Délinquance juvénile (Mineurs délinquants)
1. Le problème social. La délinquance infantile est une des formes sociales de l’inadaptation des enfants. On ne saurait en sous-estimer l’importance. « Le problème de l’enfance coupable », a dit Heyer, « est celui de la criminalité de l’adulte », et c’est bien le problème de l’heure. Il intéresse a plus haut point le psychiatre qui, souvent, détecte chez ces jeunes délinquants des tares mentales ou des troubles du caractère.
L’évolution des idées a permis de substituer à la notion de châtiment et aux anciennes mesures de répression pure et simple, celles de traitement, de mesures éducatives et de redressement social.
Les périodes troublées favorisent la délinquance juvénile. Le nombre d’enfants délinquants pour l’ensemble du territoire de la France métropolitaine, de 12.165 en 1939, passa par un maximum de 34.781 en 1947, pour retomber à 13.975 en 1955. Ces variations importantes se retrouvent dans tous les pays.
L’importance des facteurs sociaux et familiaux est essentielle dans la production de cette délinquance. La délinquance juvénile augmente aussi dans les périodes de crise économique. De vastes enquêtes entreprises dans divers pays et spécialement en France par Heuyer et ses élèves sont venues apporter des précisions très grandes et des statistiques établissant la part respective des différents facteurs criminogènes, confirmant ce qui avait été fait déjà en d’autres pays, en Belgique en particulier.
II. Les délits des mineurs : Un schéma commode et réel :
- Les garçons volent ;
- Les filles se prostituent ;
- Les uns et les autres vagabondent.
1) Le vagabondage.
Ce n’est pas un délit aux yeux de la loi.
Il représentait auparavant 30% des mineurs délinquants. Les événements sociaux le favorisent : les « besprisorny » russes (au nombre de 7 millions en 1917) ; les 200 000 vagabonds des États-Unis après le « krach » financier de 1929 ; en France l’exode, le maquis, la libération ont multiplié les occasions de vagabonder.
On peut distinguer deux groupes de vagabonds :
– Les irresponsables (débiles, épileptiques, schizophrènes, etc.) ;
– Ceux qui quittent volontairement leur foyer, par réaction contre un milieu jugé hostile ou incompréhensif, à tort ou à raison ; mentionnons, en particulier, les « vagabondage-tests » des « assoiffés d’amour ».
Mais ce sont surtout des aventuriers, gorgés de cinéma et de romans policiers, qui partent à l’aventure. Le vagabondage entraîne fatalement des délits comme la mendicité, le vol et la prostitution.
Hélie a dit « Le vagabondage est l’école primaire du délit ; la prison en est l’école supérieure et le casier judiciaire, le diplôme. »
2) La prostitution et les délits sexuels.
Les délits sexuels sont peu nombreux chez les enfants ; ce sont l’outrage public à la pudeur (garçons débiles), la sodomie, l’inceste, le viol.
La prostitution est le délit des filles par excellence ; il est fréquent. Son pourcentage varie selon les « barèmes de pudeur » de chaque pays.
Le début se place vers l’âge de 12 ou 13 ans ; l’entraînement joue un rôle considérable. Le vagabondage chez une fille entraîne presque fatalement la prostitution. Om comptait après la deuxième guerre mondiale 3 fille vagabondes pour un garçon en France, alors que la proportion était égale avant la guerre. La misère, la présence des troupes étrangères bien ravitaillées ont favorisé à un degré extraordinaire la prostitution des mineurs en France.
Les prostituées sont fréquemment des débiles, des alcooliques et la contamination vénérienne est plus fréquente chez elles que chez les adultes.
Le vagabondage spécial est fréquent dans les grandes villes. Heuyer et Robin en ont relevé 854 cas en dix ans chez des mineurs de 16 à 18 ans.
3) Le vol.
L’enfant vole surtout aux alentours de la puberté, soit en bandes, soit seul (mobile affectif) ; il vole de l’argent ou des friandises. L’apprenti vole à l’atelier. La victime est parfois un autre enfant (jalousie) ; les parents (vengeance). Il utilise le produit de son vol pour satisfaire sa vanité ou ses appétits, mais parfois le distribue (vol généreux d’Heuyer). On a signalé aussi des vols de compensation affective décelés par la psychanalyse.
La réaction après le vol va de l’indifférence des débiles ou des pervers au sentiment de culpabilité exacerbé de certains hyperémotifs.
4) Les violences envers autrui.
Le meurtre est exceptionnel avant 13 ans, mais plus fréquent de 16 à 20 ans qu’entre 30 et 40 ans.
Il représente 1% des délits; il est le fait soit de l’impulsivité de l’épileptique ou de l’hyperémotif, soit de la cupidité du pervers.
Les coups et les blessures représentent 5% des délits.
5) Infractions aux règlements.
Elles représentent 20%, les destructions 2% (incendie volontaire ou pyromanie surtout).
III. Les facteurs étiologiques. – Nous avons passé en revue ailleurs (v. Criminalité) les différentes conceptions ou théories sur la criminogenèse (dégénérescence, criminel-né de Lombroso, rôle de la société). Nous rappellerons simplement qu’il y a, dans presque tous les cas, la convergence de plusieurs facteurs étiologiques (faisceau étiologique de Lecomte), montrant que plusieurs raisons conjuguées, les unes d’ordre familial et social, les autres d’ordre médical, se rencontrent pour faire du mineur un délinquant.
A) Conditions sociales et familiales
a) La guerre, l’occupation allemande, puis alliée, ont grandement contribué à augmenter l’amoralité ambiante, par l’illégalité patriotique de la résistance, par le refus du travail, par le maquis avec ses sabotages et ses destructions, par le marché noir et la prostitution. Tout cela a fortement marqué certains enfants qui ont eu de la peine à apprendre les règles de la morale.
b) Les conditions matérielles de l’existence. La misère, le chômage, sont souvent une condition préparante de la délinquance.
La délinquance est plus grande dans les villes que dans les campagnes où les tentations sont moindres.
Des auteurs américains ont décrit des zones de délinquance dans les grandes villes (Chicago), se superposant aux zones de misère sociale et de taudis.
c) Dissociation du milieu familial. Nous possédons sur cet élément des statistiques précises, faites surtout en Belgique (pourcentage de l’établissement modèle de Moll, statistiques de Louis Vervaeck et de Mlle Racine). Les recherches d’Heuyer portant sur 400 cas, et les nôtres portant sur 650 cas, son d’une concordance remarquable. Toutes s’accordent pour donner une place de première importance à la désorganisation familiale que l’on trouve dans la proportion de 65 à 85 % des cas, suivant les auteurs : divorce, concubinage, reconstruction familiale, dissentiments ouverts ou latents, abandon familial.
Mais on a surtout insisté ces dernières années, à juste titre, sur les conséquences des carences affectives et des carences d’autorité (voir ces mots : Carence affective, Carence d’autorité), isolées ou conjointes, et qui ont des conséquences à peu près identiques sur la personnalité des enfants qui en sont les victimes : difficulté ou même impossibilité d’établir des relations sociales normales, déséquilibre dans la conduite et le comportement, mauvaise organisation de la personnalité, inconsistance de la personne morale, tous symptômes pouvant se grouper dans un véritable syndrome de carence familiale. On relève une telle carence avec une fréquence impressionnante dans l’anamnèse de ces jeunes prédélinquants tels que ceux que l’on appelle par exemple aujourd’hui les « tricheurs ».
d) Insuffisance de la fréquentation scolaire, de l’instruction morale, civique ou religieuse et de l’éducation professionnelle ; elles sont relevées dans 50% des cas.
L’influence pernicieuse de la rue, dans laquelle sont rejetés ces enfants favorise la création de bandes de jeunes vauriens et de « gangs », aptes à tous les mauvais coups.
e) Loisirs. Le rôle pernicieux du cinéma est bien connu. C’est pour certains enfants une véritable toxicomanie. En 1938, d’après Crémieux, les parents d’Europe ont offert 2 milliards et demi de places à leurs enfants pour voir 1.810 fils relatant 4.700 crimes, délits ou actes contraires à la morale. La France est le seul pays, avec le Danemark, à n’avoir pris aucune mesure sérieuse pour protéger la jeunesse contre les dangers du cinéma.
Les bals et dancing, les fêtes foraines sont aussi parfois des occasions de mauvaises rencontres et de dégradation morale.
Les lectures sont, en général, d’une rare médiocrité et sont un moyen d’évasion pour l’imagination de l’enfant.
B) Conditions personnelles
Les facteurs personnels qui prédisposent les mineurs à la délinquance sont, d’une générale, ceux qui ont été étudiés à propos des arriérés, des débiles intellectuels, des anormaux ou des névrosés. Rappelons, avant d’étudier de plus près leur incidence, que l’hérédité, en particulier l’alcoolisme des parents, intervient avec une fréquence considérable,
Balthazar avait, en outre, relevé la criminalité des parents chez 43% des jeunes délinquants, l’épilepsie dans 5%, l’aliénation, dans 42%.
Il y a un véritable éventail, de l’enfant tout à fait normal aux malades authentiques, Pratiquement, on peut distinguer les catégories suivantes :
1) Les vrais malades
a) Maladies physiques. – La tuberculose intervient comme facteur de dissociation familiale; le rôle de la syphilis a été exagéré ; les troubles endocriniens sont relevés dans 17% des cas (thyroïde, hypophyse et glandes sexuelles.)
b) Affections neuro-psychiatriques. – Les épileptiques à décharge explosive et violente commettent souvent leur délit dans l’inconscience ; les séquelles encéphalitiques donnent des troubles de l’humour et du caractère ; les schizophrènes à leur début se signalent par des troubles du comportement, des délits bizarres ou absurdes.
2) Les délinquants normaux ou subnormaux.
Ce sont tous les inadaptés ou mal adaptés sociaux : petits sauvages, gitanes, « yaouleds » nord-africains, qui n’ont jamais connu la loi, mais sont souvent rééducables ; ce sont aussi les « nonchalants moraux » de Gilbert Robin, enfants victimes de l’indulgence excessive et coupable de leurs parents, de la mère surtout, avec absence d’effort sur tous les plans, et notamment sur le plan moral. Ils sont rééducables, à condition de les secouer avec énergie.
3) Les insuffisants et les déséquilibrés d’esprit (80% des délinquants)
a) Anormaux de l’intelligence. – Les débiles et les arriérés (20 à 30%) se laissent volontiers entraîner par suggestibilité ou vanité ;
– Les esprits faux à tendance paranoïaque : raisonneurs, méfiants ombrageux, paradoxaux, ratés, aigris, révoltés; ils commettent des délits solitaires par vengeance, sont difficiles à convaincre, quelquefois accessibles à la flatterie.
– Les imaginatives et les mythomanes (v. ces mots). Les filles surtout sont mythomanes, font des dénonciations calomnieuses, des accusations de viol entièrement imaginaires. Les garçons s’imaginent autres qu’ils ne sont (bovarysme), ils prennent volontiers Tarzan, ou d’autres personnages de cinéma comme modèle ; on peut les rééduquer en y substituant un modèle réel et souhaitable.
b) Anormaux de l’humeur et du caractère. – Les instables sont quelquefois de petits périodiques qui font, dans leurs phases d’hypomanie, des farces dépassant la mesure ou se font propagandistes de conduites de refus, voire de suicide, dans leurs périodes dépressives.
c) Mais il y a toujours des instables simples qui ne tiennent pas en place, quittent l’école, changent de métier et deviennent vagabondes, puis voleurs.
– Les hiperémotifs, qui ne supportent pas la contrainte, perdent facilement la tête font des fugues réactionnelles ou commettent des délits violents et impulsifs. Ils sont accessibles à la rééducation si on sait les prendre.
– Les pervers (4 à 10%) sont irrécupérables, dangereux, à éloigner des autres enfants. Rappelons les 4 caractères essentiels de ces perversions : absence d’émotivité, amoralité, malignité, inadaptabilité.
Ces pervers dits « instinctifs » doivent être distingués des autres « pervertis » parfois récupérables.
En définitive, tous ces facteurs : climat social et familial, conditions individuelles, se combinent le plus souvent pour engager l’enfant sur la voie de la délinquance. Ils jouent rarement isolement et chaque cas particulier montre la confluence de plusieurs facteurs sociaux et médicaux. Comme l’a dit Paul Boncour, la criminalité et la délinquance juvénile sont un « phénomène biologico-social ».
IV. – Statut et juridiction de l’enfance délinquante. – Depuis l’époque où fut institué dans le comté de Cork, en Illinois, en 1899, la première juridiction des enfants, il n’est plus guère de pays qui ne se fasse gloire d’avoir organisé des tribunaux pour enfants.
Les formules des tribunaux pour enfants ont varié avec chaque pays : Chambre spéciale de magistrat en France, jusqu’en 1945, juge unique en Belgique, magistrat avec assesseurs étrangers qualifiés s’intéressant à l’enfance en Italie.
En même temps, les centres d’accueil, des patronages, des homes de semi-liberté, des services sociaux s’organisent, des contrôles s’établissent.
Mais l’organisation française restait en retard. Elle a passé par trois phases successives : avant 1912, celle de la responsabilité totale, l’enfant étant assimilé à l’adulte ; de 1912 à 1945 fut introduite la notion de discernement et, partant, de responsabilité totale, partielle ou atténuée ; l’ordonnance du 2 février 1945 a définitivement supprimé pour l’enfant la notion de responsabilité, substituant entièrement la notion de rééducation à celle de répression.
En effet, jusqu’en 1912, il n’y avait pas de régime spécial pour les mineurs délinquants, mais il existait des « maisons de corrections » rattachées aux services pénitentiaires. La loi de 1912 a institué des tribunaux d’enfants ; elle fut complétée par diverses ordonnances ; jusqu’en 1945, le tribunal statuait sur le sort de l’enfant en se basant sur la notion de « discernement », son rôle n’allait guère au-delà.
Tout a été refondu et réorganisé par l’Ordonnance du 2 février 1945, modifiée par la Loi du 24 mai 1951. L’administration pénitentiaire, qui détenait encore les établissements d’éducation surveillée (anciennes maisons de correction), a été dépossédée de ce service, et une Direction spéciale de l’Éducation surveillée a été créée au ministère de la Justice. Désormais, tous les mineurs jusqu’à 18 ans ne pourront faire l’objet que de mesures de protection, d’éducation ou de réforme. Ce régime d’irresponsabilité pénale n’est susceptible de dérogation qu’à titre exceptionnel et par décision motivée.
La spécialisation des magistrats est consacrée. Dans chaque département est nommé un juge des enfants, assisté de deux assesseurs choisis parmi les personnes s’étant signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions concernant l’enfance (échevinage). Le rôle de surveillance et de tutelle du juge est prolongé sur le mineur pendant toute la durée de l’éducation surveillée, jusqu’à sa libération. En Cour d’appel existe un Conseiller spécialisé chargé de la protection de l’enfance. En cas de crime commis par un mineur de 16 à 18 ans, le tribunal spécial est complété par un jury, conformément au Code d’instruction criminelle.
La procédure est assouplie et le recours au juge d’instruction, s’il reste possible, est peu fréquent. L’information est faite par le juge spécialisé qui s’appuie notamment sur une enquête sociale et un examen médico-psychologique. Le même juge prend alors les décisions et sanctions opportunes : admonestation, remise à la famille, liberté surveillée si l’affaire est bénigne. Si le juge croit devoir porter l’affaire devant le tribunal, l’intervention de ce dernier se fait sans publicité des débats, même si le mineur délinquant a des complices majeurs. On détermine alors des mesures de protection et de redressement auxquelles on recourra.
Si l’on n’applique que le régime de la liberté surveillée, la surveillance est confiée à des délégués permanents et non plus à des délégués bénévoles comme autrefois.
Le juge peut, s’il en voit la nécessité, décider une mise en observation préalable, jugée indispensable par tous ceux qui se sont penchés sur ce problème (Héaly, L. Vervaeck, Heuyer).
Malgré les réclamations instantes de l’inspection administrative (depuis 1903) et des psychiatres, les centres d’observation, nombreux à l’étranger, n’existaient pas encore en France en 1933. Une circulaire du 22 septembre 1922 avait précisé les conditions dans lesquelles un Centre d’accueil devait exister dans le ressort de chaque Cour d’appel. Il en existe actuellement une trentaine en France, la plupart dus à l’initiative privée.
Des Centres d’observation sont prévus également par l’ordonnance du 2 février 1945. Ils sont un peu partout réalisé ou en voie d’organisation. Leur principe est de retenir pendant une période de deux mois environ les enfants par petits groupes, sous la direction d’éducateurs spécialement formés. Là, le jeune délinquant est étudié sous tous ses aspects : niveau intellectuel, caractère, aptitude à l’instruction ou à l’enseignement professionnel, ses tendances sociales sont décelées dans une vie collective réduite, à l’occasion des classes, des jeux ou de certains essais professionnels. Tous ses renseignements viendront faciliter la tâche du médecin psychiatre dont le rôle est de première importance dans ces centres d’observation. C’est surtout sur le terrain psychologique que devront être portées les investigations. Le rôle d’assistants psychologiques rompus à la pratique des tests, celui de pédagogue qualifié et, éventuellement du psychanalyste, compléteront heureusement le dossier d’observation qui sera constitué. Après cette période d’observation, le juge spécialisé prend une décision concernant l’enfant et peut le placer, pour un temps indéterminé, mais toujours prolongé, à un Centre de rééducation, qui est une des pièces maîtresses du régime de l’éducation surveillée instituée par le décret de 1945. Là, l’enfant poursuit son instruction pédagogique et professionnelle, suit des cours de morale civique et, après examen d’orientation professionnelle, il est orienté vers une profession en rapport avec ses aptitudes.
A. et M. Porot.
