Conscience en psychiatrie
Synthèse qu’un individu réalise, en un instant donné, de ses activités (perceptrices, physiques et motrices) et qui, abolissant leurs aspects élémentaires, les dépasse et les intègre en un comportement doué d’une structure originale.
La conscience est assimilée par J. Delay à la fonction vigile, qui comporte divers degrés hiérarchisés :
- L’inconscience, réalisée normalement par le sommeil, avec son rythme électro-encéphalographique particulier.
- La subconscience (P. Janet) suffisante pour permettre des comportements automatiques, mais qui n’est pas suivie de souvenirs, ou tout au moins, d’un souvenir « socialisé » repéré dans le temps et dans l’espace et se traduisant par « la conduite du récit » (P.Janet).
- La conscience claire sous sa forme immédiate ou spontanée, qui ne s’accompagne pas d’effort et qui caractérise la rêverie.
- La conscience claire et médiale ou réfléchie qui suppose un effort, degré supérieur de la tension psychologique (P. Janet), par lequel la conscience qui réalise la synthèse mentale sous sa forme la plus parfaite.
L’assimilation pure et simple de la conscience à la vigilance est récusée par de nombreux auteurs, notamment par H.Ey pour qu’elle représente « l’expérience sensible immédiate du présent représenté », c’est-à-dire, en somme toute l’activité psychique avec son organisation, son contenu et l’aspect subjectif sous lequel l’individu l’appréhende.
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L’état de la conscience est en rapport étroit avec l’activité des centres nerveux corticaux et sous-corticaux, les auteurs accordant, selon leurs tendances, le rôle primordial soit aux uns, soit aux autres. L’existence au niveau du diencéphale d’un centre de veille (région mamillaire) et d’un centre de sommeil (hypothalamus antérieur), la constatation par les neurochirurgiens de l’abolition brutale de la vigilance à l’occasion d’un traumatisme portant sur la base du cerveau faisaient considérer le diencéphale comme le « commutateur de la conscience » (Cerletti). Ultérieurement, Moruzzi et Magoun montraient le rôle primordial du système ascendant activateur disposé dans la substance réticulée du tronc cérébral : ce système a notamment le pouvoir de faire apparaître sur les enregistrements E.E.G. la réaction d’éveil (arousal réaction) : désynchronisation du tracé et apparition d’une activité rapide de bas voltage. Cependant, le schéma physiologique initial qui représentait l’activité corticale comme directement suscitée par la formation réticulée d’éveil paraît à F. Bremer assez inexact : les choses sont en réalité plus complexes et le cortex, par le jeu de circuits réfléchis, participerait lui-même à son propre éveil. Penfield décrit sous le nom de centrencéphale un système à peu près superposable à l’appareil réticulé, constitué de substance grise et de faisceaux nerveux siégeant dans la partie supérieure du tronc cérébral, dont le rôle serait d’organiser le fonctionnement des deux hémisphères; le cortex ne jouerait, à l’égard de la conscience, qu’un rôle limité, de nature surtout instrumentale. En réalité, de nombreuses inconnues subsistent : notamment, s’il est acquis que les obnubilations de la conscience se traduisent par un ralentissement des rythmes électriques cérébraux et par un aplatissement des tracés, il s’en faut qu’on soit parvenu à établir une table de relations constantes entre les états de conscience et les modifications de l’E. Le rôle du cortex est actuellement sans doute sous-estimé et « si le vieux cerveau organise l’ordre temporospatial de l’expérience sensible (conscience), il est bien vraisemblable que l’écorce assure la différenciation intellectuelle de cette expérience fondamentale » (H. Ey).
Troubles et dissolutions pathologiques de la conscience. En pathologie, la conscience peut être troublée soit de façon primitive, soit secondairement. Dans le premier cas, les tableaux cliniques réalisés présentent d’intéressantes et instructives analogies avec les dissolutions physiologiques et en particulier avec le sommeil. Le coma, la syncope, la lipothymie, l’absence épileptique (le cas de la grande crise épileptique se ramène au coma : « épilepsie-coma de Cl. Vincent ») sont caractérisés par la perte totale de la conscience. Dans les sommeils pathologiques (narcolepsie, léthargie encéphalitique, états stuporeux, tuphos), la dissolution, moins profonde, ne laisse cependant émerger aucune activité psychique apparente.
Dans la confusion mentale (v. ce mot), on note essentiellement une absence ou, du moins, une insuffisance notable de la synthèse mentale : les perceptions s’effectuent, les fonctions motrices peuvent s’exercer, des souvenirs apparaissent, mais ces données fragmentaires paraissent juxtaposées sans lien; le choix de celles qui sont retenues pour déterminer le comportement (données effectrices), semble se faire au hasard, par contiguïté ou par automatisme; l’attention, l’effort intellectuel, sont impossibles, de sorte que tous les processus psychiques manquent de rapidité, d’ampleur, d’efficacité; comme le sommeil s’accompagne de rêves, la confusion mentale est très souvent associée à l’onirisme ou délire de rêve, ce qui complète l’analogie entre l’état de conscience du confus et celui du rêveur. La confusion mentale est le syndrome psychique essentiel des états toxiques, infectieux, épileptiques. Il faut en rapprocher les aussi états hypnagogiques dans lesquels la dissolution physiologique de la conscience qui précède l’endormissement, peut favoriser l’apparition de symptômes pathologiques (hallucinations), en particulier chez les sujets en imminence ou en convalescence de confusion mentale. Les états seconds d’origine émotive et hystérique se rapprochent souvent beaucoup des syndromes confusionnels et peuvent même leur être rattachés (G. Dumas, J. Delay) ; dans l’hystérie cependant, la dissolution de la conscience est généralement moins globale : il y a un « rétrécissement du champ de la conscience. (P. Janet).
La conscience est plus ou moins trouble par tous les états psychopathologiques, mais, en dehors des cas énumérés ci-dessus, son atteinte apparaît secondaire : elle semble subordonnée, par exemple, à une altération prévalente de l’affectivité. Dans les états maniaques, mélancoliques et passionnels, à un bouleversement général de l’organisation psychique dans la schizophrénie et dans les délires oniroïdes ou paranoïdes; dans les états démentiels avancés, c’est finalement une dévalorisation de la conscience qui forme l’aboutissant de processus psychopathiques divers, mais ici elle résulte d’un appauvrissement de tous les éléments qu’elle a pour fonction de synthétiser plutôt que de l’impossibilité primitive de cette synthèse.
– Du point de vue médico-légal, l’inconscience entraîne l’irresponsabilité : il en va de même lorsque, sans être abolie, la conscience est cependant sérieusement diminuée. Le cas prête cependant à discussion lorsque l’état d’inconscience résulte de l’action volontaire du sujet et, en particulier, en cas d’ivresse alcoolique.
Conscience morbide (Charles Blondel).
– C’est la structure générale de la personnalité du psychopathe telle qu’elle lui apparaît à lui-même; cette façon particulière d’être et de sentir qui caractérise la maladie mentale rend l’expérience morbide intraduisible, incommunicable par les moyens d’expression en usage dans le milieu social, donc incompréhensible. Pour Blondel, la conscience morbide est radicalement irréductible à la conscience saine. Ce point de vue qui conduirait, selon Lagache, à la négation de toute psychologie indépendante de la sociologie, est loin d’être admis par tous : certaines structures morbides paraissent fort pénétrables (« perméables ») et même pour les autres, pour la schizophrénie, par exemple, l’analyse objective du comportement des sujets nous fournit nombre de données utilisables.
Conscience morale. – « Ensemble des tendances, sentiments et idées qui nous poussent vers le bien et nous font éviter le mal » (Cuvillier). La conscience morale, dans ses rapports avec la psychiatrie, a été particulièrement étudiée par les psychanalystes qui en font généralement à la suite de Freud, un produit secondaire, artificiel, d’origine sociale, et par H. Baruk qui la considère, au contraire, avec la plupart des moralistes, comme une fonction innée, étroitement liées aux rapports de l’individu avec la société, mais subissant également l’action des forces biologiques et, en particulier, des facteurs neurovégétatifs et endocriniens.
La conscience morale est particulièrement altérée dans ce que l’on appelait autrefois la « folie morale »; il s’agit, en général, de perversions constitutionnelles complexes amenant les sujets à transgresser systématiquement et sans en éprouver de remords, la loi morale dont ils ont cependant, une connaissance théorique exacte.
Dans les toxicomanies, en particulier, dans l’alcoolisme, le fléchissement moral précède toujours le fléchissement intellectuel.
Dans la démence précoce, et en général dans toutes les démences, la baisse du sens moral est importante et représente parfois un signe de début dont la mise en évidence a une valeur diagnostique et pronostique considérable.
On peut voir, au contraire, la conscience morale persiste presque intacte, malgré une dissociation psychique avancée, dans certains délires paranoïdes (Baruk). Dans les états passionnels, la déviation de la conscience morale se traduit souvent par la haine.
La douleur morale, le remords, sont des réactions normales de la conscience après une transgression de la règle morale. Mais le sentiment de culpabilité peut subir de multiples déviations et transformations dont la connaissance est indispensable pour comprendre la psychogenèse des névroses et des psychoses et pour entreprendre leur traitement (Hesnard, Baruk).
Conscience collective et psychiatrie sociale. Le développement de la psychologie intersubjective et l’attention plus largement accordée aujourd’hui aux problèmes des relations interhumaines donnent une extension nouvelle aux notions classiques de conscience collective, de participation, de communion, de contact. L’individu en situation de groupe subit des influences dynamiques qui modifient et transforment sa personnalité en l’enrichissant le plus souvent. Cette influence s’exerce à des niveaux et suivant des modalités variées : personnalité de base (Kardiner), adoption d’attitudes, rôles assumés (Mead), expérience du nous (Gurvitch). La pression sociale n’a pas le caractère contraignant que lui accordaient les thèses sociologiques du début du siècle. La conscience collective apparaît comme une différenciation de la conscience individuelle au contact de la réalité sociale et le phénomène de l’intégration de ces données interindividuelles à la conscience est plus important que l’affrontement entre l’individu coupé de son environnement et la société conçue comme une entité abstraite, différente des individus qui la composent. L’application de ces notions au domaine de la pathologie mentale est déjà importante : sociothérapie, notion d’adaptation, névroses professionnelles (Le Guillant), pathologie de la transplantation.
J.-M. Sutter et Y. Pélicier.