Hérédité
« Il y a une hérédité de nous à nous-mêmes. » (Louis Jouvet, metteur en scène et acteur français, né en 1887 et décédé en 1951, Le comédien désincarné).
Historique. – En pathologie mentale, la notion d’hérédité encore obscure a pesé jadis lourdement de tout le poids de son fatalisme. Rappelons à titre historique que Thomas Willis, en 1672, Malebranche, en 1674, avaient déjà affirmé le rôle de l’hérédité dans la folie, que ce rôle fut souligné avec une grande insistance par les aliénistes de la première moitié du XIXe siècle (Pinel, Esquirol, Baillarger, etc.). Mais cette notion, avec Morel et Magnan, fut un peu éclipsée par celle de dégénérescence qui n’était en fait qu’un aspect d’une hérédité dissemblable.
Les anciens cliniciens distinguaient en effet plusieurs formes d’hérédité, du reste encore vraies : hérédité directe quand elle passe du générateur au produit; atavique quand elle saute une génération; collatérale quand les ascendants directs étant épargnés, la tare se retrouve chez un ou plusieurs collatéraux; convergente quand des tares existent à la fois du côté paternel et du côté maternel, cette forme étant assez fréquente, les psychopathes – comme on l’a dit – se recherchent volontiers entre eux. On distingue aussi une hérédité similaire quand la maladie reproduit celle de l’ascendant ou du collatéral; dissemblable dans le cas contraire. On a parlé aussi (Heuyer et Logre) d’hérédité précessive « type spécial d’hérédité selon laquelle les troubles psychopathiques apparus préconcement chez les enfants, devancent les troubles similaires qui apparaîtront ultérieurement chez les parents ». Barrett avait déjà noté en 1925 la précocité plus grande des troubles mentaux chez les descendants que chez les ascendants.
C’est en 1886 que le moine styrien Gregor Mendel, découvrit les lois des croisements, dégagea la notion de caractères dominants et de caractères récessifs en fixant leurs proportions numériques. Dans ce dernier quart du siècle, l’étude biologique de l’hérédité a apporté la notion de chromosome, de gène et éclairé d’un jour nouveau et plus précis les phénomènes de transmission héréditaire.

Conceptions doctrinales. – On sait que, sur le plan doctrinal, deux camps s’opposent :
1) Les génétistes, partisans d’une orthodoxie mendélienne rigoureuse. Les chromosomes contiennent des gènes, porteurs de tous les facteurs de la personnalité. Les variations de l’individu seraient dues à la réparation fortuite, à la somme et aux différences des facteurs des deux parents. Il s’agit donc d’un mécanisme purement interne qui exclut les influences du milieu.
D’après Jean Rostand (L’hérédité humaine, coll. « Que sais-je? », #550), voici comment l’on peut entrevoir la répartition des tares par application des lois mendéliennes :
Dans le cas de dominance, un sujet taré – généralement hétérozygote – a une chance sur deux de transmettre sa tare; deux sujets tarés (tous deux hétérozygotes) produiront trois sujets tarés pour un normal; un taré homozygote produirait exclusivement des tarés.
Dans le cas de récessivité, un sujet taré est forcément homozygote (puisque, s’il portait le gène normal, il serait normal); avec un sujet normal, il ne produira que des enfants normaux; avec un normal porteur du gène anormal, il produira moitié de tarés, moitié de normaux; deux sujets normaux porteurs du gène anormal produiront trois normaux pour un taré; deux sujets tarés ne produiront que des tarés.
Ainsi, dans une famille où s’est manifestée une tare dominante, un sujet normal ne peut pas transmettre la tare (du moins en règle générale, car des gènes modificateurs peuvent empêcher la manifestation d’un gène dominant), en revanche, dans une famille où s’est manifestée une tare récessive, un sujet normal peut transmettre la tare, dont il peut porter le gène à l’état latent.
Szondi a poussé à l’extrême la conception génétique dans sa théorie des « pulsions »; toutes les manifestations normales ou pathologiques de la vie mentale sont des manifestations constitutionnelles de nature pulsionnelle, chacune de nos pulsions correspondant à un gène soit dominant, soit récessif.
2) Les épigénétistes admettent l’interaction constante du milieu et de l’organisme (Rabaud). L’œuf contient en lui une multitude de possibilités évolutives que des circonstances extérieures vont faire développer; ces modifications acquises pourront se retrouver chez les descendants; de nombreuses expériences portant sur l’œuf sont en effet arrivées à produire des transformations définitives et transmissibles. La notion de mutation acquise (De Vries) se trouve ainsi consolidée. Toutefois, certains généticiens (J. Rostand en particulier) n’admettent pas la transmissibilité des caractères acquis.
Ainsi que l’a fait remarquer H. Ey, les généticiens se sont mis dans une impasse et ont pris une attitude anti-scientifique. Les faits nous montrent que l’héritage biologique n’est ni absolument constant, ni le seul état permanent dans l’évolution de l’organisme; la pathologie générale en montre de nombreux exemples dans les variations humorales en particulier (allergie, anergie, sensibilisation).
La thèse épigénéticienne nous explique très bien comment l’alcoolisme, ou la syphilis des parents peuvent intervenir pour modifier la descendance, tandis qu’au contraire, les généticiens, « n’admettant pas la transmission des caractères acquis, ne peuvent rendre compte des variations que par le jeu, la répartition des caractères internes; dès lors, ils sont arrivés à nier avec Binswanger que des maladies à symptomatologie nerveuse ou mentale, par exemple, puissent être héréditaires. Plus exactement, ils affirment que les psychoses ou les maladies de nerfs ne sont héréditaires que si elles ne sont pas exogènes » (H. Ey).
Il faut noter enfin qu’à côté d’une hérédité simple, directe, soumise assez rigoureusement aux lois mendéliennes, et dans laquelle les caractères dépendent d’une seule unité héréditaire, d’une seule parcelle chromosomique ou gène, il existe des cas où les caractères dépendent de l’action combinée de plusieurs gènes, la transmission de ces caractères est beaucoup plus complexe, surtout s’il s’agit de plusieurs gènes appartenant à des chromosomes différents. Leur nature héréditaire a toutefois pu être mise en évidence, en particulier par l’étude des vrais jumeaux ou par certaines études statistiques.

L’apport des observations gémellaires a été considérable pour la génétique.
Hérédité et intelligence. – Peut-on admettre un phénomène héréditaire dans le degré et la qualité de l’intelligence? La simple observation des faits semble bien l’établir; de plus, il a été démontré que le quotient intellectuel chez les vrais jumeaux (provenant d’un œuf unique) présentait une forte similitude.
Quant à certaines aptitudes spécialisées (mathématiques, musique, dessin, etc.), elle paraissent aussi dépendre de gènes multiples; mais, ainsi que le fait remarquer J. Rostand : « Pour tout ce qui touche à l’hérédité psychique, on est tenu à la plus grand circonspection car il est extrêmement difficile, en ce domaine, de faire la juste part des facteurs germinaux ou héréditaires et des facteurs circonstanciels ou éducatifs.» Il faut enfin ne pas oublier que l’évolution intellectuelle dépend étroitement de l’évolution affective chez l’enfant, elle-même soumise aux conditions du milieu familial et social.
Hérédité et maladies mentales. – La découverte de Gregor Mendel avait suscité chez les aliénistes, en ces dernières années, de grands espoirs. On a pu vérifier ces lois héréditaires dans certaines tares neuropsychiques familiales : l’épilepsie myoclonique, certaines idioties amaurotiques familiales de l’enfance et de l’adolescence (en particulier maladie de Tay-Sachs), certaines surdi-mutités, la chorée chronique de Huntington avec ses troubles mentaux – affection d’apparition tardive. On a pu fixer pour certaines d’entre elles, soit le mode récessif, soit le mode dominant.
Le vaste domaine des psychoses en apparence pures (psychose maniaque dépressive, schizophrénie) que la simple clinique montrait si souvent familiales et héréditaires, fut largement et profondément exploré par certains auteurs comme Mme Minkowska qui établit des arbres généalogiques très étendus et par certaines écoles allemandes, celle de Munich en particulier, dont Rüdin était le chef. Toutes ces recherches tendaient à soumettre ces affections à la découverte mendélienne. Mais cette étude nécessitait des prospections extrêmement étendues, s’établissant sur des centaines ou des milliers de sujets et de familles.
On se résolut alors à faire ce que Luxenburger appelle le « pronostic héréditaire empirique »; c’est le calcul des probabilités d’apparition d’un caractère héréditaire chez un individu.
Rüdin, recherchant l’ascendance chez 651 maniaques dépressifs, constate que les ¾ des parents considérés comme normaux n’ont d’enfants maniaques dépressifs que dans la proportion de 1/14 seulement, tandis qu’on trouve 24,6$ de psychoses maniaques dépressives chez les enfants issus de couples dont l’un des parents souffrit de la même affection. On trouvera au mot Jumeaux des précisions apportées à l’hérédité de cette psychose par l’étude de la gémellité.
Si le type morbide de la cyclothymie et de la psychose maniaque dépressive est assez fixe, il n’en est plus de même quand on aborde la schizophrénie et Boven, de Lausanne, a eu le mérite de montrer combien ces limites sont imprécises, et comment, suivant les tendances d’école, ce groupe morbide peut être important, voir envahissant, ou au contraire beaucoup plus réduit; toute étude statistique pèche donc par la base.
De vives discussions se sont engagées sur ces recherches et l’on en trouvera la critique dans les rapports présentés par Boven et Brousseau au XL Congrès des Médecins aliénistes et neurologistes de France et de langue française en 1936. Pour Boven, « ni la psychiatrie, ni la génétique ne sont, à l’heure actuelle, des sciences exactes et les études génétiques n’ont pas encore débrouillé l’écheveau de la schizophrénie ».
Tout n’est pas à rejeter cependant : les études statistiques, si elles n’ont pas toujours donné aux maladies prospectées la rigueur du déterminisme mendélien, ont néanmoins consolidé ce que la clinique nous avait déjà appris sur les tares familiales, sur les prédispositions constitutionnelles et l’incidence des facteurs exogènes sur la descenance.
Hérédité et criminalité. – On connaît la fameuse théorie du « criminal-né » de Lombroso avec son escorte de stigmates morphologiques ou caractériels; cette conception d’un déterminisme impératif qui a pesé lourdement en matière de criminalité et de responsabilité pénale a perdu beaucoup aujourd’hui de sa rigueur.
Toutefois, ce que l’on peut admettre, c’est une prédisposition héréditaire à un comportement antisocial et, à cet égard, certaines statistiques portant sur des jumeaux paraissent assez probantes. Dans celles de Lange, sur 13 condamnés ayant un jumeau vrai, il s’en trouvait 10 dont le jumeau était également emprisonné pour un délit de même genre. En revanche, sur 17 condamnés ayant un faux jumeau, il n’en était que 2 dont le jumeau avait fait l’objet de poursuites.
La statistique de Grossberger porte sur des délinquants récidivistes et des délinquants primaires; les premiers présentent une concordance de comportement très frappante quand il s’agit de vrais jumeaux et beaucoup plus élevée que dans les cas de délinquance primaire.
Ant. Porot