Grossesse

Grossesse, toxoplasmose et puerpéralité en psychiatrie

Grossesse

On peut rencontrer dans la grossesse des manifestations mentales, le plus souvent bénignes, ou des états psychonévrotiques.

– Étiologie et pathogénie. – L’étiologie est complexe :

  1. La prédisposition intervient pour une part certaine. Beaucoup de femmes, de tempérament psychasthénique (petites anxieuses, obsédées, un certain nombre de périodiques, quelques schizophrènes latentes) trouvent, dans la grossesse, une occasion particulièrement favorable de manifester leurs tendances pathologiques. C’est surtout au point de vue pronostic évolutif que cet élément doit être retenu.
  2. Il faut faire une place à l’infection, notamment à la colibacillose, septicémique ou localisée.
  3. Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle des facteurs d’ordre affectif : préoccupations inquiètes, perspective de charges nouvelles qui vont déprimer la femme enceinte et diminuer sa résistance. Cette vulnérabilité peut s’accroître du fait du surmenage imposé.
  4. Les conditions physiologiques gagnent en importance au fur et à mesure que se précisent les modifications métaboliques, hormonales et neurovégétatives propres à l’état de grossesse : modifications métaboliques d’abord, surtout de l’eau et des électrolytes, des corps gras, des protéines; on sait le retentissement sur l’activité mentale et son équilibre, comme sur les chronaxies, des variations du phosphore et du calcium (Baruk, Guiraud, P. Abély, etc.); modifications hormonales ensuite d’aspect double : d’une part marées, d’origine placentaire, de gonadotrope lutéinisante pendant les premiers mois, puis d’œstrogènes et de progestérone combinés pendant la deuxième partie de la grossesse; d’autre part, profondes modifications de presque tout l’appareil endocrinien maternel, apparemment dans le sens d’une mise au repos relatif; modifications neurovégétatives enfin, notamment du contrôle périphérique du tonus vasculaire qui devient presque exclusivement nerveux en fin de grossesse aux dépens du tonus hormonal normal.
  5. Certaines déviations de cette physiopathologie, telles que les vomissements incoercibles, la toxémie gravidique pré-éclamptique ou éclamptique (avec ses perturbations tensionnelles et rénales, ses modifications du métabolisme des hormones placentaires) représentent des facteurs favorisant l’éclosion des psychonévroses gravidiques.

Toutefois, malgré d’encourageantes sanctions thérapeutiques tirées de ces données, l’enchaînement des faits entre la biologie de la grossesse et ses manifestations mentales reste mal élucidé et il serait dangereux de se laisser aller à la séduction de constructions trop théoriques.

– Aspects cliniques. – Si les vraies psychoses sont rares ou ne traduisent que le réveil d’une disposition latente (périodicité), par contre, les accidents psychonévrosiques, la plupart à substratum psychasthénique, sont fréquents : états dépressifs, anxiété à tous ses degrés, états obsessionnels, phobies, « envies ». Ajoutons des troubles de l’humeur et du caractère et, parfois, des explosions de bouffées maniaques ou mélancoliques chez les prédisposées. Un fléchissement cortico-surrénal favoriserait ces états asthéniques, ainsi que les vomissements incoercibles. Ces troubles céderaient à la thérapeutique cortico-surrénale.

– Dans les trois derniers mois, les accidents observés sont l’éclampsie avec ses équivalents possibles (absences, petites fugues, états confusionnels), les états dépressifs, et parfois la psychose polynévritique. Mais, bien souvent à ce moment aussi, la colibacillose entre en jeu avec toute la gamme de ses accidents nerveux.

– Évolution, pronostic. – L’évolution peut être capricieuse. Souvent avec la grossesse prennent fin les troubles mentaux qu’elle a suscités. C’est lors de la puerpéralité que va suivre que pourra être fixé le pronostic des états qui se prolongent (v. Puerpéralité).

– Prévention et traitement. – L’hygiène générale et mentale de L’expectante et de son entourage, ne doivent pas être négligées.

L’infection appelle les soins généraux (antibiotiques chimiques, pénicilline) ou locaux spécialisés.

Les traitements hormonaux ont donné des résultats encourageants, mais on tâtonne encore en ce domaine. Quand des contre-indications ne sont pas présentes, l’extrait surrénal total, ou la désoxycorticostérone sont d’un certain appoint dans les états psychasthéniques. Différentes corrections métaboliques peuvent être mises en jeu à l’aide de l’insuline, des parathyromimétiques, des vitamines utiles au système nerveux ou au métabolisme sucré, etc.

Si les troubles mentaux sont liés à une gravidotoxémie pré-éclamptique ou éclamptique, il faut, dès que possible, mettre en œuvre le traitement de G. et O. Smith (œstrogènes et progestatifs actifs per os, à doses élevées continues et pregnandiol per os à doses massives), qui a ramené à la normale le pourcentage de survie fœtale chez les diabétiques éclamptiques ou pré-éclamptiques (chez qui cette survie est basse et dont l’éclampsie ne répond jamais au traitement du diabète).

L’interruption de la grossesse sera très rarement indiquée. Le praticien ou l’accoucheur ne devra jamais intervenir sans consultation préalable du psychiatre et celui-ci devra se montrer extrêmement réservé et prudent. Ou bien, en effet, il s’agit d’une confusion mentale banale, ou d’une reprise d’accès chez une périodique, – manifestations d’un pronostic bénin; ou bien il s’agit de l’activation d’une psychose antérieure dont la grossesse n’est pas responsable, ce qui ne commande pas un avortement prophylactique.

Au surplus, presque toutes les thérapeutiques actuelles des psychoses peuvent être mises en jeu pendant la grossesse; il est établi aujourd’hui que cet état n’est pas une contre-indication aux électrochocs, en particulier.

Toxoplasmose

Affection parasitaire des centres nerveux transmise par la mère au fœtus. Le parasite a été découvert en 1908 en Tunisie, par Nigolle et Manceau, chez un rongeur, le gondi (toxoplasma gondii). Son action pathogène pour l’homme ne fut soupçonnée qu’en 1929, par Levaditi, qui le supposa responsable de certaines hydrocéphalies, de certaines choriorétinites et certains cas d’amaurose. Le premier cas, vraiment identifié chez l’homme avec inoculation positive à l’animal, date de 1937 (Wolf et Cowen).

On ne connut d’abord que ces formes aiguës, rapidement mortelles dans les premières semaines qui suivirent la naissance; mais par la suite, on put étudier les formes chroniques avec survie chez un certain nombre de sujets adolescents ou adultes.

Desclaux et Mlle Morlon, qui en ont donné une bonne étude d’ensemble, résument le tableau clinique en 4 symptômes principaux :

  • Une oligophrénie représentée par tous les degrés possibles de l’arriération intellectuelle ;
  • Une hydrocéphalie non constante, mais fréquente ;
  • Des calcifications intracrâniennes, séquelles d’anciens foyers de nécrose cérébrale ;
  • Une choriorétinite fréquente.

D’autres malformations peuvent exister, mais plus rarement. Il s’agit, au point de vue anatomo-pathologique, d’une véritable méningo-encéphalite qui a pu être reproduite expérimentalement et tue l’animal en trois ou quatre semaines.

Sabin a indiqué un test de neutralisation qui, dans quelques cas, peut aider au diagnostic.

mari et femme
Et, parce qu’entre leur chambre et celle de leur hôte il n’y avait que des planches bien mal jointes, l’envie leur prit d’écouter ce que le mari disait à sa femme dans leur lit. (Marguerite de Navarre L’heptaméron « Les cordeliers et le boucher » 1559). Photo : Megan Jorgensen.

Puerpéralité

In le s’agit ici que des troubles mentaux survenant après l’accouchement, ceux de la grossesse étant étudiés ailleurs.

Quatre fois plus fréquents qu’au cours de la grossesse, ces troubles y sont aussi, en règle, plus accentués. Les psychoses puerpérales représentent 3,5% de l’ensemble des maladies mentales (Sivadon) ; elles atteignent 0,122 % des accouchées (statistique de Stander, sur 8,230 accouchements).

Étiologie et pathogénie. – 1) La prédisposition intervient, à coup sûr, comme pour les psychonévroses de la grossesse.

2) Malgré les progrès de l’asepsie et de la chimiothérapie contemporaines, l’infection joue encore un rôle important, soit sous forme de septicémie générale, soit sous forme de complications infectieuses locales (rétention placentaire, annexites, abcès du sein, phlébites, etc.). La colibacillose est souvent en cause (v. ce mot).

3) Les spoliations sanguines brutales ou répétées facilitent le développement des psychoses puerpérales par les perturbations biologiques variées et importantes qu’elles entraînent.

4) Il faut aussi faire une place aux différents surmenages survenus au cours de grossesse et lors du travail.

5) Biologiquement, 4 faits caractérisent le puerpérium ; d’abord, il succède immédiatement aux phénomènes paroxystiques du travail et de l’accouchement : déconjugaison brusque des oestrogènes conjugués qui avaient atteint un taux urinaire et sanguin énorme, chute en quelques jours de cette marée oestrogénique, ainsi que de celle du pregnandiol; les premiers temps du puerpérium représentent donc un temps critique de brusque privation oestroprogrestéronique. En deuxième lieu, les modifications neurovégétatives, propres à la grossesse, font leur retour à la normale, dans les cas heureux en deux ou trois jours. En troisième lieu, l’appareil endocrinien maternel, apparemment entré en repos pour la plus grande part pendant la grossesse, effectue sa « remise en route » suivant un échelonnement et pendant une durée qui varie avec les nourrices ; le plus tardif semble être l’appareil génitohypophysaire marqué par le retour de couches ; mais ces remises en route pour un retour à un équilibre d’ensemble peuvent être lentes ou insuffisantes (myxoedèmes postgravitiques et déficits surrénaliens) ou dépasser leur but (hyperthyroïdes), parfois, ne pas avoir lieu (ménopauses prématurées puerpérales). Si l’accouchement a été pénible et trop sanglante, la maladie de Simmonds ou un syndrome de Sheehan peuvent apparaître (cachexie hypophyso-prive globale progressive par nécrose embolique de l’hypophyse au cours du travail). En dernier lieu, le puerpérium est caractérisé par la lactation, de commande diencéphalophypophysaire, entraînant des perturbations métaboliques diverses.

L’enchaînement de ces différentes modifications n’est pas élucidé complètement, mais leur coïncidence ne semble pas fortuite ; il en est de même pour l’apparition, au cours de cette phase critique pendant laquelle l’organisme « liquide » brusquement l’état de grossesse, puis cherche à revenir à la normale, d’altérations psychiques particulières paroxystiques d’abord, puis oscillantes et guérissant le plus souvent au retour de couches. Mais ici encore, il faut se méfier de l’attrait de constructions séduisantes, mais théoriques.

Aspects cliniques. – L’apparition des troubles mentaux peut être précoce ou tardive :

a) Psychoses précoces. – Elles éclatent, le plus souvent, dans les jours qui suivent l’accouchement, alors que la parturiente est encore au lit. Elles ont souvent un début relativement brusque, après une ou deux journées d’anxiété croissante avec insomnie et agitation, élévation de la température. C’est un véritable mélange d’excitation maniaque et de confusion hallucinatoire qui s’installent, impressionnant pour l’entourage (manie puerpérale des anciens aliénistes).

Cette grande excitation commande souvent des mesures spéciales de surveillance. Il convient de rechercher les signes d’infection générale ou localisée.

Ces accidents enfin peuvent parfois évoluer vers le syndrome grave du délire aigu (v. ce mot). Il s’agit alors d’une véritable encéphalite psychotique aiguë, avec les lésions inflammatoire qui la caractérisent.

Le plus souvent, après ce début fébrile et tumultueux, le sujet reprend une certaine lucidité, mais reste agité avec fuite des idées, loquacité, et déroule le véritable accès de manie pure, qui dure de quelques semaines à quelques mois.

À côté de ces grandes formes agitées, il y a des délires infectieux secondaires de plus petite envergure, durant de quelques jours à quelques semaines et disparaissant peu après la complication infectieuse. On a signalé pour cette période aussi le syndrome de Korsakoff (psychose polynévritique).

b) Psychoses tardives. – Ce sont celles qui apparaissent plusieurs semaines, parfois plusieurs mois après l’accouchement et que l’on impute trop facilement à l’épuisement de la lactation. En réalité, il y a souvent, en pareil cas, une petite infection utérine ou annexielle qui les déclenche et les entretient, mais c’est là surtout qu’on peut voir jouer le rôle de la prédisposition et quelques facteurs endocriniens. Elles se manifestent surtout sous forme d’états dépressifs trainants à teinte mélancolique avec de petites bouffées délirantes d’autoaccusation, de jalousie, de persécution, parfois de petits onirismes hallucinatoires ou un syndrome d’automatisme mental.

Ces formes tardives ont pour caractère principal d’être traînantes, oscillantes. Parfois, c’est un accès de mélancolie franche avec tous ses caractères et ses dangers (tentative de suicide, d’infanticide). D’autres fois, brusquement, le tableau s’aiguise et l’on peut voir apparaître un délire aigu mortel après plusieurs mois d’état dépressif trainant, souligné par une dénutrition générale sérieuse.

Mentionnons encore certaines perturbations morphologiques et mentales en rapport avec des altérations de l’hypophyse ; outre des obésités insolites avec ralentissement psychique, on note la cachexie hypophysaire de Simmonds avec grosse dépression mentale. C’est alors qu’un bilan endocrinologique soigneux, étayé si possible sur des examens de laboratoire (métabolisme de base, élimination urinaire des 17 cétostéroïdes, gonadotropes, biopsie endométriale, tolérance sucrée, etc.) peut se montrer d’un grand secours par les perspectives thérapeutiques qu’il peut faire entrevoir.

Évolution, pronostic. – Les statistiques de Sivadon donnent : guérison totale dans 65% des cas ; décès : 1/5 dans les cas d’encéphalite psychotique aiguë. Les séquelles (états paranoïdes, démence précoce plus ou moins tardive ou simple affaiblissement intellectuel) s’observent dans 30% des cas et surtout chez les prédisposés. J. Delay a constaté un certain parallélisme entre la durée des psychoses du post-partum et les phénomènes de régénération de l’endomètre. Le retour des règles marque généralement la fin prochaine de l’accès mental ou la fixation des séquelles.

Le pronostic pour l’enfant né d’une mère atteinte de psychose puerpérale s’avère généralement mauvais (50% de décès et 20% d’anomalies du développement) (Sivadon).

Traitement. – Il y a une prophylaxie des psychoses puerpérales : conditions aseptiques de l’accouchement, surveillance des complications, assistance sociale.

Quand il a y infection, les antibiotiques, la pénicilline trouvent leur indication. Le cas particulier de la colibacillose nécessite le traitement spécifique de cette maladie (v. Colibacillose). La surveillance gynécologique, des interventions opératoires opportunes seront parfois nécessaires. Les électrochocs hâtent et consolident la guérison; peut-être agissent-ils en partie sur l’hypophyse à la manière des stimuli électriques ou émotionnels.

L’application d’un traitement hormonal qui se veut autre que hasardeux réclame la prudence, et un bilan endocrinologique complet. Nous renvoyons aux traités spécialisés. Mentionnons simplement les points suivants :

– En règle générale, les états dépressifs bénéficient de la corticosurrénale ou de la désoxycorticostérones s’il n’y a pas de contre-indications rénales ou vasculaires à leur emploi. Hoff et Shaby ont vu 4 cas de « confusion mentale post puerpérale » répondre de manière satisfaisante à cette même thérapeutique.

Signalons aussi que les œstrogènes actifs per os à doses faibles, dont on sait maintenant qu’ils ne peuvent supprimer la lactation, peuvent être administrés sans danger et presque de manière prophylactique, pour pallier l’état de privation hormonale temporaire du postpartum, pour maintenir en condition minima l’endomètre et pour stimuler (doses faibles) la sécrétion de gonadotropes par l’hypophyse. L’administration de gonadotropes elle-même (P. Abely) : folliculostimuline en cas d’excitation maniaque, lutéinisante en cas de dépression mélancolique, risque, à notre sens, d’aggraver le repos hypophysaire et de le prolonger.

Mentionnons que Schmidt a traité avec succès par la progestérone une psychose puerpérale cyclique.

Certes, de grands espoirs sont permis. Nous saurons sans doute bientôt quels chaînons métaboliques ou neurovégétatifs lient, dans leur évolution curieusement parallèle, l’hormonologie et les psychoses du postpartum. Mais ce ne sont encore que des espoirs ; il ne faudrait pas les compromettre par une vogue irraisonnée et des applications hormonales intempestives. Et l’appréciation des résultats d’un traitement doit toujours tenir compte du fait que 65% des psychoses puerpérales guérissaient totalement avant l’hormonologie et que, par contre, la prédisposition psychique peut s’opposer au succès de toute hormonothérapie d’application apparemment judicieuse.

Ant. Porot.

À compléter la lecture :

La confiance en soi ne remplace pas la compétence (Olivier Lockert psychologue français). Photo de Megan Jorgensen.
La confiance en soi ne remplace pas la compétence (Olivier Lockert psychologue français). Photo de Megan Jorgensen.

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