Hallucinations en psychiatrie
– Définition. Caractères généraux : « Perception sans objet » (Ball). Cette définition commode est cependant critiquable, comme d’ailleurs toutes celles qui ont été proposées. Mieux vaudrait dire que l’on nomme hallucinatoire toute expérience psychologique interne qui amène un sujet à se comporter comme s’il éprouvait une sensation ou une perception alors que les conditions extérieures normales de cette sensation ou de cette perception ne se trouvent pas réalisée.
Les hallucinations peuvent se manifester dans tous les domaines de l’activité sensorielle et l’on a ainsi des hallucinations dites visuelles, auditives, olfactives, gustatives, cénesthésiques, des hallucinations génitales, enfin des hallucinations multisensorielles. On a également décrit des hallucinations psychiques (Baillarger), dont il faut rapprocher les auto-représentations aperceptives de G. Petit (le sujet croit recevoir du dehors non plus une impression sensorielle, mais une pensée ou un sentiment), des hallucinations de la mémoire, des hallucinations de la mémoire, enfin des hallucinations psychomotrices dans lesquelles la fausse perception s’accompagne de mouvements paraissant échapper à la volonté du sujet.
Lorsque les hallucinations sont réduites à des impressions vagues et indifférenciées (lueurs, bourdonnements, etc.), elles sont dites élémentaires; lorsqu’elles sont identifiées à des objets précis (personnages, animaux, paroles, morceau de musique), elles sont dites complexes ou figurées.
Lorsque la donnée hallucinatoire n’est pas créée de toutes pièces par la maladie, mais résulte de la déformation de données sensorielles authentiques (une tache du mur prise par un animal, par exemple), on a affaire à une illusion sensorielle, phénomène très proche de l’hallucination et de même valeur séméiologique.
Quand l’hallucination n’entraîne pas la croyance du sujet dans la réalité de l’objet représenté, lorsqu’elle est consciente et immédiatement reconnue comme pathologique, certains auteurs (H. Claude et H. Ey) la nomment hallucinose.
Certains traits séméiologiques donnent parfois aux hallucinations une allure remarquable ou originale; c’est ainsi que R. Leroy a décrit des hallucinations visuelles lilliputiennes, observées surtout chez les alcooliques (à ne pas confondre avec la micropsie, qui est la vision, à une échelle réduite, des objets réels, la macropsie étant le phénomène inverse); on rencontre aussi des hallucinations auditives unilatérales ou alternant selon le mode de l’attaque et de la défense (voix malveillantes d’un côté, amicales du côté opposé). Parfois, ces traits particuliers sont évocateurs d’étiologies déterminées : zoopsies des alcooliques (qu’il ne faudrait, cependant, pas considérer comme spécifiques), hallucinations cutanées des cocaïnomanes.
Les hallucinations sont souvent évidentes : le malade fuit devant des ennemies menaçants, se protège contre des animaux féroces, répond à des voix imaginaires; sa réaction peut être plus discrète; son regard alors se fixe sur un coin de la pièce ou bien manifestement, il tend l’oreille à quelque discours, remuant parfois les lèvres en silence : de telles attitudes peuvent d’ailleurs être trompeuses et persister chez des sujets qui, depuis fort longtemps, ne sont plus hallucinés (Seglas) ; parfois, on reconnaît l’hallucination aux procédés que le malade utilise pour s’en défendre : tampons de coton ou d’étouffe dans le nez ou dans les oreilles, ecrans de métal ou de caoutchouc pour se protéger contre les rayons ou les ondes électriques, etc. Chez un malade réticent, la recherche des hallucinations peut être fort difficile. À l’inverse, chez d’autres, on risque de conclure à des hallucinations alors qu’il n’en existe pas, par exemple, chez un mythomane, un hystérique, un délirant mystique ou un simulateur, désireux les uns et les autres de retenir l’attention en invoquant des visions et des voix toujours complexes et spectaculaires.
Même lorsque les hallucinations sont authentiques et indiscutables, d’ailleurs, il faut bien comprendre que l’expérience vécue par l’halluciné est, selon les cas, fort différente : très proche chez certains de la perception, telle que peut l’éprouver un être normal (ce caractère de sensorialité est appelé esthésie), elle revêt, dans d’autres cas, l’aspect d’un phénomène étrange, absolument original et les termes « je vois », « j’entends », « je sens », ne sont employés que comme approximation, aucun mot du vocabulaire usuel ne pouvant exactement convenir. C’est dire que l’hallucination ne peut guère être étudiée isolément, en soi, comme un symptôme simple et élémentaire, mais qu’il faut toujours la considérer à la lumière de son contexte clinique (H. Ey).
– Revue clinique : Compte tenu de cette remarque, les hallucinations se rencontrent, en clinique, dans les conditions suivantes :
Il existe de véritables hallucinations physiologiques, chez les sujets normaux; ce sont principalement celles du rêve et les « visions du demi-sommeil » (Eug.-Bernard Leroy) : ces dernières surviennent au moment de l’endormissement ou, plus rarement, du réveil (elles sont dites hypnagogiques dans le premier cas, hypnopompiques dans le second); elles affectent l’aspect de figures géométriques, grises ou colorées, d’objets, de personnages, parfois en rapport avec des impressions visuelles fréquemment renouvelées pendant la journée ; plus rarement, ce sont des sensations auditives (bruits, voix, musique) ou tactiles. L’éidétisme pourrait également figurer parmi les hallucinations physiologiques.
Hallucinations par atteinte des récepteurs périphériques. Elles ont pour caractère commun de ne jamais entraîner une croyance durable, pathologique, dans la réalité de la fausse perception. Ce sont généralement des hallucinations élémentaires (phosphènes, scotomes positifs, acouphènes…), mais elles peuvent être complexes (visions de personnages, d’animaux, audition de vois, « illusions cénesthésiques des amputés »); on les rencontre dans les lésions diverses des récepteurs sensoriels (rétinites, cataractes, otites) ou des nerfs sensoriels, telles les hallucinations de la névrite rétrobulbaire, monoculaires et se déplaçant lors des mouvements des globes (Morel).
Hallucinations par atteintes localisées des centres nerveux. Elles peuvent être élémentaires ou complexes. En pratique, il faut savoir reconnaître les cas dans lesquels on peut leur accorder une valeur localisatrice, c’est-à-dire ceux dans lesquels l’hallucination traduit directement une atteinte nerveuse limitée et non la souffrance générale de la masse encéphalique qui peut être secondaire à cette atteinte locale : on peut accorder une telle valeur aux hallucinations, surtout lorsqu’elles surviennent comme auras de crises épileptiques : pour celles qui ne présentent pas ce caractère, on exigera qu’elles n’entraînent pas de croyance pathologique durable, pas de modification prolongée dans la personnalité du malade, qu’elles aient un caractère esthésique très accusé, enfin qu’elles ne soient pas contemporaines d’une forte hypertension intracrânienne. Dans ces conditions, des hallucinations visuelles élémentaires orienteront vers le lobe occipital, visuelles complexes vers la région temporo-pariéto-occipitale, auditives vers le lobe temporal, olfactives ou gustatives vers le crochet de l’hippocampe; cette dernière région peut traduire sa souffrance par un accident particulier, la crise uncinée ; les atteintes, généralement vasculaires, de la calotte des pédoncules cérébraux peuvent se manifester par l’hallucinose pédonculaire.
Hallucinations de type onirique. On les rencontre dans toutes les psychoses toxi-infectieuses (délires fébriles, delirium tremens alcoolique), dans l’épilepsie, dans les psychonévroses consécutives aux émotions (psychonévroses de guerre). L’onirisme est presque toujours associé à un degré plus ou moins accentué de confusion mentale. Il se caractérise par des hallucinations survenant d’abord par bouffées hypnagogiques ou nocturnes, mais devenant bien vite permanentes, polysensorielles à prédominances visuelle, mobiles, colorées, très analogues à celles du rêve, d’où le nom d’onirisme (Régis), mais surtout vécues, de sorte que le sujet réagit en leur présence comme devant la réalité; souvent, elles sont terrifiantes et s’accompagnent de réactions de défense ou de fuite, d’une agitation anxieuse parfois considérable, dangereuse pour le malade et pour son entourage (réactions médico-légales).
Hallucinations des délires chroniques et des démences précoces. On a longtemps considéré, à la suite de Magnan, les hallucinations, surtout auditives, comme permettant d’individualiser une forme autonome de délire ; on pense actuellement (H. Claude, Nodet) que la structure du délire est un élément plus digne de servir de base à une classification.
a) Dans les délires ne comportant pas un trouble global de la personnalité (structure paranoïaque), dont on peut rapprocher la démence précoce dans sa forme dite paranoïde, au moins à son début, on observe surtout des hallucinations auditives verbales, logiquement expliquées et accordées avec l’ensemble du délire : voix de persécuteurs, ironiques, injurieuses ou menaçantes, voix de protecteurs, encourageantes ou laudatives, les unes et les autres alternant parfois selon le mode de l’attaque et de la défense (Seglas) ; ces voix sont proches ou lointaines, vagues ou distinctes, mais toujours tenues pour authentiques. Le malade leur répond, discute avec elles, se défend contre elles en se bouchant les oreilles. On observe souvent aussi des hallucinations de la sensibilité générale (courants électriques, substances caustiques traumatismes) ou génitale (des femmes se plaignent d’être violées par leur persécuteur), parfois, des hallucinations olfactives ou gustatives (poison, pourriture, gaz asphyxiants).
b) Dans les délires avec troubles importants de la personnalité (structure paranoïde) et dans la schizophrénie, on peut observer des hallucinations analogues à celles du groupe précédent, mais on voit surtout des hallucinations psychomotrices revêtant en particulier la forme verbale (Seglas) : avec H. Ey, on peut distinguer des « phénomènes étrangers » dont la cause est un sentiment d’influence (le malade profère des paroles qu’il croit entendre de l’extérieur ou qu’il rapporte à des voix émanant de ses organes; parfois, on le voit faire seulement des mouvements d’articulation) et des « phénomènes forcés » (pseudo-hallucinations psychomotrices verbales de Seglas), répondant à un sentiment d’automatisme (impulsions verbales, élocutions imposées et inspirées). C’est aussi dans ces formes que l’on observe l’automatisme mental de Gé de Clérambault, caractérisé au début par un trouble fondamental de la pensée s’accompagnant d’hallucinations élémentaires, à esthésie peu accentuée et aboutissant à des hallucinations psychomotrices assez particulières : écho de la pensée, énonciation et commentaires des actes et des pensées, paroles imposées, dialogues.
L’on peut encore observer des hallucinations dans beaucoup d’autres syndromes mentaux : états maniaques et mélancoliques, névroses diverses et en particulier névrose obsessionnelle (obsession hallucinatoire qui n’entraîne pas, en général, une croyance absolue).
Hallucinations expérimentales.
Pathogénie : les théories proposées pour expliquer les hallucinations sont innombrables : la plupart contiennent une part de vérité, mais ont eu le tout de vouloir ramener à un mécanisme unique des phénomènes extrêmement différents selon le cas et qui souvent même se chevauchent et se superposent dans un type particulier. L’activité (par excitation ou plus vraisemblablement par libération) des récepteurs périphériques, des voies et des centres sensoriels (et aussi des appareils moteurs, végétatifs, vestibulaires, toujours impliqués dans l’acte perceptif, comme le rappelle Mourgue), explique la production d’un « matériel perceptif » primitif, indifférencié, mais n’explique que cela, contrairement à la théorie de l’« épilepsie des centres sensoriels » de Soury, par laquelle Tamburini prétendait résoudre intégralement le problème des hallucinations. Dès que l’on doit expliquer seulement pourquoi une simple hallucinose ou une vision hypnagogique prend une forme empruntée aux souvenirs ou aux préoccupations du sujet, on doit tenir compte de son expérience psychologique entière et l’on est amené avec Moreau (de Tours), avec Henry Ey et bien d’autres auteurs, à considérer que l’état hallucinatoire représente un trouble profond de la pensée, une régression, une dissolution permettant la libération d’automatismes primitifs à structure syncrétique et réaliste. Pour R. Mourgue, P. Guiraud enfin, activité sensorielle et dissolution psychiatrique collaborent étroitement, et en définitive, il paraît vraisemblable d’admettre qu’elles sont représentées dans chaque cas avec des coefficients quantitatifs et qualitatifs variables qui rendraient compte de la multiplicité des nuances cliniques.
J. – M. Sutter.

Crise uncinée
Décrite par H. Jackson, sous le nom de “Uncinate fit”, la crise uncinée est un accident paroxystique caractérisé par un trouble particulier de la conscience et de l’affectivité (« dreamy state » ou « état de rêve »), associé à des hallucinations multisensorielles. Elle peut s’observer seule ou précéder une crise épileptique convulsive qui revêt souvent alors la forme d’une crise adversive ; elle traduit la souffrance du lobe temporal, et, plus particulièrement, selon Jackson qui les a décrites, de l’uncus de l’hippocampe. On l’observe au cours des tumeurs de la face inféro-interne du lobe temporal et dans les atteintes plus diffuses (résultant de traumatismes, d’encéphalites, d’accidents vasculaires) intéressant la région pararhinale de Gastaut.
Le « dreamy state » comporte une baisse de la synthèse consciente généralement assez légère : le sujet réalise le caractère pathologique de son trouble et critique fréquemment ses hallucinations ; il ne perd pas complètement le contact avec son entourage. Ce qui domine la scène, c’est un état affectif particulier et d’ailleurs variable, mais toujours étrange et émouvant : sentiment de « déjà vu » ou au contraire de « jamais vu », d’irréel, d’inexprimable, envahissement de la conscience par des souvenirs remontant souvent à l’enfance et réalisant à l’extrême le phénomène de la mémoire panoramique.
Les hallucinations de la crise uncinée peuvent être, surtout au début et de façon très fugace, des hallucinations olfactives et gustatives, le plus souvent fort désagréables ; elles sont rarement auditives. Les hallucinations visuelles, au contraire, sont fréquentes et persistent pendant toute la durée de l’accident. Elles sont de type onirique et se projettent souvent dans le champ aveugle lorsqu’il existe une hémianopsie.
En général, les crises uncinées se répètent à la manière de paroxysmes épileptiques. Leur valeur localisatrice est certaine, mais J. de Ajuriaguerra et H. Hegaen insistent sur le danger de les confondre avec les accidents analogues observés au cours des tumeurs de la base ou des lésions bulbaires, dans lesquelles l’anxiété est pourtant, à l’ordinaire, plus prononcée. On doit surtout se rappeler que le lobe temporal peut « souffrir » et traduire sa souffrance par des signes cliniques et électriques dans des cas de lésions et en particulier de tumeurs qui siègent en dehors de son territoire, ce qui oblige à une grande prudence d’interprétation.
J.-M. Sutter.
Hallucinose
Ce terme a, selon les auteurs, diverses significations :
1) Pour les uns (H. Claude et H. Ey), il désigne toute hallucination reconnue, au moment même où elle se produit, comme un phénomène anormal : le sujet critique son trouble et il ne croit pas à la réalité de l’objet représenté. A vrai dire, cette critique parfois n’est pas immédiate, soit qu’il y ait eu un très léger trouble de la conscience (l’hallucinose tend alors à devenir une hallucination), soit que l’objet représenté ait pu logiquement exister (par exemple audition d’un sifflement, vision d’une lueur, d’un animal familier).
2) Pour les autres (Wernicke, Dupré), l’hallucinose est un délire hallucinatoire.
3) Hallucinose pédonculaire (J. Lhermitte, Van Bogaert). Il s’agit d’un défilé d’images uniquement visuelles, multiples, mobiles, colorées, en relief, représentant des personnages, des animaux; parfois le sujet reconnaît qu’il s’agit de visions, mais le plus souvent, il se trouve dans un état voisin de l’état de conscience onirique; il peut même être franchement confus. L’hallucinose évolue par paroxysmes qui apparaissent généralement à la tombée de la nuit et durent quelques instants, rarement plusieurs heures, voire un jour ou deux. Elle traduit une lésion de la calotte des pédoncules cérébraux (au voisinage, par conséquent, des centres du sommeil), de nature vasculaire ou toxi-infectieuse le plus souvent ; elle est rarement produite par les processus tumoraux.
J. – M. Sutter.
Zoopsie
Visions hallucinatoires d’animaux généralement féroces ou terrifiants; elles sont le fait d’un onirisme plus ou moins actif, souvent à forte charge anxieuse et s’observant avec une particulière fréquence dans les délires alcooliques aigus.
Les animaux peuvent avoir parfois des proportions minuscules (hallucinations lilliputiennes).
À signaler aussi, dans les hallucinations des cocaïnomanes, la vision de milliers de petites mouches brillantes et la sensation de vers grouillant sous la peau.
Hallucination lilliputienne
Forme d’hallucinations visuelles dans laquelle les personnages ou les scènes entrevues sont réduites à une échelle minuscule, comme dans le monde de Gulliver.
Décrites, pour la première fois, par Leroy dans les hallucinations des alcooliques, c’est dans cette intoxication qu’on les rencontre le plus volontiers : minuscules serpents rampants sur le lit du malade, petits chevaux caracolant dans la chambre, danseuses de la taille de toutes petites poupées évoluant autour de l’halluciné, etc.
J. Lhermitte a signalé leur fréquence dans l’hallucinose pédonculaire ; elles sont, dans ce cas, particulièrement mobiles, riches en couleurs et se rencontrant à peu près uniquement au moment de l’endormissement. Elles peuvent avoir pour origine une tumeur ou une atteinte infectieuse de cette région.
Hallucinations morphopsichiques
Terme peu usité, signifiant la vision de formes ou d’objets divers, dont les dimensions normales sont agrandies (macropsie) ou rapetissées (micropsie).