Fureur
Degré extrême de l’agitation coléreuse. L’état de fureur s’accompagne toujours d’une obnubilation intellectuelle marquée qui, tantôt le précède et en favorise l’apparition (fureur survenant au cours d’une confusion mentale), tantôt paraît en être la conséquence, comme si l’exaltation affective submergeait les fonctions de l’intelligence (jureur des états passionnels).
Dans l’un et l’autre cas, le furieux perd le contrôle de ses actes et l’on peut le voir s’adonner aux pires violences contre les objets (vandalisme), contre les individus, contre lui-même. C’est le type même de la colère « aveugle ».
Les forces physiques, qui paraissent découplées, sont mises su service d’une agressivité sans train : tantôt le malade hurle et vocifère, s’agite de façon plus ou moins désordonnée; tantôt il semble se concentrer en lui-même et fait preuve, dans son activité clastique, d’une sûreté et d’une précision effrayante.
La fureur s’accompagne toujours de manifestations somatiques et principalement de troubles neurovégétatifs : vasodilatation périphérique (visage congestionné) accélération du pouls et de la respiration, exagération des sécrétions (sueurs, écume aux lèvres), horripilation, mydriase.
Les états de fureur peuvent être se rencontrer au cours des psychopathies les plus diverses, sous forme de bouffées, dont la durée excède rarement quelques heures, mais qui, le plus souvent, ont tendance à se répéter, déclenchées par des incidents parfois minimes (contrariétés, provocation, contagion due au voisinage de malades agités), ou en l’absence de tout cause provocatrice apparente. On observe en particulier ces paroxysmes :
1. Chez de grands arriérés intellectuels (idiots, imbéciles); ils rendent alors impossible le séjour de ces sujets dans leurs familles ou dans des hospices de chroniques et l’on doit les interner.
2. Chez les déséquilibrés les plus profondément atteints que l’on doit également parfois, pour cette raison, conserver indéfiniment dans les hôpitaux psychiatriques.
3. Chez les épileptiques, soit qu’ils fassent figure, comme chez les déséquilibrés, de manifestations caractérielles, correspondant alors au pôle explosif de la constitution épileptoïde (Fr. Minkowska), soit qu’ils représentent les paroxysmes psychiatriques de l’épilepsie, à base confusionnelle, se substituant à un paroxysme convulsif lui faisant suite ou parfois même le précédant. La fureur épileptique est parmi les plus violentes et les plus dangereuses que l’on connaisse en pathologie mentale.
4. Chez les confus et en particulier dans les confusions mentales d’origine toxique, soit qu’il s’agisse d’intoxications aiguës (ivresse alcoolique, cannabique, cocaïnique, éthérique), soit que l’on ait affaire à des accidents suraigus du type delirium tremens. Dans tous ces cas, à l’agitation coléreuse s’ajoute souvent une anxiété qui peut même dominer le tableau.
5. Chez les maniaques, lorsque la colère et l’instabilité l’emportent sur l’euphorie. La fureur est alors souvent très passagère et généralement moins violente que dans les cas précédents.
6. Chez les catatoniques, bien que, le plus souvent, on observe chez eux des impulsions isolées plutôt que de véritables accès de fureur.
7. On donne quelques fois le nom de fureur sexuelle à un état d’excitation érotique qui veut s’assouvir à tout prix, même par la violence.
Quels que soient le contexte clinique et la cause déclenchante, l’êtat de fureur impose l’isolement du malade. Les moyens de contention doivent être évités dans toute la mesure du possible, mais ou aura souvent recours aux injonctions intraveineuses (ou, en cas de l’impossibilité, intramusculaires) de produits barbituriques à diffusion rapide (nesdonal, amytal sodique, nembutal) ou de réserpine. On peut également recourir aux électrochocs, qu’il est parfois nécessaire de renouveler à deux ou trois reprises au cours de la première journée.
Du point de vue médico-légal, on observe souvent au cours des paroxysmes de fureur, des voies de fait et même des crimes, voire des crimes multiples, exécutés avec une violence et une sauvagerie incroyables. L’expert devra conclure, le plus souvent, à l’irresponsabilité, surtout lorsque l’obnubilation de la conscience peut être prouvée par la mise en évidence d’une amnésie lacunaire plus ou moins complète. L’internement sera toujours demandé, et même l’internement dans un asile « de force » si les accès sont particulièrement fréquents et dangereux.
L’article 489 du Code civil prévoit, en outre, que le majeur qui est dans un état habituel d’imbécillité, de démence ou de fureur, doit être interdit, même lorsque cet état présente des intervalles lucides. En pratique, l’interdiction ne sera pourtant demandée que dans des cas assez exceptionnels.
J.-M. Sutter.
Contention, moyens de contention
Certes, il n’existe pas actuellement de psychiatre qui ne désire ardemment la disparition totale des moyens de contention ou de contrainte. Mais il n’en existe probablement pas un seul qui aie la satisfaction d’avoir entièrement réalisé ce désir.
Malgré la camisole chimique, les électrochocs, la psychothérapie, les narcolepticos et les cures de sommeil dans l’état actuel des services d’hôpitaux psychiatriques (trop grand nombre de malades, insuffisance des espaces, insuffisance numérique ou qualitative du personnel) l’usage des moyens de contention reste souvent indispensable pour certains malades (grands impulsifs violents ou suicidaires, crise paroxytiques) ou dans certaines circonstances précises : transfert d’un malade dangereux, maintien au lit d’un malade fébrile agité ou d’un malade qui s’agite au cours de coma insulinique.
Il importe donc de connaître les moyens de contention qui sont, à la fois, les plus efficaces tout en étant les moins dangereux et les moins pénibles pour les malades.
Moyens de contention. Photo d’ElenaB.
1) Moyens de contention d’urgence. – Un médecin praticien est parfois appelé auprès d’un malade en état de grande agitation ou de fureur (état épileptique pré ou post-paroxystique, délire infectieux, delirium tremens chez un alcoolique). Il ne pourra agir efficacement que sur un malade déjà maîtrisé. C’est à lui de diriger la manœuvre, car l’entourage, terrorisé ou affolé, s’avère incapable d’une action cohérente et efficace.
Il faut d’abord s’assurer des aides en nombre suffisant (4 ou 5) et indiquer à chacun, d’une façon précise, le rôle qu’il doit jouer : toujours saisir les membres au niveau des articulations (hanches, genoux, chevilles, épaules, coudes et poignets), de manière à les immobiliser. Pour faire lâcher un objet ou une arme tenue dans la main, il faut placer celle-ci en flexion forcée, l’avant-bras étant solidement maintenu.
Il est toujours préférable de saisir le malade par derrière et il est utile de lui couvrir la tête d’un drap ou d’une couverture, non serrés pour le désorienter momentanément et éviter les morsures. Le malade, ainsi maintenu, sera couché sur un lit ou sur le sol. On peut alors placer des liens qui immobiliseront les pieds et les mains, ceux-ci étant eux-mêmes fixés au corps au niveau de la ceinture. Si l’on ne dispose pas d’attaches spéciales, il faut utiliser soit de grandes serviettes, soit de petits draps, soit des bandes de toile assez larges, mais on doit proscrire les liens trop étroits qui provoqueront des plaies. Il est alors possible de pratiquer une injection calmante (telle que somnifère intraveineux ou intramusculaire) qui rendra possible, sans danger, le transport dans un service de psychiatrie.
Ces moyens de fortune ne doivent être laissés en place que peu de temps.
1. Moyens de contentions spéciaux. – La vieille camisole de force agonise, si elle n’est pas tout à fait morte. Nous n’utilisons plus guère que la ceinture, la brassière et les attaches.
La ceinture, en cuir, ou mieux en toile, large de 10 cm, est fermée dans le dos ou sur le côté en arrière par une boucle ou un boulon. Elle comporte sur les deux côtés, en avant, des liens de 8 à 10 cm, qui permettent d’immobiliser les poignets du malade. Elle est parfois indispensable pour les grands impulsifs, les violents et ceux qui ont une activité destructrice. Elle permet de faire sortir dans les cours certains malades particulièrement dangereux. Elle n’est pas physiquement trop pénible, et certains malades aux impulsions conscientes la réclament spontanément lorsqu’ils sentent venir « la crise ».
La brassière, en grosse toile, bâtie sur le modèle d’une brassière d’enfant, dépourvue de manches, enserre le thorax. Sur les côtés, il existe deux bandes se croisant dans le dos, l’une d’entre elles passant dans une ouverture pratiquée dans l’autre. Chacune est terminée par un lien qui peut être fixé aux côtés du sommier. Elle est utile pour maintenir au lit un malade instable, comme au cours de la phase d’angoisse et de subagitation qui accompagne le réveil après resucrage dans la cure d’insuline. Elle n’est pas suffisante pour maintenir au lit un agité; nous utilisons alors :
Les attaches de poignets et de pieds : bandes de toile épaisse, de 10 cm de large, que l’on fixe d’une part au poignet ou à la cheville, et, d’autre part, aux côtés ou au pied du sommier. Les liens, bien placés, ne blessent pas le malade, surtout si l’on prend la précaution d’interposer un molleton ou un coton entouré d’une compresse, entre le lien et la peau.
L’usage des moyens de contention doit être interdit au personnel sans avis du médecin. Il est indispensable d’éviter, dans la mesure du possible, qu’il prenne pour le malade le caractère d’une punition.
La tendance à la suppression des moyens de contention a trouvé des alliés puissants dans les neuroleptiques et tranquillisants dont l’usage généralisé a complètement transformé l’atmosphère des services psychiatriques. On peut affirmer que, à quelques exceptions près, tous les moyens de contention ont actuellement disparu des hôpitaux psychiatriques valables.
F. Ramée.