Excitation

Excitation en psychiatrie

1. Les éléments constituants. – L’excitation est un désordre caractérisé par la suractivité des fonctions psychiques normales, perturbées ou déficitaires, à laquelle s’ajoutent presque toujours des réactions d’extériorisation verbale ou motrice (excitation psychomotrice). Ces deux éléments – psychique et moteur – peuvent, dans quelques cas, exister à l’état isolé (exaltation mentale simple et agitation motrice pure) ; mais ces formes sont rares et, le plus souvent, l’excitation s’accompagne d’agitation.

On ne doit pas considérer comme exaltation mentale le dynamisme et la tension psychologique élevées de certains sujets, à l’esprit alerte et particulièrement actifs.

L’exaltation mentale ne devient vraiment pathologique que lorsqu’elle sous-tendue par un état affectif particulier (exaltation passionnelle), ou un état délirant spécial, paranoïaque, interprétateur, ou lorsqu’elle survient à titre réactionnel consécutivement à une émotion vive o à un accident grave. Ces élévations de tension psychologique, accidentelles, peuvent être contenues dans quelques cas. Elles se trahissent parfois cependant par des gestes d’impatience, une vivacité plus grande et un ton plus élevé de la voix, sans perte toutefois du contrôle des pensées et des actes. A un degré de plus, elles se manifesteront par de la loquacité, une suractivité de l’idéation, de la mémoire, de l’imagination, de l’exubérance ou de la mobilité des sentiments, par l’exagération de la confiance en soi, de la volonté qui ne connaît pas d’obstacles. Cette suractivité de la vie psychique peut rester dans un plan en apparence logique et cohérent, mais peut aussi s’accompagner d’une certaine instabilité des idées, du désordre des propos et des actes : l’excitation devient alors psychomotrice.

L’excitation peut être un état permanent, passager ou intermittent : elle peut être constitutionnelle, accidentelle ou réactionnelle.

Quelques caractères secondaires, mais immédiatement apparents, une tonalité affective variable peuvent donner à la formule générale de l’excitation un cachet particulier (agitation anxieuse, coléreuse, fureur, agitation délirante, stéréotypée, etc.).

Toutes ces modalités d’apparition, d’évolution, de caractères secondaires différencient et caractérisent les aspects variés de l’excitation et de l’agitation que l’on peut rencontrer en clinique.

II. Revue clinique. – Il y a des états d’excitation qu’on pourrait dire physiologiques : telles sont l’exubérance et la turbulence des enfants quand elles ne dépassent pas une certaine limite et qui s’opposent au ralentissement psychomoteur des vieillards : telle est aussi la surexcitation permanente de certains tempéraments ; toutefois, ces états de subexcitation légère peuvent connaître des paroxysmes qui leur font franchir le seuil du pathologique.

Nous diviserons les états d’excitation en deux grands groupes : 1) Les états d’excitation passagers ou accidentels ; 2) Les états d’excitation symptomatiques d’une disposition constitutionnelle ou d’une structure mentale pathologique. Mais nous n’en donnerons qu’une brève nomenclature, chacun des cas particuliers se trouvant étudié à l’affection correspondante.

1. États d’excitation passagers ou accidentels

Ils peuvent se présenter comme manifestations réactionnelles, comme décharges de certains tempéraments ou comme manifestations épisodiques et secondaires.

a) États d’excitation et d’agitation réactionnels d’origine affective : certains paroxysmes affectifs ou passionnels se traduisent par une excitation transitoire dans laquelle l’agitation motrice peut être considérable et désordonnée : l’excitation intellectuelle est à l’unisson de l’exaltation affective et peut provoquer des propos outranciers et des mimiques théâtrales. Tel est le cas des états passionnels dictés par la jalousie, la haine, la colère et aussi certaines décharges désordonnées et parfois impulsives des hyperémotifs. Les désordres s’accompagnent fréquemment de réactions végétatives (pâleur ou congestion de la face, tremblement, sudation).

L’anxiété se manifeste habituellement, quand elle atteint le paroxysme de l’angoisse, par une excitation caractéristique qui se projette dans des contenus idéatifs toujours pénibles (terreur, panthophobie, désespoir, etc.). Elle donne lieu quelquefois à une inhibition générale de l’activité (stupeur) ou des attitudes négatives (refus d’aliments, mutisme, claustration). Mais, plus souvent, elle entraîne des réactions expressives tumultueuses : le malade se tord les mains ou se griffe le visage, déchire ses vêtements, cherche à se mutiler ou à se détruire. Ce type d’excitation dramatique se rencontre dans toutes les psychoses anxieuses aiguës, primitives ou réactionnelles ; il peut émailler le cours des états mélancoliques et caractérise même une forme spéciale de ceux-ci, la mélancolie anxieuse.

Certaines manifestations hystériques, la crise de nerfs, l’état de besoin des toxicomanes, semblent sous-tendus par une exaltation particulière (agitation) monotone et stéréotypée.

b) États d’excitation d’origine organique. Toutes les intoxications peuvent provoquer des états d’excitation brusque ou rapidement progressifs. La plupart réalisent des tableaux d’ivresses. Nous citerons ici comme typiques les ivresses éthylique, cannabique, oxycarbonée, belladonnée et n’omettons pas la dangereuses ivresse des profondeurs des plongeurs évoluant avec un scaphandre autonome quand le débit d’oxygène se fait sous forte pression.

c) Nous soulignerons aussi l’action excitante de certains médicaments (sels d’acridine antimalariques, cyclosérine, amide isonicotinique, etc.), dont les accidents psychiques sont bien connus des phtysiologues et de quelques drogues utilisées souvent à des fins diagnostiques (amphétamines, hallucinogènes).

L’excitation corticale ou neurovégétative de ces agents chimiques s’accompagne d’une inhibition plus ou moins profonde de la conscience pouvant aboutir à la confusion mentale.

Ce sont d’ailleurs les états confusionnels et hallucinatoires qui permettent le plus communément en clinique d’observer les aspects symptomatiques de l’excitation psychique. Le type en est réalisé par l’agitation onirique des maladies infectieuses qui peut survenir, soit à la période d’état, soit parfois au début même de la maladie comme certaines pyrexies violentes (pneumonie, typhus, érysipèle). L’excitation répond au caractère plus ou moins inquiétant des scènes hallucinatoires auxquelles le malade participe de toute sa croyance et avec l’activité dont il reste capable, d’où les réactions allant de la simple carphologie aux raptus les plus dramatiques. Une mention spéciale doit être réservée au syndrome de délire aigu reconnaissable à son contexte organique.

On rapprochera de ces états les encéphalites et méningo-encéphalites qui peuvent provoquer de l’excitation avec ou sans confusion et d’autres processus neurologiques cérébraux (collapsus, traumatismes crâniens, tumeurs de l’encéphale).

Certains états de choc (médicaux ou chirurgicaux divers) s’accompagnent d’excitation, tantôt par réaction émotionnelle ou organique non spécifique, tantôt par l’intervention d’une imprégnation éthylique brusquement décompensée.

2. États d’excitation symptomatique d’une disposition constitutionnelle ou d’une structure mentale anormale.

Les uns se manifestent sous forme de décharges plus ou moins explosives, de bouffées délirantes ou d’accès périodiques ; les autres sont durables et permanents, soumis cependant à des oscillations variables.

a) Décharges épileptiques. Qu’il s’agisse d’une comitialité essentielle idiopathique ou secondaire, les paroxysmes qui caractérisent l’affection s’accompagnent souvent d’une excitation qui peut être prodromique ou postcritique. Cette excitation présente généralement chez le même malade un caractère stéréotypé ; elle peut revêtir l’allure d’un plan d’action assez coordonné et tendre à se réaliser à la manière d’une idée fixe avec une opiniâtreté singulière et parfois dangereuse.

On peut rapprocher de ces décharges celles de certains sujets impulsifs par trouble caractériel qui, pour des provocations parfois minimes, entrent dans des états d’excitation soudaine et explosive qu’attisent et exaspèrent la moindre riposte. La provocation est parfois le seul fait d’une irruption dans la conscience d’une représentation mental inopportune (auto-excitation).

Mentionnons aussi dans ce groupe les faits qu’A. Porot a décrits sous le nom de crise excito-motrice chez certains indigènes nord-africains et dont la durée peut atteindre plusieurs jours. Elles sont intermittentes et se déclenchent sans motif discernable, évoquant une disposition constitutionnelle périodique ou épileptique.

b) Les bouffées délirantes, rencontrées chez certains prédisposés (débiles mentaux, déséquilibrés) revêtent souvent le masque de l’excitation, mais ont un contenu délirant qui leur imprime un cachet propre.

c) L’excitation maniaque constitue un des types les plus fréquents et les plus caractéristiques des états d’excitation. Habituellement expansive, joviale ou ironique, mais parfois coléreuse, elle répond à l’exaltation de l’humeur de ces malades qui stimule leur activité intellectuelle : le sujet prend souvent conscience de cette suractivité qui lui donne l’illusion d’avoir acquis une brusque supériorité mentale. Ses actes sont en rapport avec ce sentiment de puissance.

d) Une certaine excitation (triste et monotone) peut s’observer dans la mélancolie.

e) La monotonie et la stéréotypie sont les traits dominants de l’excitation pauvre survenant éventuellement chez certains affaiblis intellectuels.

f) Au cours de la paralysie générale, les phénomènes d’excitation sont fréquents au début, du moins dans la forme expansive qui rappelle, par sa formule psychologique la manie. L’excitation s’apparaisse au cours de l’évolution, soit que celle-ci se fasse vers la résolution, soit qu’elle aboutisse à la démence : elle se réduit alors à des aspects pauvres et stéréotypés.

g) Dans les états séniles pathologiques, on notera fréquemment une excitation nocturne avec une inversion du rythme nyctérméral. L’excitation, surtout commune dans la presbyophrénie chronique se caractérise par la fabulation. Elle peut être plus soutenue et plus violente dans la manie présénile de la période d’involution.

h) Chez les déments précoces, l’excitation n’est pas rare soit à titre permanent, soit épisodiquement. Elle peut sous-tendre l’activité autistique, les délires de structure paranoïde ou paraphrénique et se traduire par des comportements divers (loquacité incohérente, graphomanie, maniérisme, etc.). Elle s’exprime plus volontiers en raptus moteurs imprévus dans la catatonie.

i) Dans les délires chroniques, surtout ceux de structure paranoïde, mais généralement dans toutes les formes sthéniques, l’excitation est fréquente ; l’exaltation intellectuelle est entretenue par les facteurs passionnels et émotionnels faciles à réactiver. Elle est généralement assez polarisée vers le thème principal du délire, conduit à la quérulence, à la rédaction de volumineux dossiers, de mémoires, de placets, etc. Elle soutient toute la conduite, mène parfois aux voies de fait.

III. Diagnostic. – Les états d’excitation et d’agitation constituent une des urgences psychiatriques les plus fréquentes et il importe, avant de prendre toutes mesures utiles, de chercher à en déterminer la nature. Chaque type d’excitation a ses caractères et sa physionomie propres : agitation anxieuse, excitation coléreuse ou fureur, activité hallucinatoire, exaltation passionnelle, gesticulation hystérique, etc.

Les principaux éléments à retenir sont : 1) Le mode de début brusque ou progressif ; 2) Les circonstances d’apparition (chocs émotifs, ivresse ou autres habitudes toxiques ; 3) Le degré de lucidité du sujet (état confusionnel ou hallucinatoire) ; 4) La présence ou non de la fièvre et d’autres symptômes généraux ; 5) Les antécédents du malade (périodicité, accès antérieurs, habitudes alcooliques, crises épileptiques, etc.).

S’il y a de la fièvre, rechercher les signes d’une maladie infectieuse possible, d’une fièvre éruptive ou d’un processus méningo-encéphalalitique. On se méfiera tout particulièrement du syndrome de délire aigu, de pronostic grave.

Si le sujet n’a pas de fièvre, mais se présente néanmoins comme un confus ou un halluciné, on recherchera une cause d’intoxication. La soudaineté du début, en l’absence de fièvre et de signes toxiques, fera penser à l’épilepsie ou à une crise d’excitation d’origine caractérielle.

Un accès d’excitation qui s’installe progressivement si rapidement en quelques jours, orientera le diagnostic vers un accès de manie aiguë avec ses éléments caractéristiques ou vers une bouffée délirante symptomatique. La lucidité et un certain sens critique conservés dans le premier cas et surtout la notion d’accès antérieurs confirmeront le diagnostic de manie périodique.

Chez l’enfant, l’agitation d’insomnie, les terreurs nocturnes doivent faire penser, au début d’une pyrexie, à un processus méningo-encéphalitique.

Chez le vieillard, turbulence et agitation signifient souvent un état démentiel qu’il faudra rechercher. Parfois, l’agitation est épisodique à l’occasion de petits accidents circulatoires cérébraux.

C’est surtout chez les sujets jeunes que le diagnostic de nature sera le plus malaisé : les bouffées délirantes n’y sont pas rares mais de signification parfois fort diverse : bouffées délirantes des débiles, premier accès chez un périodique, parfois forme atypique de l’agitation catatonique d’un pronostic plus sombre.

Le recours au spécialiste et la mise en observation s’imposent dans presque tous les cas.

IV. Thérapeutique. – Une fois le diagnostic étiologique posé, on recourra aux solutions qu’exige chaque cas particulier et qui sont exposées à propos des maladies susceptibles d’entraîner de l’excitation.

Nous ne traiterons pas ici de la conduite à tenir en raison de l’agitation que le malade peut présenter. Seule nous retiendra le symptôme excitation dans la mesure où il acquiert une certaine autonomie clinique ou constitue l’essentiel du trouble psychique.

La grande excitation soutenue exigera systématiquement l’éloignement du milieu ordinaire ou familial et l’adoption d’une thérapeutique de détente ou de sommeil dans laquelle certaines médications modernes dites neuroleptiques, psycholeptiques ou orthothymiques et les hypnotiques puissants (barbirturiques, hormonaux, S.C.T.Z. et autres) trouveront l’une de leurs meilleures indications. Parfois cependant, ces traitements se révéleront moins efficaces que quelques séries d’électrochocs ou une cure de chocs insuliniques à doses infracomatogènes (chocs « humides »).

L’ancienne cure opiacée (pilules d’opium ou laudanum de Sydenham à posologie progressive allant jusqu’à LX ou LXXX gouttes par jour en plusieurs prises), rajeunie par Delmas-Marsalet (morphine intraveineuse, un centigramme toutes les 6 ou 8 heures) rendra encore quelques services contre les excitations anxieuses.

Mais c’est surtout l’excitation mineure ou modérée sur laquelle il convient d’insister ici parce que les nouvelles drogues dites tranquillisantes ou ataraxiques en permettent le traitement en cure libre.

Les médications en cause appartiennent à des familles chimiques variées (L. Gayral et R. Dauty, 1957, et 1er Congrès international de Neuropsychopharmacologie, 1958) et chaque année en voit naître de nouvelles. L’indication thérapeutique semble devoir être posée en fonction de l’intensité de l’excitation plus encore que de la structure nerveuse intéressée et de la nature du processus pathologique, dans l’incertitude où l’on demeure encore du lieu d’action particulier à chaque drogue.

En règle générale, une excitation compatible avec une certaine activité utile du malade (professionnelle o distractive), fera choisir les produits ayant peu d’action hypnotique ou curarisante (par exemple, hydroxyzine, azacyclonol, carbamite de méthylpentynol).

L’excitation nécessitant l’alitement du malade s’accommodera au contraire de dogues susceptibles d’avoir sur la motricité ou l’équilibre certaines actions secondaires plus ou moins inhibitrices (méprobamate, alcaloïdes de la réserpine, certaines phénothizaines).

Les modalités d’administration de chaque médication, leurs associations sont très individuelles. Et d’ailleurs chaque thérapeute a ses habitudes posologiques basées sur son expérience personnelle.

Dans bien des cas, un certain degré d’insomnie nocturne théoriquement accessible aux « tranquillisants » persiste et doit être combattu à l’aide d’hypnotiques que l’on choisira parmi ceux dont l’action est rapide et l’élimination facile.

Certains états d’excitation d’ailleurs répondent bien aux doses filées de phénobarbital et aux bromures.

Les thérapeutiques végétales (valériane, balotte fétide, etc.) ont beaucoup perdu de leur intérêt. Elles demeurent toutefois des adjuvants peu toxiques de la psychothérapie avec diverses techniques physiques (balnéation tiède prolongée, ionisation calcique transcérébrale, etc.).

La psychothérapie de l’excitation est en effet presque toujours « armée », c’est-à-dire appuyée sur l’action tangible pour le malade d’un remède physique ou chimique. Elle ne doit en tout cas jamais être omise dans le traitement bien compris d’une excitation. Mais elle est rarement efficace à elle seule. Parmi les techniques auxquelles on peut recourir, une place importante paraît devoir être faite à la relaxation.

Soulignons pour terminer que la possibilité de traiter dès leur début nombre d’états d’excitation, réduit dans de notables proportions les hospitalisations.

Ch. Bardenat.

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Quand un homme a peur la colère n’est pas loin; l’irritation suit l’excitation. (Alain, de son vrai nom Emile-Auguste Chartier, philosophe français, né en 1868 et mort en 1951). Illustration: © Megan Jorgensen.

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