Débilité mentale et distraction en psychologie
Débilité mentale
Classiquement, la débilité est un état de pauvreté et de faiblesse congénitale du psychisme dans son ensemble, et plus particulièrement de l’intelligence, mettant les sujets en état d’infériorité sociale.
La nosologie antérieure l’avait inclus dans une échelle de déficits s’étageant de l’idiotie complète à normalité.
De même que les états d’arriération profonde sont de plus en plus considérés comme des aspects d’encéphalopathies, comportant par ailleurs un aspect neurologique, morphologique, etc., de même les états de débilité ne paraissent plus susceptibles d’être considérés comme relevant d’une même entité : ils comprennent en réalité des anomalies très diverses, même comme nous le verrons en ce qui concerne les processus intellectuels; et il ne paraît plus soutenable de placer dans le même cadre les arriérations mentales et les cas étiquetés « débilité légère ». Celle-ci tend à être dénommée « retard mental », en raison du simple décalage qui est souvent observé et des signes d’immaturation concomitants.
D’après les conceptions modernes, cette notion de débilité mentale serait réduite à un simple repérage clinique (critère social) et psychométrique (critère des tests de niveau intellectuel), l’un et l’autre pouvant ne pas se trouver en concordance étroite.
L’important reste de procéder à une étude complète du sujet d’une part, sur le plan de l’analyse de la personnalité totale, d’autre part sur le plan du conditionnement biopsychosociologique.
1) L’analyse complète de la personnalité permettra de confronter les données de la clinique et de l’observation dans la vie quotidienne avec les données de l’examen psychologique : tests d’intelligence, données perceptivo-motrices, étude du caractère, recherche des dynamismes morbides.
L’analyse de l’intelligence ne doit pas se borner à un simple test de niveau; il est important de différencier un retard global de déficits parcellaires d’apprécier le retard sur le plan verbal et sur le plan de l’intelligence pratique, de dépister éventuellement un déficit électif de l’attention, de la mémoire, des possibilités d’analyse, d’induction ou d’imagination, etc. Dans le syndrome nucléaire de ces états, Zazzo s’attache à mettre en valeur un déficit d’intégration, Inhelder une viscosité génétique, Luria une certaine forme d’inertie. Une connaissance plus poussée des processus intellectuels commence à permettre de dissocier le cadre de la débilité en des processus divers dont l’avenir et les possibilités de réadaptation varient largement. L’on sait déjà mettre en évidence certaines difficultés perceptivo-motrices qui entravent le développement psychique et l’adaptation aux tâches scolaires en particulier. De même les troubles du tonus (paratonie) et de la coordination, les syncinésies, conditionnant une maladresse sous divers aspects que l’on rencontre fréquemment (débilité motrice de Dupré, types moteurs de Homburger et de Wallon) chez les retardés psychiques.
Des anomalies caractérielles, des dynamismes morbides peuvent agir dans le même sens out en intervenant aussi dans le conditionnement des troubles de comportement multiples, coexistant avec le syndrome déficitaire.
2) L’étude du conditionnement biopsychosociologique fera d’abord le bilan des processus neurosomatiques, fixés ou évolutifs, susceptibles d’entraver le développement de l’insertion harmonieuse du sujet, éventuellement une encéphalographie gazeuse sera pratiquée pour dépister une atrophie corticale plus ou moins localisée qui assombrira le pronostic. Une anomalie endocrinienne (thyroïdienne, hypophysaire), diverses perturbations métaboliques plus ou moins réductibles peuvent intervenir dans le tableau et s’insérer dans le biotype.
Une étude historique du sujet précisera que le déficit dans certains cas présente un caractère familial (familles de débiles), dans d’autres s’avérera la conséquence d’un traumatisme, d’une infection, etc. Sur un terrain ainsi préparé, mais parfois aussi en l’absence de ces éléments, il faut retenir des facteurs psychologiques, tels que les frustrations ou anomalies affectives, qui, amenant une attitude de démission, d’intérêt par un monde vécu comme hostile ou sans attrait, s’opposent au développement du psychisme (sans parler des structures névrotiques) qui peuvent s’y ajouter). La condition d’insuffisant psychique crée elle-même des problèmes affectifs qui peuvent s’intriguer avec les premiers.
Le conditionnement sociologique mérite également d’être retenu, ainsi les enfants séjournant pendant une grande partie de leur première ou de leur seconde enfance dans des crèches ou établissements hospitaliers (hospitalisme) et privés des soins maternels : ils présentent un développement mental très en retard sur la moyenne (Spitz, Ribble, Goldfarb). Il en est de même des enfants victimes de multiples déplacements successifs dans la première et la deuxième enfance et à moindre degré des enfants élevés dans des collectivités déshumanisées (orphelinats à structure archaïque) ou dans des familles très frustes et incultes (débiles et pseudo-débiles ruraux).
3) Bien qu’il soit dangereux de vouloir décrire la débilité mentale comme une entité nosologique, on doit rassembler maintenant quelques données ayant une utilité pratique. Classiquement, on considère que l’âge mental du débile se situe entre 7 et 10 ans et que son quotient intellectuel oscille de 0,40 à 0,85, mais ces notions ne sont que des repères très criticables et auxquels il ne faut attacher qu’une valeur relative, tout comme aux degrés divers de débilité, qualifiés de légère, moyenne ou profonde.
Un débile qui a 7 ans d’âge mental n’a pas du tout le même type d’intelligence qu’un sujet normal de 7 ans. Le quotient intellectuel n’exprime guère qu’un niveau d’efficience pour un certain aspect de la personnalité. Rappelons que, d’après Binet et Simon, l’âge limite du développement intellectuel se situe vers 15 ans et c’est en fonction de cet âge limite qu’est calculé le quotient intellectuel. Après 15 ans, les connaissances s’enrichissent, mais non le niveau de l’intelligence. Les adultes normaux des classes peu cultivées ne dépassent guère l’âge mental de 12 ans (règle de Simon). Un âge mental de 10 ans serait nécessaire pour une adaptation sociale suffisante.
La débilité peut être soupçonnée par le retard dans les critères de développement du premier âge (sourire, préhension, langage, etc.). D’une manière générale, les fonctions d’élaboration, la lenteur intellectuelle, les difficultés à abstraire, le manque d’esprit critique, le conformisme passif, l’incuriosité se rencontrent le plus fréquemment : par contre, la mémoire peut rester satisfaisante et même excellente.
Le développement affectif s’étant fait dans de mauvaises conditions, on rencontre sujets plus ou moins encouragés par l’entourage, se fixant dans des attitudes de bébé), des sentiments d’infériorité entraînant des conduites de culpabilité, voire des manifestations d’anxiété.
La difficulté à surmonter les pulsions instinctives et à intégrer les règles sociales du groupe facilitent une mauvaise adaptation sociale : les vols, le glissement vers la prostitution, des tendances paranoïaques peuvent en être la conséquence, mais ces réactions représentent aussi parfois une réaction agressive de compensation au rejet, par la famille, par le groupe en général. Dans d’autres cas, la compensation s’exprime d’une manière plus bénigne : fabulation vaniteuse, collectionnisme, pseudo-érudition, facilitée par une mémoire très développée.
Bien d’autres attitudes s’observent : inhibition ou démission tendant à une apathie incoercible, entêtement, troubles de l’humeur.
Les soi-disant formes cliniques consacrent des groupements dont plusieurs ont un certain intérêt pratique : débile pondéré ou harmonique capable d’un certain rendement social; débile instable redouté des maîtres d’école; débile émotif, etc. En réalité, ces appellations ne peignent qu’un aspect limité de la personnalité; la caractérologie les dépeint déjà beaucoup mieux; mais il est souhaitable, au moins dans le cas d’enfants-problèmes, d’individualiser le plus possible le portrait du sujet en recourant à des investigations complètes déjà précisées.
Le terme de faux débiles ne fait que poser le problème de diagnostic différentiel avec les retards apparents de développement psychique par troubles sensoriels (mal voyants, mal entendants), par insuffisance de fréquentation scolaire, par inhibition affective, etc.
Ce que l’on nomme débilité évolutive constitue une aggravation du déficit psychique, un état de détérioration, lié à un processus encéphalopathique qui procède par poussées successives; elle peut prendre l’aspect de la schizophrénie ou s’accompagner d’épisodes psychopathiques variés.
Un assez grand nombre de débiles présentent au cours de leur existence des états psychotiques aigus ou durables dont les plus connus sont les bouffées délirantes (v. ce mot), les troubles thymiques (excitation, dépression), les accès confusionnels liés le plus souvent à une affection organique intercurrente ou à une auto-intoxication. Le tableau mental reflète ordinairement la pauvreté intellectuelle et peut en imposer dans certains cas pour un processus démentiel ou dissociatif.
4). Conséquences sociales et thérapeutiques : malgré ces menaces évolutives qui ne sont d’ailleurs nullement spécifiques de la débilité, bon nombre de sujets trouvent la possibilité de s’adapter assez harmonieusement et d’accéder à une autonomie sociale plus ou moins complète. Il est certain que le pronostic d’ensemble serait très amélioré par une éducation compréhensive de la famille, la multiplication des centres scolaires et d’apprentissage spécialisés, une aide sociale judicieuse. C’est dans ce sens que l’on peut parler de psycho- et de sociothérapie des débiles et aussi dans la pratique de certaines thérapies individuelles de soutien, certaines activités de groupe.
Les médications biologiques ont éventuellement un rôle à jouer. En dehors des indications spéciales de chaque cas (traitement anti-infectieux, opothérapie thyroïdienne ou autre, etc.), on a fondé beaucoup d’espoir sur l’acide glutamique et ses dérivés – leur action ,bien que modeste, est soumise à des règles précises (doses quotidiennes d’au moins 12 à 15 g, traitement d’au moins 6 mois), mérite d’être retenue, ne serait-ce qu’au titre de stimulant des fonctions intellectuelles et d’une meilleure utilisation d’un capital psychique dont on veut s’efforcer de tirer partie au maximum au lieu de se cantonner dans un fatalisme stérilisant.
Le rôle de l’entourage s’avère d’une importance capitale. Autant une attitude hyper-protectrice risque d’aggraver l’inadaptation à la vie scolaire, aux relations avec les autres enfants et de s’opposer à une croissance mentale satisfaisante, autant une absence de tutelle éclairée risque de laisser le sujet s’enliser dans une classe trop forte pour lui alors qu’il pourra progresser dans une classe de perfectionnement ou dans un institut médicopédagogique; plus tard, c’est le choix d’un métier trop difficile qui prépare des échecs traumatisants alors qu’il y a des centres d’apprentissages spécialisés pour eux. La délinquance guette les sujets laissés à la rue et leur suggestibilité en fait des comparses passifs dans des bandes d’inadaptés, d’autres cèdent aux solutions de facilité : jeunes prostituées que leur crédulité a entraînées dans la débauche après s’être laissé séduire; d’autres, enfin, sont les naïves victimes d’escrocs et la désignation d’un conseil judiciaire ou une mesure d’interdiction pourront être indiqués (v. ces mots). Dans le cas de délinquance, le bénéfice de la responsabilité atténuée leur est souvent accordée; les mineurs peuvent être placés dans des établissements spéciaux (v. Délinquance juvénile).
H. Aubin
Distraction
Déplacement de l’attention vers une perception ou vers une idée étrangère aux circonstances actuelles ou n’ayant pas de rapport logique avec le cours antérieur de la pensée.
Il existe deux variétés de distraction, différentes et jusqu’à un certain point opposées : tantôt une concentration psychique très intense fixe l’attention sur un sujet déterminé avec une telle vigueur qu’elle cesse d’être disponible pour tout le reste : c’est la distraction du savant ou du penseur absorbé dans sa médiation et qui réagit aux événements extérieurs par des automatismes plus ou moins heureux. Tantôt la concentration psychique est impossible ou insuffisante et le moindre incident suffit à détourner le cours de la pensée : c’est la distraction de l’écolier dont le vol d’une mouche suffit à interrompre le travail. On dit parfois qu’il a excès d’attention réfléchie dans le premier cas, d’attention spontanée dans le second : il serait plus juste de dire que l’attention manque là de souplesse et ici de vigueur ou de stabilité.
On retrouve en pathologie mentale ces deux variétés de distraction.
L’excès de concentration existe chez le mélancolique qui rumine ses idées de culpabilité, de ruine ou d’hypocondrie et dont la distraction pour tout ce qui l’entoure peut atteindre à la stupeur. On le trouve presque toujours dans les états à forte affective, beaucoup moins d’ailleurs chez les passionnels, l’interprétation l’emportant alors sur la distraction, que chez les délirants vaniteux : ces derniers sont généralement inconscients de leurs distractions dont les effets, lorsqu’ils les constatent, servent aussitôt à alimenter leur délire. Proche de ce premier type de distraction est le perpétuel retour de l’obsédé à son idée obsédante.
L’attention, par contre, est à des degrés divers affaiblie et dispersée chez les confus (la stupeur confusionnelle est donc, tout au moins dans les cas typiques, fort différente de la stupeur mélancolique) et chez les maniaques, l’extrême instabilité de l’attention pouvant alors en imposer pour une « exaltation de l’attention spontanée ». Ce type de distraction se rencontre encore chez les psychasthéniques, qui s’en plaignent d’ailleurs volontiers, mais chez qui une observation attentive la montre très rarement accentuée. À vrai dire, la distraction du psychasténique participe souvent des deux mécanismes que nous avons décrits et peut-être doit-on la considérer comme appartenant à un type intermédiaire.
J. – M. Sutter.
Détérioration mentale
Expression en usage en pays anglo-saxon pour désigner les phénomènes mentaux déficitaires consécutifs soit à une involution physiologique du fait de l’âge, soit à des processus organiques ou vésaniques d’ordre pathologique, aboutissant à des affaiblissements intellectuels ou des démences.
On y mesure couramment, à l’aide de tests spéciaux, ce que l’on appelle le coefficient de dégradation mentale. Ces tests permettent de faire la discrimination entre un élément constitutionnel (débilité mentale) et un déficit acquis. On a commencé ces dernières années à l’utiliser en France.
On a objecté qu’il manquait un terme de comparaison : l’état mental antérieur du sujet ; mais on s’est adressé à des « tests de vocabulaire » pour fixer celui-ci (Harriet Babcock).
Voir aussi :
