Dépression, États dépressifs
On dit qu’il a « dépression », « état dépressif » chaque fois qu’existe un fléchissement, passager ou durable, du tonus neuropsychique. Ces expressions sont appliquées, du reste, à des faits très divers comme origine et signification. En fait, pour la dépression comme pour l’excitation, il faut considérer qu’il y a deux composantes : l’une physique et somatique, l’autre psychique et affective.
1) Composante physique et somatique. – Le déprimé se reconnaît, dès l’abord, par son maintien et son altitude ; son activité est réduite, il est économe de ses gestes, il reste souvent assis ou allongé, inerte, le regard morne, le visage atone.
Si la dépression se double d’un élément affectif important, le visage prend le masque d’une tristesse profonde et parfois anxieuse. Le sujet se plaint de lassitude d’impuissance physique et, très souvent, d’insomnie. Dans un certain nombre de cas, on relève la présence de signes neurovégétatifs : amaigrissement plus ou moins important, ralentissement des fonctions digestives, entraînant de l’anorexie, de la constipation et un état saburral plus ou moins accusé.
La respiration est parfois ralentie, une hypotension artérielle légère n’est pas rare, provoquant de l’anhélation au moindre effort. Dans les cas où l’état dépressif est le prodrome d’une affection névrose, organique à son début ou la séquelle d’une infection sévère, ou encore la traduction d’une imprégnation toxique de l’organisme, on peut noter des signes objectifs d’épuisement nerveux : diminution ou abolition des réflexes tendineux, tremblement de fatigue, asthénie accommodative de la vision, etc.
2) Composante psychique. – Le déprimé a également la sensation de son impuissance psychique, de son incapacité d’un effort intellectuel soutenu, du fléchissement de son attention, de la lenteur d’évocation de sa mémoire, de la fatigabilité rapide pour tout travail intellectuel. Il souffre surtout de l’impuissance de sa volonté et de ses efforts, réduits souvent à de simples velléités.
Le sentiment d’infériorité qu’il a de sa personnalité actuelle l’afflige et l’oriente vers la tristesse, la douleur morale, l’anxiété et s’est pourquoi les états dépressifs, quelles qu’en soient l’origine et la nature, sont si souvent teintés de mélancolie. Cette dernière affection en représente, du reste, la plus haute expression.

Les formes extrêmes, dans lesquelles chacun de ces éléments existe presque à l’état pur, sont étudiées ailleurs : la forme physique est représentée par les asthénies et la neurasthénie ; la forme psycho-affective pure dans son aspect le plus représentatif et le plus intense est la mélancolie dans ses différentes formes.
Entre ces formes extrêmes se situent un grand nombre d’états dépressifs, mélange de fléchissement organo-dynamique et de morosité plus ou moins accentués. Ce sont les seuls que nous passerons en revue ici.
Revue clinique :
I. États dépressifs constitutionnels. –
a) Il y a des déprimés constitutionnels, sujets dont on dit couramment qu’ils sont « nés fatigués » ; ce sont toujours des abouliques (voir Aboulie).; ils justifient souvent leur état de fatigue par quelques préoccupations hypocondriaques ; s’il n’y a pas, chez eux, la concentration douloureuse du mélancolique, ils sont souvent frappés d’un égocentrisme geignard et parfois tyrannique pour leur entourage. Cette dépression constitutionnelle, rançon parfois d’une hérédité chargée ou d’une arriération affective, peut s’observer à tous les étages sociaux, mais paraît plus fréquente dans les milieux aisés. Elle est compatible avec une intelligence éveillée, mais repliée sur elle-même.
b) Les psychasthéniques, étudiés ailleurs, sont souvent peu actifs, occupent scrupuleusement et minutieusement l’emploi dans lequel ils vivent encadrés et peuvent atteindre à des situations enviables. Mais leur esprit reste orienté vers l’impuissance psychique dont ils se plaignent, vers l’inquiétude morale qui les tourmente; ils ont fréquemment des phobies, des obsessions et, eux aussi, des préoccupations hypocondriaques. Leur vie précautionneuse, mais régulière, leur sobriété sont les meilleurs garants de leur santé réelle.
c) Il y a des états dépressifs périodiques qui ne sont autres qu’une force atténuée de la psychose maniaco-dépressive et peuvent alterner avec des états d’exubérance hypomaniaque.
II. États dépressifs symptomatiques, prodromiques ou secondaires. – Très nombreux sont les états dépressifs secondaires. Beaucoup se présentent sous forme d’asthénie nerveuse simple. Mais il en est certains dans lesquels s’ajoute, à l’asthénie physique, un élément psychique de fatigabilité intellectuelle, d’aprosexie* marquée et un état d’apathie affective ou de tristesse qui sont les premiers à frapper l’entourage.
a) Il y a des états dépressifs réactionnels qui se manifestent soit d’emblée, soit à titre de séquelles d’une psychose réactionnelle confuse ou anxieuse.
b) Les états dépressifs sont fréquents au moment de la ménopause et surtout aux approchés de la présénilité. Mais souvent ces états dépressifs ont un fondement organique : hypertension artérielle, azotémie, diabète, hémorragies occultes qu’il faut savoir rechercher et dont ils peuvent être un signe révélateur ; la teinte mélancolique fait rarement défaut.
c) C’est vers la même époque que l’on observera des états dépressifs en rapport avec une affection neurologique à son début : maladie de Parkinson, artério-sclérose cérébrale.
d) La paralysie générale revêt souvent chez la femme la forme dépressive avec abolition des réflexes ; elle peut s’observer aussi chez l’homme, quoique plus rarement.
e) Les états dépressifs post-commotionnels sont fréquents et font partie du « syndrome subjectif » si souvent allégué par les traumatisés crâniens ; ils sont d’interprétation souvent délicate.
f) Mentionnons enfin tous les états dépressifs qui subsistent à l’état de séquelles plus ou moins prolongées après une insolation, une inanition accidentelle ou un régime alimentaire trop sévère ou trop prolongée ; ceux qui succèdent à une maladie infectieuse spécialement neurotrope comme la grippe, ou anémiante et asthéniante comme le paludisme, ceux qui peuvent révéler une intoxication chronique souvent méconnue comme l’oxyde de carbone ou certaines intoxications professionnelles, les états dépressifs de l’alcoolisme chronique pré ou post-délirants, les états dépressifs propres au diabète et soulignés par l’aréflexie. Tous ces aspects sont étudiés à propos des affections qui les conditionnent.
Enfin il peut exister des états dépressifs consécutifs à des actions thérapeutiques abusives ou trop poussées ; le barbiturisme chronique en est un bel exemple, les Anglo-Saxones en ont signalé des cas probants dus à l’action prolongée de certains alcaloïdes comme la réserpine extraits de la rawolfia serpentina introduite récemment dans la thérapeutique mentale contre les états d’excitation et dans le traitement des hypertensions artérielles.
g) Certaines psychoses à leur début peuvent prendre le masque d’un état dépressif. C’est le cas de la confusion mentale toxique ou infectieuse avec son ralentissement psychique, son état d’inertie et d’obtusion ; c’est aussi le cas de quelques psychoses juvéniles ou de certains délires chroniques avec leur phase de rumination mentale, de repli et de retrait qui diminuent l’activité apparente du sujet.
Diagnostic et traitement : En présence d’un état dépressif, in convient avant tout d’en rechercher la nature et les facteurs étiologiques car, de ces derniers, dépendra la thérapeutique essentielle. Il faudra déterminer les conditions d’apparition, faire un examen organique et humoral très complet du sujet, rechercher ses antécédents (périodicité possible) et ne conclure à un état primitif et constitutionnel qu’après élimination de toute autre explication. Il arrive assez fréquemment au psychiatre de déceler un état dépressif qu’on lui a adressé comme purement psychique. Inversement, trop de praticiens ignorent la petite périodicité et les dépressions constitutionnelles et épuisent en vain les ressources d’une pharmacopée illusoire en pareil cas.

C’est surtout en présence des états dépressifs de la cinquantaine qu’une discrimination étiologique s’impose : dépistage d’une hypertension artérielle, d’un diabète, d’une azotémie; parfois même, d’une affection neurologique insidieuse comme la maladie de Parkinson ou l’artério-sclérose cérébrale.
Chez un jeune sujet, un état dépressif inexpliqué, avec réactions mélancoliques, peut signifier une attitude de détachement de l’ambiance et de repli autistique qui ouvrira les yeux sur une disposition schizoïde ou un début de schizophrénie.
À toutes les périodes de la vie, mais surtout dans la présénilité et la sénilité, il faudra distinguer l’état dépressif vrai et simple, c’est-à-dire réversible, des états de ralentissement et de l’affaiblissement intellectuel et des états d’apathie affective qui sont les signes d’un état démentiel à son début. C’est un diagnostic parfois délicat, mais que l’épreuve de tests simples peut grandement favoriser.
Certains états dépressifs secondaires se prolongent anormalement par un processus factice de persévération qu’il faut savoir dépister et traiter à temps.
À chaque variété étiologique d’état dépressif appartient son traitement particulier, dicté par les facteurs en cause, nous ne pouvons les passer en revue ici que de façon générale :
Les thérapeutiques de choc sont à réserver aux dépressions à teinte mélancolique (électrochocs) et aux formes juvéniles révélatrices de schizophrénie (cure de Sakel). En dehors de ces indications elles sont inutiles et non sans risques. La même remarque est à faire au sujet de la cure de sommeil dont les rares indications sont les états dépressifs sous-tendus par une forte anxiété avec agitation.
C’est dire que dans tous les autres cas, soit le plus souvent pour un médecin praticien, le traitement sera médicamenteux et ambulatoire. Parmi les nombreuses thérapeutiques proposées, retenons principalement : Le phosphore, surtout glycérophosphate, l’arsenic sous forme de cacodylate de soude, le calcium, la vitaminothérapie (B1, B12, C) les plus couramment utilisés parmi les toniques nervins classiques. La strychnothérapie que l’on employait autrefois à doses progressives assez fortes est moins en faveur actuellement : elle reste néanmoins utile dans certains cas.
– L’association acide glutamique-amphétamine dextrogyre préférable à leur utilisation séparée, surtout dans les dépressions secondaires.
– L’hormonothérapie par les androgènes (acélate ou proponiate de testotérone) soit à dose modérée (25 mg) soit comme Boitelle et ses collègues l’ont utilisée avec succès, à très fortes doses (1 g en une seule injection) entraînant une réaction immédiate de choc. Ses résultats sont particulièrement bons dans les dépressions de la cinquantaine, préménopausique ou préséniles. Les thérapeutiques tissulaires (sérum antiréticultoxiques), sérothérapie tissulaire, etc.), spécifique de Baruk, extraits placentaires, etc.) ont sensiblement les mêmes indications.
Il faut se méfier parfois des stimulants à action rapide ou brutale (amphétamines, strychnine, caféine) qui peuvent aggraver parfois l’anxiété et l’insomnie fréquentes des malades, et dont les efforts parfois heureux risquent d’être suivis de dépression secondaire. On peut avoir avantage au contraire à associer aux traitements précédents certains neuroplégiques ou sédatifs à doses filées. Mais les risques d’accoutumance et de toxicomanies doivent rendre prudent dans le choix et l’administration de ceux-ci. Il vaut mieux éviter en particulier les opiacés et les barbituriques que le malade peut en outre chercher à utiliser dans une tentative de suicide.
Signalons au passage que la réserpine est citée par de nombreux auteurs comme aggravant les états dépressifs qui en sont donc une contre-indication (J. Delay).
Citons, à titre relativement plus accessoire, l’hématoporphyrine (Vinchon), le dinitrile succinique (J. Delay), la corticothérapie et l’insoiazide aux effets euphorisants mais moins maniables que les précédents.
Les cures hydrominérales (Divonne ou Néris) peuvent également améliorer certains malades.
Aucune de ces médications toutefois ne dispense de la psychothérapie qui doit en fait demeurer la base du traitement et qui se guidera, pour être efficace, sur chaque cas particulier.
L’estimation d’un état dépressif au point de vue de ses origines ou de son indemnisation peut poser des problèmes médico-légaux parfois délicats (indemnisation post-traumatique, réformes, etc.).
Ant. Porot.
Périodicité
La périodicité est une loi de la nature qui se traduit par le retour d’un événement suivant un rythme déterminé. Nous en trouvons de nombreux exemples, aussi bien dans la biologie et la physiologie que dans la cosmographie.
Ce terme employé en psychiatrie perd de sa précision : la régularité du rythme n’existe plus.
On appelle psychose périodique ou « folie intermittente » des anciens auteurs celle qui se produit plusieurs fois avec les mêmes caractères, dans la vie d’un individu.
On la considérait autrefois comme purement constitutionnelle; on pense actuellement que le caractère périodique de certaines psychoses peut être acquis.
Cette périodicité particulièrement remarquable dans la psychose maniaque ou dépressive, peut se retrouver encore dans un grand nombre d’affections mentales ou nerveuses.
On doit à Baruk et à ses élèves la mise en évidence de cette périodicité dans des psychoses paranoïaques ou paranoïdes, dans des syndromes oniriques et délirants, dans des états schizophréniques, on encore dans des syndromes névropathiques ; obsessions, aboulie, coenesthopathies.
Plusieurs auteurs ont signalé des cas d’intermittence au cours de certaines autres manifestations de caractère morbide. Riser, Laboucarie et Fourni (S.M.P. 28 janvier 1952) ont présenté un cas de névrose obsessionnelle familiale à évolution intermittente; M. Loo (ibid.) a rappelé qu’on pouvait voir un certain nombre de malades intermittents présenter des psychoses à contenu névrotique, qui, du reste, tirent grand avantage du traitement par électrochocs.
La périodicité des accidents épileptiques est évidente, avec parfois des crises groupées en salves et des « états de mal » périodiques.
Dans un grand nombre de cas, on observe une certaine alternance entre troubles psychiques et troubles somatiques (balancement psychosomatique).
F.R.
* Aprosexie : Perte ou baisse importante de l’attention dirigée et réfléchie. L’aprosexie a été décrite par CHAVIGNY comme séquelle des confusions mentales de la Première guerre mondiale. On l’observe dans tous les états confusionnels et aussi dans les démences (démence précoce, paralysie générale) dont elle est parfois le trouble révélateur. Aujourd’hui, le terme est habituellement réservé aux cas dans lesquels les malades demeurent conscients et lucides.
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