Ce que nous révèle le chuchotement de toutes ces femmes échouées sur les sofa des psychanalystes
(Spécial au Petit Journal) — Les Américaines qui craignent de ne pas “savoir résister”, celles que la timidité obsède, celles qui ont la manje de la propreté, les femmes « indépendantes », les épouses frigides, etc., ont pris l’habitude d’aller confier leurs peines et leurs ennuis aux psychanalystes. Mais les grandes villes américaines ne sont pas les seules à avoir leurs spécialistes du genre. Montréal a aussi ses psychanalystes, Ils n’y sont peut-être pas encore très nombreux, mais il y en a, et c’est ce qui compte.
Comme aux États-Unis, beaucoup de nos charmantes Montréalaises ont aujourd’hui sur leur carnet, à côté du numéro de téléphone de leur couturière ou de leur coiffeuse, celui de leur “psychanalyste”, qui en est rendu à remplacer le confesseur et le médecin.
Les psychanalystes, nous l’avons dit, ne sont pas nombreux à Montréal, mais une simple visite dans leurs bureaux — aussi discrète que possible prouve qu’ils ont une clientèle composée surtout d’Anglo-Canadiennes ou encore de Néo-Canadiennes.
Il est néanmoins intéressant de savoir ce qu’aurait apporté à ces Montréalaises cette science encore jeune: une aide en cette vie trépidante, une sensation de plus grande tranquillité, le désir de donner une plus grande stabilité à la vie sentimentale… Il faut dire que l’agitation de notre vie moderne et les peines de la vie sentimentales sont les principales causes des multiples névroses tant répandues de nos jours, névroses pour la guérison desquelles on a recours aux “psychanalystes”.
À New-York, les femmes vont chez les psychanalystes à tous les quinze jours… Ce sont presque toutes des “évoluées” dans tous les domaines. À Montréal, les patientes (ou les clientes) sont bien différentes. Chez les Canadiennes, d’évolution se produit habituellement comme résultat des deux chocs suivants: prise en charge à un âge trop jeune des responsabilités morales et matérielles et écroulement de valeurs morales considérées jusqu’ici comme intangibles
(fidélité conjugale, virginité féminine, monogamie, etc.). Ce sont ces deux genres de contrecoups qui peuvent faire de la Canadienne une femme qui “vit sa vie”, qui prend l’initiative du point de vue sentimental ou encore qui devient amoureuse par rotation.
Un de nos psychanalystes nous a déclaré: “Ces patientes sont généralement des femmes qui travaillent très dur, qui changent souvent d’amoureux et qui sont, dans ln plupart des cas, des anémiques, des épuisées, des victimes de dépressions nerveuses. évidentes ou larvées…”
— Sont-ce là le seul genre de patientes traitées?
— Oh non! Nous avons de nombreuses patientes qui nous présentent un aspect absolument contraire: des femmes en retard sur notre civilisation, pas encore libérées des inhibitions traditionnelles et qui sont loin d’avoir atteint la liberté d’esprit du premier groupe…
Et notre interlocuteur de nous citer des cas typiques: jeunes filles qui ont peur de traverser une place publique ou encore d’aller seules dans la rue. Devant notre étonnement en face d’une telle timidité, le psychanalyste nous explique: “La cause primordiale de ce trouble, qui va jusqu’à la tachycardie, c’est une crainte, datant de leur enfance, d’être victime, dans la rue, d’une attaque contre leur vertu.
Les rougissantes
Chez un autre psychanalyste, nous avons trouvé un autre genre de patiente: la femme affligée de 1a passion-de la propreté. Le mari a beau lui dire que “c’est asse” à la fin” et qu’il en a “marre de marcher sur les mains pour ne pas salir le plancher”, elle n’en continue pas moins à frotter, polir, astiquer et cirer, jusqu’au point de se réduire les mains à un état pitoyable.
— À quoi attribuer ce phénomène, monsieur?
—À un complexe très lointain. À une faute de jeunesse, peut-être.
À l’origine de la vie sexuelle de telles personnes, il y a quelque chose qu’elles veulent cacher; un contact, une rencontre qui leur a laissé une tache (souvent imaginaire) et dont elles ne se sentent pas encore complètement lavées.
Nouvelle lady Macbeth, ce genre de ménagère viendra souvent et faire soigner chez nous…
Encore un autre genre de patientes chez ce psychanalyste dont le bureau, tue Sherbrooke, est très fréquenté. Lui-même nous explique: “Même si cela peut vous paraitre étrange, beaucoup de femmes, mariées ou non, sont hantées par la crainte de rougir. La seule pensée de voir leur sang affluer à leurs joues les fait rougir en parlant à n’importe qui et n’importe où S’en rendant compte, elles s’embrouillent et bafouillent davantage, oubliant ce qu’elles allaient dire, La cause de ce comportement doit être recherchée dans une éducation sexuelle trop rigide pour le franc parler qui a cours de nos jours.
Au fond, ce qui les trouble à ce point, c’est la crainte que leurs pensées les plus intimes puissent être lues dans leur maintien.
Le mal de l’époque
Ce docteur nous parle d’une autre forme de maladie nerveuse: la crainte de la douleur, du compromis, C’est une forme de pathologie.
Ces femmes éviteront, par exemple, de manier l’argent. Au lieu de donner la main, elles offriront un doigt, et pour rien au monde elles voudront s’approcher d’une personne qui est allée visiter un malade.
Dans la même catégorie, il faut placer celles qui craignent la maternité à cause des responsabilités qui s’ensuivent, de même que celles aussi qui se lèveront jusqu’à trois fois avant de s’endormir, pour ailer voir si les clés de gaz sont bien fermées et si la porte est bien verrouillée. Ces femmes sont continuellement tiraillées par le doute; elles ne peuvent prendre position dans le calme et le détachement et ne savent Jamais décides si te qu’elles font est bien ou mal.
Si les “émancipées” ne souffrent ni de la peur des espaces vides, ni de la peur de rougir, elles sont, par contre, atteintes, dans 78 pour cent des cas, de frigidité, je mal de notre époque.
“Pourquoi ces femmes sont-elles frigides?”
Le psychanalyste chez qui nous nous trouvons, répond: “Parce qu’elles ont été, avant la guerre, énormément influencées par une conception erronée du mot “pudeur”, ou encore parce qu’elles sont allées trop loin dans l’autre sens, ou encore, enfin, parce que leur recherche du bonheur est trop anxieuse, trop tendue…
En somme, la frigidité des femmes en 1953 n’est pas d’origine physique ou physiologique. Elie provient plutôt d’un désaxement de l’imagination. Les glandes endocrines n’ont rien à faire là-dedans, ou presque rien. C’est peut-être là le châtiment de la femme qui a atteint, dans la société, des situations indépendantes et parfois même enviables.
(C’est la vision de 1953. Texte paru dans l’hebdomadaire Le Petit Journal, le 25 janvier 1953).
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