joie, dans ces cas-là, n’est qu’un dérèglement mimique qui n’a plus de substratum ou de contenu idéo-affectif.

Ant. Porot.

Thymie, Hormothymique

Terme employé comme synonyme d’humeur, de ton affectif, et le plus souvent associé à un préfixe qui sert de qualificatif.

Exemple : Cyclothymie ou humeur alternante. Hyperthymie ou exaltation de l’humeur (manie). Hypthymie ou dépression de l’humeur.

La « thymie » entre pour une bonne place dans la conception bioneurologique que Guiraud a présentée comme introduction à l’étude de sa Psychiatrie clinique; en association avec la « horme », elle constitue le système hormothymique de cet auteur, centre primordial et fondamental de toute activité neurologique et psychologique.

A. P.

Humeur et joie
Humeur et joie en psychiatrie. Joie morbide. Joie de vivre.  Photographie par GrandQuebec.com.

Catathymie

“La transformation que l’affectivité fait subir aux contenus psychiques” (Kretschmer).

« Perturbation paroxystique des fonctions thymiques portant uniquement sur l’humeur exclusive de troubles de la conscience et des perceptions et des modifications de la sphère affective primaire émotionnelle (Hormé) dans la mesure où celle-ci n’interfère pas son activité avec la fonction thymique » (Fenous, thèse, Toulouse, 1955).

Cet auteur en distingue plusieurs formes :

– Catathymie dépressive : faite de mélancolie, de bradykinésie psychique et motrice ;

– Catathymie expansive : avec euphorie, gaieté ou colère ;

– Catathymie de passivité : avec relâchement du tonus affectif, akinésie motrice.

Elle survient souvent très brusquement et déclenche toute une perturbation de l’activité mentale; elle constitue parfois un raptus préschizophrénique.

Système hormo-thymique

Dans sa conception neurobiologique de la vie, et s’appuyant sur une conception unitaire de l’être humain (monisme à double aspect, selon l’expression de Wundt), P. Guiraud envisage l’aspect nerveux de la personnalité « sous forme d’un certain nombre de systèmes anatomo-fonctionnels, intégrés selon des modes divers de plus en plus complexes et fonctionnant solidairement pour constituer l’unité de l’être vivant ». Chacun de ces systèmes possédant un double aspect : psychologique et anatomophysiologique.

À la base existe un système fondamental : le système hormo-thymique, essentiellement dynamique, correspondant à l’inconscient profond des psychanalystes, ou activité instinctive pure de la psychologie traditionnelle. Cette activité comporte un certain nombre de composantes qui sont :

  • Hormiques, c’est-à-dire représentant le dynamisme d’une tendance à satisfaire certains besoins primordiaux (faim, reproduction, défense) ;
    Thymiques, c’est-à-dire provoquant des états affectifs spécifiques, agréables ou désagréables ;
  • Effectrices, ou ossitiques, ou douées d’un potentiel réalisateur.

Mais les instincts et leurs composantes ne sont pour P. Guiraud que des manifestations artificiellement isolées de la hormé au sens de Monakow, soit de l’ardeur vitale ou élan vital de Bergson. C’est, dit-il, un réservoir de puissance également ressenti comme un courant continu plus ou moins impétueux et rapide.

Cependant, la notion de durée biologique est incluse dans le temps objectif des sciences de la nature, ce en quoi P. Guiraud se sépare des phénomènologistes qui, à la suite d’Heidegger, tendent à faire du temps une qualité spéciales du vécu.

L’aspect thymique de la hormé serait un « éprouvé global d’être en vie ». C’est ce que l’on perd dans la syncope par exemple. La thymie primordiale, ou coenothymie, globale et atopique, nuancée d’euphorie ou d’anxiété, est l’expression d’une intégration continue à laquelle participent sans cesse tout le corps et les modifications du monde extérieur. Le terme de coenothymie est préférable à celui de cénesthésie, impliquant une conscience du Moi plus différenciée.

Ce système hormo-thymique possède des activités régulatrices ou activatrices de mise en train ou d’arrêt, de variations des différents rythmes vitaux : « Si l’on compare les fonctions régulatrices à un balancier réglant le mouvement d’une montre, il faut concevoir aussi l’étage hormo-thymique comme contenant le grand ressort, c’est-à-dire le créateur du mouvement et de l’activité ».

Du point du vue anatomique, Guiraud s’appuie sur les dernières données de la neurophysiologie.

Les travaux de Magoun sur la substance réticulaire, péri-épendymaire du tronc cérébral ont établi sa fonction d’activation corticale de l’état de vigilance, d’éveil ou d’attentivité, résultant d’une intégration à son niveau d’afférences sensitivo-sensorielles et végétatives de tout l’organisme. Pour Guiraud, l’aspect psychologique de ce dynamisme activateur est justement « l’épreuve global d’être en vue » et son aspect thymique, la coenothymie. Il en rapproche en outre certaines sensations cénesthésiques étudiées par Baruk, mal localisées mais partielles, qui pourraient résulter d’atteintes sur leur trajet des voies destinées à cette région mésodiencéphalique.

Par ailleurs, d’autres formations anatomo-fonctionnelles englobant la totalité de l’hypothalamus, intéressant également le psychisme en dehors des états de veille et de sommeil : c’est le système centre-encéphalique de Penfield étudié expérimentalement en particulier par Hess.

Enfin, les éléments du cortex archaïque identifiés par l’embryologie et l’histologie forment ce que Gastaut appelle le rhinencéphale élargi, correspondant au cerveau végétatif de Fulton. Ces éléments sont en rapport avec la partie ancienne du thalamus et de l’hypothalamus.

Rapprochant les différents comportements (peur, colère, indifférence, attention) obtenus chez l’animal par Hess comme par Hastaut, ainsi que certaines observations de Magoun sur la vigilance, P. Guiraud affirme l’unité fonctionnelle du bloc : cortex ancien, paléothalamus, hypothalamus ayant pour fonctions « des activités complexes » réalisant des comportements nécessaires à la satisfaction de certains besoins vitaux ».

Des faits cliniques tels que l’aura de l’épilepsie temporale, les syndromes de l’uncus, le syndrome d’oralité, l’agressivité, certains états d’étrangeté et les anomalies du temps vécu, etc., trouveraient là, dans une atteinte de l’une ou l’autre de ces régions anatomiques, leur explication. Les observations de tumeurs, d’atrophies localisées, et d’exérèses chirurgicales semblent le confirmer.

Ce système hormo-thumique, envisagé sous l’angle psychologique puis anatomo-physiologique constitue donc le noyau fondamental de toute l’activité psychique et, à partir duquel vont en s’épanouissant et se perfectionnant les autres éléments de la personnalité.

C’est la partie la plus originale de la conception de Guiraud. Il envisage ensuite trois autres systèmes :

  • Les fonctions du Moi conscient, comprenant : la fonction de constatation ou conscience; il ne faut pas confondre « éprouvé » et « constaté » ;
  • La fonction de reconnaissance, par laquelle nous reconnaissons comme nôtre un événement psychique (atteinte dans les hallucinations) ;
  • La fonction de délimitation de notre individualité organopsychique par rapport au monde extérieur ;
  • La fonction d’adaptation, fonction de contrôle et de régulation des dynamismes primordiaux.

L’ensemble constitue la personnalité consciente dont les fonctions sont un acte de synergie et d’aide mutuelle cortico-sous-corticale, sans support anatomique défini.

L’intelligence discriminative est l’ensemble des sensibilités et des sensorialités discriminatives. Le schéma corporel y tient une place spéciale.

Instrument de connaissance plus précis et plus perfectionné, correspondant à la corticalité située en arrière de la scissure de Rolando, l’intelligence discriminative est au service de l’activité hormo-thymique.

Les fonctions préfrontales, enfin, d’après les données de la traumatologie et de la neurochirurgie, seraient pour Guiraud, de hiérarchie du commandement, à sens unique, comme la conception jacksonienne pure.

Mais l’importance relative de l’un ou de l’autre système peut varier suivant l’acte psychologique en cause. Cette prépondérance possible de l’un ou l’autre système permet alors d’envisager en pathologie mentale l’origine des symptômes générateurs : par exemple, dans le domaine hormo-thymique, pour les manies, mélancolies, hébéphrénie; dans le domaine intellectuel et cortical, pour la confusion mentale classique et les démences.

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