Déséquilibre psychique
État psychique permanent, indépendant de toute atteinte psychotique et qui se manifeste par l’impossibilité, pour un sujet, de se donner et de suivre un plan d’existence harmonieux, conforme à ses véritables intérêts et adapté aux exigences de la vie en société.
Le déséquilibre psychique est un fait psychiatrique d’une très grande importance médicale et sociale. Lorsqu’il est assez prononcé, en effet, ou lorsque les circonstances viennent en accentuer les traits, il se traduit souvent par des comportements désordonnés ou dangereux. Les déséquilibrés n’étant pas, à proprement parler, des aliénés, les problèmes de défense sociale, d’assistance et de thérapeutique sont alors d’autant plus difficiles à résoudre. D’autre part, le déséquilibre constitue un important facteur de prédisposition pour un grand nombre d’accidents psychiatriques : il implique, en effet, une organisation psychique imparfaite et très vulnérable; de plus, la vie des déséquilibrés, instable, chaotique, fertile en incidents de toutes sortes, les expose plus que d’autres aux agressions physiques ou psychologiques génératrices de maladies mentales.
Historique du problème de déséquilibre psychique. Place nosographique
Le terme de déséquilibre psychique « constitutionnel », généralement utilisé par les auteurs français, évoque l’origine historique de ce concept.
À la fin du siècle XIX, les premières connaissances sur l’hérédité avaient permis à Morel d’introduire en psychiatrie, avec la théorie de la dégénérescence, la notion de causalité organique. Magnan devait bientôt étendre ces vues en montrant la réalité, auprès de ces prédispositions héréditaires, de celles qui résultent des atteintes organiques acquises.
Héritiers spirituels de Magnan, Dupré puis Delmas vont entreprendre un inventaire soigneux de ces formes de prédisposition : les constitutions sont héréditaires ou précocement et biologiquement acquises; groupes de tendances physiques faisant partie de la personnalité innée du sujet, d’une durée indéfinie, à la manière d’infirmités plus que de maladies vraies, elles correspondent à des modalités de déséquilibre qui peuvent se rencontrer isolées ou associées chez un même sujet et s’extérioriser par des réactions légères ou marquées. Elles sont considérées comme immuables.
Une évolution semblable se produit pendant ce temps dans les pays de langue allemande où, après la description nosographique de Kraepelin, on aboutit à la typologie de Kretschmer, puis à la description des personnalités psychopathiques par Schneider. Les travaux de Schneider et de Delmas sont contemporains. Delmas décrit cinq constitutions : l’auteur allemand en décrit dix. Elles peuvent s’associer pour entraîner des désordres importants de la conduite, des « inadaptations sociales ».
Ces conceptions apparaissent aujourd’hui critiquables : elles ne font en effet guère de place aux données psychologiques dont ont bénéficié tous les autres chapitres de la nosographie psychiatrique. D’autre part, elles ne fournissent aucune explication satisfaisante du passage des formes simples du déséquilibre aux grandes inadaptations sociales.
En fait, le terme de déséquilibre psychique est actuellement utilisé pour désigner deux ordres de faits différents :
- D’une part, des anomalies psychophysiologiques limitées qui se traduisent en clinique par des traits de comportement spécifiques. C’est le cas, par exemple, pour l’hyperémotivité. De tels faits ne répondent pas à la définition que nous avons donnée du déséquilibre, puisqu’ils sont généralement compatibles avec une adaptation sociale suffisance et permettant une cohérence à peu près satisfaisante de la trajectoire vitale ; nous les étudierons néanmoins, pour nous conformer à la tradition de la psychiatrie française, sous le nom de « déséquilibres simples » ;
- D’autre part, des structures anormales intéressant de larges secteurs de la personnalité, impliquant un style aberrant et en général permanent d’existence et répondant à ce que l’on nomme volontiers le « déséquilibre complexe » ou « grand déséquilibre ». Ce groupe correspond à celui des personnalités psychopathiques des auteurs anglo-saxons et germaniques.
Description clinique
I. Les déséquilibres simples
Il s’agit là d’un groupe assez disparate et souvent remanié. La mythomanie, par exemple, que Delmas prétendait y faire figurer, ne saurait être considérée aujourd’hui comme une anomalie constitutionnelle spécifique. Il semble que l’on puisse au moins provisoirement retenir :
- L’hyperémotivité ;
- La faiblesse psychologique, faite de secondarité, d’un manque de courage et de confiance en soi et dans la vie, d’un défaut de dynamisme et d’élan vital, que l’on trouve à la base de nombreux accidents dépressifs, neurasthéniques, psychasthéniques, hystériques, obsessionnels.
- L’instabilité psychomotrice.
- L’excitation psychique permanente, qui se caractérise par la brusquerie et par l’ampleur exagérée des réactions psychomotrices, avec pour corollaire l’instabilité : sujets toujours en mouvement, prompts à s’émouvoir ou à s’emporter, souvent brillants mais jamais efficaces, qui se lancent avec feu dans les entreprises les variées et les abandonnent tout aussi facilement pour d’autres ; à la faveur d’une polarisation affective plus poussée, on les voit se comporter en « idéalistes passionnés » (Dide), tandis que d’autres se posent en réformateurs sectaires et hargneux, aigris contre la société qui refuse de reconnaître leurs mérites.
- La cyclothymie existe sur le plan du déséquilibre et peut fort bien ne jamais atteindre à la psychose maniaco-dépressive : il n’est d’ailleurs pas démontré que seule une différence de degrés sépare ces deux éventualités. Les périodes d’excitation et de dépression sont généralement moins longues que des accès de manie et de mélancolie périodiques et souvent ils alternent sans laisser entre eux d’intervalles libres bien caractérisés.
- La paranoïa dite constitutionnelle, qu’il ne faut pas confondre avec la psychose paranoïaque ou avec la structure paranoïaque (au sens de H. Claude) de certains délires.
- La schizoïdie, ou constitution schizoïde, que l’on peut observer comme première étape du développement d’une schizophrénie, mais qui peut persister indéfiniment sous la forme d’une simple disposition à la rêverie, au repliement sur soi, à la solitude, au rationalisme outrancier.
- L’épileptoïdie ou constitution glischéroïde (Fr. Minkowska). On la rencontre fréquemment accompagnant une épilepsie d’apparence « essentielle », mais elle peut aussi exister chez des sujets n’ayant jamais présenté d’accidents comitiaux paroxystiques. Elle se caractérise par un état habituel de ralentissement, de viscosité affective, d’adhérence excessive aux choses, aux personnes, aux traditions, avec des explosions brutales de colère ou d’agressivité.
II – Les grands déséquilibres
Il s’agit là encore d’un ensemble assez disparate, au sein duquel il paraît possible d’isoler plusieurs ordres de faits :
a) Dans un premier groupe figurent des sujets qui ont réussi une adaptation relative à un milieu qui, le plus souvent, est lui-même anormal ; ils y mènent une existence orageuse ; leurs rapports avec leurs partenaires sont inspirés par la dialectique du maître et de l’esclave, sinon par celle du bourreau et de la victime. Les incidents, les « réactions » sont multiplies au sein de cette constellation, mais la débordent rarement. Ces sujets n’ont, en dehors de leur « milieu de survie », que des contacts formels et superficiels.
On constate parfois, à un examen minutieux, des particularités de l’équipement neurobiologique (latéralisation imparfaite ou difficultés instrumentales) qui peuvent avoir joué un rôle étiologique en gênant l’évolution fonctionnelle de certaines techniques indispensables à la vie sociale ; mais ces particularités restent proches des limites de la normale.
Ce groupe paraît correspondre au déséquilibre constitutionnel classique sous sa forme la plus habituelle. Il est en fait constitué par des névroses caractérielles fixées, comme le montrent l’examen attentif de la biographie des sujets et la compréhension en profondeur de leurs symptômes.
b) Un deuxième groupe comprend des névroses installées sur des structures neurologiques franchement anormales.
L’adaptation de ces sujets reste précaire ; ils sont rejetés par les milieux qu’ils traversent, après des éclats, des manifestations spectaculaires (fugues, tentatives de suicide) sur lesquelles on a voulu fonder la description ou la classification de tels malades. Les « troubles caractériels des épileptiques temporaux » en réalisent l’aspect le plus typique.
La dynamique névrotique prend dans ces cas une coloration spéciale : les anomalies neurologiques constituent un point d’appel pour les conflits infantiles, une fragilisation à l’égard des traumatismes de l’adolescence ou de l’âge adulte. Elles prêtent leur mode expressionnel aux réactions de ces malades.
L’avènement d’un tel groupe, préfiguré par la constitution épileptoïde de Françoise Minkowska, a vu consacrer sa légitimité grâce à l’apport de l’électroencéphalographie qui permet une meilleur connaissance des formes infracliniques de l’épilepsie.
c) D’autres malades sont hospitalisés à l’occasion de troubles psychosiques divers. Le caractère résolutif mais toujours récidivant de ces troubles, leur aspect atypique qui évoque à chaque hospitalisation un diagnostic différent que l’évolution conduit à infirmer, l’existence fréquente d’anomalies organiques importantes (infections, encéphalites, syndromes endocriniens), la biographie des sujets enfin, semée de conflits et marquée du sceau d’une inadaptation familiale et sociale permanente, amènent en fin de compte à évoquer le diagnostic de déséquilibre psychique.
Il s’agit en réalité de psychoses, qui doivent être reconnus et traitées comme telles. Les facteurs psychologiques ne constituent qu’une façade, ils n’expliquent pas la maladie et ne la résument pas.
d) Le groupe des pervers, qui correspond à peu près à la « folie morale » des anciens auteurs, aux anéthopathes de Karpman, est à vrai dire assez peu homogène. Les uns sont des névrosés ; d’autres évoquent par plus d’un trait certaines formes de schizophrénie fixées à un stade prédissociatif de leur évolution. Qu’il s’agisse de mythomanes, de pervers sexuels, de sadiques, de vandales, de vagabondes, d’incendiaires, ces sujets ont généralement une connaissance théorique exacte de la loi morale, mais, soit par faiblesse, soit par bravade et opposition systématique, ils la transgressent constamment. La tâche la plus importante, mais aussi la plus délicate, du psychiatre consiste alors à déterminer si la perversion correspond à une disposition profondément enracinée dans la personnalité ou si les comportements asociaux du malade peuvent être considérés comme les manifestations névrotiques traduisant, de façon parfois symbolique, un trouble psychologique profond ; dans le second cas, une psychothérapie bien conduite peut faire disparaître la perversion ; dans le premier, au contraire, on peut seulement s’opposer à ses manifestations par une surveillance étroite ou par une intimidation énergique.
e) Si certains auteurs exigent, pour accepter le diagnostic de déséquilibre, un niveau intellectuel normal, il est cependant habituel de parler de débiles déséquilibrés. En effet, en opposition avec les arriérés dociles et assez facilement adaptés à leur milieu, il en est d’autres qui entrent perpétuellement en conflit avec leur entourage et dont la trajectoire personnelle est assez semblable à celle des déséquilibrés. Mais, en admettant même la possibilité d’association entre l’une des modalités du déséquilibre et le déficit intellectuel, celui-ci demeure le fait primordial.
Corrolaires biologiques
Quel que soit l’aspect psychologique du déséquilibre, il s’accompagne d’anomalies morphologiques et biologiques que, malheureusement, on connaît encore assez mal. On a d’abord décrit sous le nom de « stigmates de dégénérescence » diverses dysmorphies dont un bon nombre étaient attribuées par d’autres auteurs à l’hérédo-syphilis. Puis, on s’est attaché à la recherche de « types » morphologiques dont on a tenté d’analyser les corrélations avec les diverses variétés de comportements caractériels et pathologiques. On a pu, de la sorte, établir que le déséquilibre psychique n’est qu’un aspect d’un déséquilibre plus général intéressant l’ensemble des fonctions de l’organisme. D’ores et déjà, il semble que l’on doive attribuer une particulière importance aux troubles des régulations neurovégétatives et endocriniennes, ce qui centre l’attention sur la région sous-thalamohypophysaire, dont on connaît la richesse en centres sympathiques et le rôle essentiel dans l’ordonnance des divers métabolismes.
Ce que l’on trouve chez les déséquilibrés, ce sont beaucoup moins des dysfonctionnements constants et polarisés que de perpétuelles variations en plus ou en moins, dépassant par leur ampleur ce que l’on peut observer dans les limites physiologiques.
L’électroencéphalographie, de son côté, apporte la preuve d’un trouble très analogue dans la coordination et la régulation des activités neuronales, qu’il s’agisse d’anomalies habituellement rencontrées chez les sujets présentant des névroses caractérielles ou d’altérations du tracé permettant d’évoquer une comitialité de type « temporal ».
Pathologie mentale et déséquilibre
Toutes les affections mentales peuvent évidemment survenir chez des sujets déséquilibrés et, le plus souvent, on peut légitimement considérer cette circonstance comme ayant favorisé leur éclosion. Certaines névroses et psychoses, cependant, contractent des liens particulièrement étroits avec le déséquilibre dont elles apparaissent comme des efflorescences ou parfois comme de véritables « complications ».
En psychiatrie infantile, en dehors des cas où le déséquilibre s’exprime à l’état de pureté, sous une forme très voisine de celle qu’il gardera chez l’adulte (hyperémotivité, instabilité psychomotrice, perversions foncières), on le retrouve encore, plus ou moins accusé, plus ou moins apparent, à la base des syndromes d’inadaptation, tics, énurésie, névroses infantiles, etc. Dans tous ces cas, sans doute, on trouve à l’origine des symptômes des fautes éducatives et des traumatismes psychologiques qui permettent d’incriminer l’action du milieu ; mais de telles causes ne se montre psychogènes, le plus souvent, que chez un petit nombre d’enfants et c’est précisément le déséquilibre, sous ses différentes formes, qui paraît être la condition indispensable de leur efficacité.
Les psychoses émotives, engendrées chez l’adulte par des traumatismes émotionnels, ne s’observent guère que chez des sujets antérieurement hyperémotifs ; plus est marquée la prédisposition, plus peut être minime la cause déclenchante. En revanche,, on peut voir, comme l’a bien montré Dupré, les émotions renforcer le déséquilibre, voire – pour cet auteur – le créer de toutes pièces.
Les névroses, qu’il s’agisse d’hystérie, de névrose d’angoisse, d’obsessions, de psychasthénie, et de même les « désordres psychosomatiques » supposent également une base de déséquilibre préexistant, le plus souvent sous la forme d’hyperémotivité et de faiblesse psychologique.
La même remarque peut être faite en ce qui concerne les psychoses et psychonévroses dites « réactionnelles », correspondant à ce que l’on nommait autrefois « psychoses ou délire variable des dégénérés » ou encore « délires d’emblée ».
Les toxicomanies contractent avec le déséquilibre psychique des rapports toujours étroits, mais de nature variable selon les cas : tantôt il s’agit de toxicomanies que l’on peut considérer comme accidentelles, nées à l’occasion psychologique passagère, de l’entraînement dû à fréquentation d’un milieu irrégulier ; il est certain que la vie du déséquilibré est toujours fertile en incidents de cette sorte et les chances de voir se constituer une toxicomanie augmentent en raison de la faible résistance que ces sujets savent opposer à la tentation. Plus rarement, le recours à l’intoxication apparaît comme un véritable symptôme névrotique déterminé par un enchaînement de mécanismes inconscients et susceptible de disparaître par une psychothérapie « en profondeur ».
Enfin, il n’est pas douteux que certains sujets doivent être considérés comme de véritables « toxicomanes constitutionnels » ; chez eux, le déséquilibre revêt l’aspect d’une disposition bien différenciée, susceptible de se transmettre héréditairement, qui les entraîne soit vers les toxicomanies en général, soit, plus rarement, de façon élective vers l’une d’entre elles.
Dans toutes les éventualités que nous venons d’envisager, la forme clinique du déséquilibre commande, dans une certaine mesure, celle des accidents ; mais, surtout, elle en règle l’évolution et le pronostic : chez les hyperémotif simples, la guérison est le plus souvent rapide et complète, mais les récidives ne sont pas rares ; les psychonévroses nées sur un fond de faiblesse psychologique sont améliorées par les thérapeutiques les plus diverses, mais rechutent avec une égale facilité et traînent interminablement. La cyclothymie imprime aux accidents venus la compliquer son allure capricieuse et souvent périodique. Le déséquilibre complexe enfin, surtout lorsqu’il comprend un élément de perversion, est toujours d’un très mauvais pronostic, les conditions nécessaires à la guérison parvenant bien rarement à être simultanément réalisées dans tous les secteurs où porte son action perturbatrice.
Étio-pathogénie
On a longtemps considéré le déséquilibre psychique comme une anomalie héréditaire, pouvant se transmettre sous la même forme de génération en génération. En réalité, cette « transmission », nous le verrons, ressort plus souvent à l’éducation qu’à un mécanisme génétique et, s’il semble que certains dispositions (l’hyperréactivité, par exemple) peuvent être transmises à la descendance, il paraît difficile de l’admettre pour des comportements plus complexes.
Plus importantes sans doute sont les causes agissant pendant la gestation et à la naissance : indépendamment des maladies infectieuses qui peuvent se transmettre au fœtus, la mauvaise santé de la mère, les carences alimentaires auxquelles elle peut être exposée, les émotions répétées ou un état de tension psychique affective durable ont un effet incontestable sur l’enfant : à la naissance, il faut surtout compter avec les traumatismes (forceps) et plus encore avec l’anoxie. Les encéphalites du premier âge, souvent peu apparentes (en particulier dans les cas de la coqueluche), ont des conséquences analogues. Il faut enfin faire une place à des accidents encore plus tardifs, de nature traumatique, toxique, endocrinienne et là encore encéphalitique : des cas de perversions et d’autres manifestations de déséquilibre ont été décrits dans les suites de l’encéphalite épidémique, de même d’ailleurs qu’après les traumatismes crâniens.
Ces différents facteurs étiologiques, on doit le préciser, ne sauraient déterminer de façon directe et mécanique toutes les manifestations du déséquilibre psychique. Elles peuvent se traduire par une instabilité de l’humeur, par des troubles de la modulation émotionnelle, par des défauts ou des excès de dynamisme vital, par l’instabilité psychomotrice ; elle peuvent enfin laisser subsister des séquelles épileptiques et aussi des anomalies fonctionnelles telles que la gaucherie, la dyslexie et certaines difficultés dans la perception et le maniement des formes, des symboles, de rythmes.
Sur le terrain ainsi préparé, c’est l’action des causes psychologiques qui va s’exercer pour compléter et modifier le tableau clinique et réaliser les « formes » plus complexes et plus élaborées du déséquilibre.
Psychopathologie
La psychogenèse met ici en œuvre les mêmes ressorts que dans les névroses et nous n’y insisterons pas. Mais, en outre, elle comporte quelques aspects particuliers qu’il convient de souligner.
a) L’induction parentale : Fréquemment, les parents interviennent de façon active dans la genèse des troubles présentés par leurs enfants, soit en les entraînant à vivre selon une trajectoire anormale, soit en faisant obstacle à leur besoin de s’évader d’une vie familiale perturbée, soit simplement en leur refusant leur aide au moment où elle serait le plus nécessaire.
b) La psychogenèse induite : Il s’agit ici d’un mode très particulier de psychogenèse, centrée sur une anomalie organique, celle-ci réalisant en somme une infériorité au sens adlérien du terme. Un enfant qui, du fait d’altérations organiques, présente des comportements inhabituels (moteurs ou thymiques, comme les gauchers ou les comitiaux temporaux) éveille généralement dans son entourage des réactions d’hostilité, de réprobation ou de rejet qui prennent pour lui valeur de situations psychogènes. Se sentant exclu, il réagit par une agressivité qui entraîne de nouvelles punitions et de nouvelles exclusions.
c) La carence d’autorité est notée avec une grande fréquence dans les antécédents des déséquilibrés et son rôle pathogène apparaît souvent considérable.
d) Le milieu de survie : Les déséquilibrés trouvent souvent une formule de compromis avec un milieu généralement assez irrégulier, au sein duquel ils vivent sans trop de complications. La structure du milieu de survie revêt un aspect thématique ; le déséquilibre y joie un rôle symbolique, permettant la répétition indéfinie et « psychodramatique » du ou des conflits originels.
e) Les épisodes spectaculaires et accidentels, les « réactions » qui présentent ces malades d’une part, leurs traits caractériels d’autre part, ont une valeur signifiante : ils représentent et actualisent les situations conflictuelles dans lesquelles ces sujets ont vécu leur enfance.
Le problème médico-social
Si les thérapeutiques médicales ou psychologiques obtiennent souvent de brillants succès dans les manifestations accidentelles que nous venons d’envisager, elles n’obtiennent que des résultats beaucoup plus limités dans le traitement du déséquilibre lui-même. Les sédatifs végétaux (crataegus, valériane, passiflore), associés ou non à de petites doses de gardénal, freinent utilement les paroxysmes hyperémotifs ; on peut les utiliser également, ainsi que les bromures, dans les états d’excitation, tandis que les toxiques (strychnine, phényl-aminopropane, phosphore) et les reconstituants (calcium, vitamine D, cacodylate de soude, glycérophosphates) seront prescrits aux déprimés. Les hyperémotifs tirent souvent bénéfice de l’administration prolongée d’antihistaminiques à doses filées.
Lorsqu’il existe un trouble endocrinien nettement caractérisé, sa correction doit être poursuivie avec toute la rigueur possible (par exemple, hyperfolliculinie qui accentue, chez la femme en période prémenstruelle, tous les traits du déséquilibre, dysthyroïdies, troubles de la ménopause).
Les médicaments agissant électivement sur le système nerveux végétatif, bien qu’il soit logique de les utiliser, donnent des résultats trop souvent décevants. La diélectrolyse transcérébrale a pu donner entre les mains de Bourguignon, des améliorations notables. Dernière venue enfin, la neurochirurgie a été préconisée dans certains cas, particulièrement graves, de perversions, de toxicomanies ou de dépression avec douleur morale ; le recours à la leucotomie préfrontale, à la topectomie ou à la transorbitotomie est encore, dans ces indications, tout à fait exceptionnel.
Des tentatives psychothérapeutiques intéressantes sont en cours : psychanalyses classiques d’une part et, d’autre part, psychodrame ou psychothérapie de groupe, qui permettraient un abord plus facile des difficultés caractérielles, dans un cadre moins froid que celui d’une analyse.
Mais il s’en faut que la thérapeutique médicale puisse résoudre le problème social posé par le déséquilibre ; trop souvent celui-ci demeure, quel que soit le traitement que l’on tente de lui opposer ; la psychothérapie n’a guère de prise que sur les accidents éclos sur un fond de déséquilibre qui, lui, se montre rebelle à son action. On se trouve donc amené à rechercher des mesures d’assistance qui puissent s’opposer aux manifestations du déséquilibre ou en amoindrir les conséquences ; te telles mesures sont difficiles à imaginer et plus difficiles encore à appliquer dans le respect de la liberté individuelle des malades.
Chez les enfants, l’éducation doit être particulièrement ferme, tout en restant compréhensive et bienveillante : on doit s’efforcer de créer de très solides habitudes d’action et de pensée, de promouvoir et de faire accepter une règle morale stricte, de réaliser un milieu stable pour amortir les manifestations de l’instabilité. Bien souvent, la famille échoue dans cette tâche ; il faut savoir la conseiller et la guider, et, si l’on ne peut faire autrement, rééduquer l’enfant dans le milieu artificiel d’un internat spécialisé.
Lorsque se pose la question de l’orientation professionnelle, il faut savoir écarter ces sujets des tâches d’éducation (beaucoup de déséquilibrés veulent être éducateurs d’enfants, incapables qu’ils sont de s’adapter correctement au monde des adultes), des carrières comportant une discipline trop stricte à laquelle ils ne sauraient se plier, et de celles qui les laisseraient trop livrés à eux-mêmes. Le problème du choix de la profession est donc des plus délicats comme, plus tard, celui du mariage.
Pour les adultes, il n’existe pas d’internats de rééducation ; les hôpitaux psychiatriques, il est vrai, s’orientent aujourd’hui fort heureusement dans cette voie, mais au bénéfice des seuls malades dont l’état justifie l’internement. Or, il ne faut pas compter que les déséquilibrés, tout au moins ceux d’entre eux qui sont le plus gravement atteints, consentent à être internés. La rééducation des déséquilibrés demeure donc trop souvent irréalisable.
On comprend, dès lors, que ces sujets, et particulièrement ceux qui sont atteints de perversion, d’excitation psychique permanente ou cyclique, de déséquilibre complexe, versent fréquemment dans la délinquance. Le plus souvent, l’absence de troubles apparents, répondant à l’idée que l’on se fait habituellement de la folie, fait qu’ils sont considérés comme « normaux » et ils subissent les rigueurs de la loi, ce qui peut d’ailleurs avoir sur eux un effet salutaire d’intimidation. Lorsque, cependant, une expertise psychiatrique est ordonnée, elle place le médecin devant un problème des plus délicats : conclure à l’irresponsabilité ou à une responsabilité atténuée, c’est faire bénéficier ces sujets d’une indulgence qui, le plus souvent, favorisera les récidives; l’internement, s’il est obtenu, ne sera qu’éphémère, la plupart des déséquilibrés ne pouvant être, dans l’état actuel de la législation (et sauf en cas de psychose associée), considérés comme des aliénés ; l’expert devra donc souvent conclure à la responsabilité entière (Rogues de Fursac), alors même que la nature pathologique du déséquilibre ne fait pour lui aucun doute.
J.-M. Sutter et G. Pascalis.
Voir aussi :
