Érotomanie en psychologie
Les anciens aliénistes décrivaient l’érotomanie comme étant essentiellement « la folie de l’amour chaste » (Esquirol, 1838). L’érotomaniaque était le jouet de son imagination; chez lui « l’amour était dans la tête », – ce qui permettait de l’opposer aux « nymphomanes » et aux « satyrisiaques ».
Les anciens auteurs avaient déjà noté que les érotomanes ne présentaient aucun affaiblissement intellectuel notable, qu’ils étaient parfois fins et cultivés malgré de petites tares constitutionnelles diverses assez fréquentes. Leur chasteté était conditionnée par différentes causes (timidité, célibat professionnel). Mais les érotomanes se signalaient parfois assez soudainement par de brusques entreprises auprès d’un être dont un détail personnel répondait à l’idéal qu’ils s’étaient forgés ou parce qu’ils s’imaginaient avoir été distingués par l’objet de leurs poursuites. C’étaient, suivant le sexe de l’amoureux, une grande dame, une vedette, une actrice, ou bien un homme politique, un écrivain, un prêtre, un médecin, etc. L’érotomanie pouvait s’associer à l’inversion sexuelle; parfois l’objet aimé était inaccessible ou mystique (la Vierge ou une sainte).
L’érotomanie – pour les auteurs de cette époque – correspondait toujours à un but élevé et idéal c’est autour du critère de la chasteté que les premières descriptions conçurent l’unité du syndrome érotomaniaque. Plus tard, G. de Clérambault, à qui l’on doit de pénétrantes études sur cette question, analysant le mécanisme psychologique du trouble fondamental de ces malades, établit qu’il consistait essentiellement dans « l’illusion délirante d’être aimé », le platonisme étant un caractère contingent.
Dans cet « érotisme orgueilleux », l’objet jouissant toujours d’un certain prestige aux yeux du sujet et restant unique tout au long de la psychose, le thème se développe beaucoup plus comme une idée fixe qu’il ne se structure comme un délire, selon la remarque de M. Leconte.
Telle était l’érotomanie pure qu’il convenait d’opposer aux formes érotomaniaques dites associées de certains délires progressifs (délires avec érotomanie), ou d’autres psychoses (paralysie générale, hystérie et même schizophrénie), surtout lorsqu’elles comportaient des hallucinations génitales.
G. de Clérambault décrivit les 3 phases caractéristiques de l’évolution de l’érotomanie pure : espoir, dépit, rancune, qui conditionnent le comportement du malade.
Le début est toujours brusque, précis, en « coup de foudre », et s’établit sur le postulat idéo-affectif que le sujet est aimé de l’objet qui s’est épris le premier et qui continuera à aimer davantage que le sujet quels que soient les paradoxes de sa conduite ultérieure. Sur ce postulat broderont habituellement des thèmes imaginatifs ou interprétatifs.
Chaque étape de l’évolution se caractérise par un mode de réaction significatif : à l’espoir répondent les démarches ambitieuses, à la rancune, les revendications intéressées.
Attirant de leur côté l’attention sur l’élément passionnel, affectif par conséquent de l’érotomanie, Dide et Guiraud établissent une distinction entre les érotomanes vrais ou amoureux passionnés (qui ne seraient pas systématiquement chastes; et les idéalistes amoureux (ceux-là toujours platoniques), qui constituent une variété thématique des « idéalistes passionnés ».
Quoi qu’il soit du point de vue nosologique et à quelque nuance qu’appartienne le ou la malade, les éléments passionnels délirants et idéalistes (avec, pour corollaire habituel, la chasteté dans la poursuite, sont généralement faciles à mettre en évidence chez le même sujet à des degrés divers.
Le terrain psychopathique sur lequel se développe le délire est varié, mais la structure paranoïaque de celui-ci fait rarement défaut et l’instabilité émotionnelle est constante.
Dans presque tous les cas, l’évolution est chronique, les rémissions sont exceptionnelles et le délire résiste à toute démonstration comme à toute thérapeutique. Seule peut parfois réussir l’intimidation (Dide et Guiraud), mais il est plus prudent d’user à temps de mesures de prévention et de protection (internement).
La conduite de l’érotomane est, en effet, fort parallèle, quelques amoureux discrets n’abordant jamais l’objet aimé ou supportant voluptueusement – par un certain masochisme – l’épreuve de son dédain. Mais tous les degrés de l’insistance peuvent se voir, depuis la banale sollicitation d’entretien, la correspondance assidue, la demande en mariage, l’assaut d’hommages plus ou moins tapageurs (bouquets présentés en public, poursuites indiscrètes, etc.), jusqu’aux voies de fait, au vrai ou au pseudo-attentat dans le but d’attirer l’attention, au meurtre par jalousie (dont la principale victime est souvent le conjoint de l’objet). Seuls, peut-être, l’attentat à la pudeur et le viol manqueraient à la liste des actes que comporte l’aspect médico-légal des réactions de l’érotomane.
Ces réactions ont parfois un caractère définitif dans les formes où l’érotomane se croit persécuté par l’objet.
Il va de soi que l’irresponsabilité de ces malades est la règle. La vraie difficulté de l’expertise médicale est quelquefois dans les cas-frontières, de discerner la limite entre la passion simple (le « délire » des amoureux) et la passion délirante.
Masochisme
Le masochisme ou passivisme est une perversion associant la jouissance érotique à la douleur éprouvée par le sujet. Il doit son nom à l’écrivain allemand Sacher Masoch, qui l’a complaisamment exalté dans son œuvre. On en compte quelques exemples célèbres, dont J.-J. Rousseau.
Comme pour le sadisme, auquel il est non seulement étroitement apparenté, mais encore parfois combiné (sado-masochisme), on observe des degrés variés dans le masochisme selon le caractère revêtu par la souffrance (qui peut être physique ou morale) et les moyens de la provoquer (depuis le simulacre ou la simple évocation de sévices jusqu’à l’exécution de pratiques humiliantes ou mutilatrices).
Le masochiste a une émotivité et une sensibilité générales ordinairement amoindries, un sens moral plus ou moins obtus. Il ne peut obtenir la satisfaction génitale sans l’appoint électivement excitant des mauvais traitements qu’il s’inflige ou se fait administrer, soit qu’ils accompagnent la conjonction sexuelle ou des manœuvres solitaires (auto-masochisme), soit encore qu’ils se substituent à toute intervention directe sur les organes génitaux pour provoquer l’orgasme.
Le masochisme n’est pas l’apanage de la femme, malgré la tendance normalement passive de celle-ci. Il ne faut pas lui attribuer certaines complaisances vénales de prostituées à l’égard de sadiques ou de débauchés vicieux.
Il peut être interprété sous l’angle psychanalytique par différents mécanismes. La souffrance associée au coït lèverait l’interdiction créée par le sentiment de culpabilité découlant du complexe d’Œdipe ; elle effacerait par l’intervention de l’autopunition l’angoisse de la faute.
On peut admettre encore dans certains cas l’érotisation des punitions infligées à l’enfant jusqu’à leur substitution à l’orgasme. Enfin, par un refoulement défectueux des tendances sadistes, l’agressivité du sujet peut se retourner contre lui-même.
Quoi qu’il en soit de ces interprétations, on doit noter que cette perversion est susceptible de se développer par contagion mentale ou entrainement.
Du point de vue médico-légal, la perversion est sans conséquences graves, sauf accident. Il est rare, en effet, que la victime volontaire d’un sévice soit conduite à provoquer une action judiciaire.
Sadisme
Le sadisme place le plaisir érotique sous la dépendance de la souffrance d’autrui.
Le sujet à qui est imposé cette souffrance est ou non du même sexe que le sadique, ou un enfant, ou un animal selon que la perversion s’allie, ce qui est fréquent, à l’homosexualité, à la pédophilie, à la bestialité.
Certains cas sont plus complexes : Charles Le Mauvais torturait des jeunes gens avant de posséder une courtisane. Mais la souffrance est appliquée généralement au partenaire.
Le supplice infligé à la victime du sadique peut être d’ordre physique (coups, piqûres, morsures, flagellation, mutilations allant jusqu’à la mort) ou moral (injures, humiliations). Il est parfois simplement simulé (sadisme symbolique de Kraft Ebing).
Le pervers peut se contenir de contempler ce supplice ; mais il est d’ordinaire conduit à le provoquer lui-même.
La satisfaction qu’il éprouve peut être purement psychique ; le plus souvent, elle comporte une sensation sexuelle amenant l’orgasme, soit seule, soit en liaison avec le coït ou la masturbation.
Le sadique a généralement une sensibilité émotive émoussée principalement sur le plan génital (d’où le besoin pour lui de réagir avec violence contre l’objet de ses désirs) et sur le plan moral (d’ù la facilité avec laquelle il cède à ses impulsions, quoi qu’il puisse se contenter de les satisfaire symboliquement).
En dehors des cas de perversion patente, il y a lieu de signaler l’existence de phantasmes sadiques dans certaines névroses obsessionnelles où la personnalité consciente se débat contre des reliquats d’imaginations infantiles mal refoulées. De telles représentations sont parfois dépuillées de contenu sexuel apparent.
La psychiatrie classique a tenté (Kraft Ebing) d’expliquer le sadisme par la déformation d’une relation qui existerait normalement dans l’appétit sexuel, entre l’instinct de possession et l’instinct de domination, au moins chez le mâle. Il y aurait, sous l’influence du tempérament d’ensemble, transportation des phénomènes, l’accessoire prenant la place du principal (Kretschmer). Le sadisme se trouverait, en effet, ébauché dans le paroxysme voluptueux, en particulier chez les sujets instables.
La prédisposition à cette perversion est habituellement constitutionnelle et complexe : la révélation de l’anomalie a lieu par la rencontre fortuite d’une émotion érotique avec des idées meurtières latentes (cas démonstratif de Giraud, dont le malade avait, dès l’âge de 6 ans, éprouvé l’envie de tuer en voyant égorger des porcs).
Pour les psychanalystes, la tendance sadique apparaîtrait dans l’évolution sexuelle infantile par l’association du plaisir génital avec la crainte de la punition de l’acte interdit, mais avec transfert du châtiment sur le partenaire. Elle se présente comme une déviation du masochisme auquel on le trouve d’ailleurs parfois associée (sadomasochisme).
On décrit généralement deux formes au sadisme :
Dans le petit sadisme, la satisfaction spécifique est obtenue par la simple évocation ou la contemplation d’images de scènes cruelles ou par l’accomplissement de rites stylisant la souffrance. C’est le cas le plus fréquent, celui qu’illustrent les œuvres du marquis de Sade, dont le nom à passé à la perversion.
La flagellation est une des pratiques favorites des « petits sadiques ». Ils trouvent leur volupté, ou la préparent, en portant des coups (de fouet en général) à leur partenaire ou à un comparse.
Tous les flagellateurs ne sont pas, cependant, de vrais sadiques ; certains appartiennent simplement à une catégorie de débauchés lubriques, de snobs du vice.
On ne confondra pas, d’autre part, la flagellation recherchée par les masochistes (v. ce mot) avec celle que s’imposent certains délirants chroniques mystiques dans un but de mortification et qui est dénuée, au moins en apparence, de signification sexuelle.
Du petit sadisme, on peut rapprocher la nécrophilie ou vampirisme, qui lui est parfois associée (nécrosadisme de Plassard et Riser) et dans laquelle le sujet se satisfait en s’accouplant effectivement avec des cadavres, en les contemplant ou en les palpant. On cite quelques cas célèbres de cette perversion, d’ailleurs assez rare (Périandre, tyran de Corinthe, dans l’histoire; Addison, dans les annales judiciaires).
Le nécrophile peut être un érotique honteux, inhibé devant les femmes et compensant dans ses pratiques macabres son infirmité psychique.
Dans le grand sadisme, heureusement peu fréquent, l’excitation sexuelle réclame pour se manifester des actes de cruauté réelle et sévère allant jusqu’à l’homicide. Quand ces actes s’accompagnent de mutilation avec succion du sang de la victime ou dépeçage et anthropophagie, il s’agit de Cannibalisme ou Nécrophagie.
Les mutilations portant surtout sur les organes génitaux, les fesses, les seins, traduiraient certaines tendances fétichistes associées.
Les grands sadiques sont, le plus souvent, de graves obsédés impulsifs (H. Claude).
Les crimes de ces pervers ont un caractère monstrueux et se répètent volontiers avec une certaine stéréotypie d’ensemble comme le détail. On peut citer le cas historique de Gilles de Retz (ou de Rais), celui de Jack l’Étrangleur, etc.
Pour la médecine légale du sadisme, on se rapportera à l’article Perversions sexuelles.
Le terme de sadisme est parfois pris dans un sens figuré pour souligner le plaisir mauvais qui trouvent certains individus paranoïaques persécuteurs par exemple, à poursuivre leur prochain de leurs attaques.
Dans le vocabulaire psychanalytique, le sadisme est communément synonyme d’agressivité.
Ch. Bardenat.
Voir aussi :
