Empathie animale, empathie humaine
Le concept d’empathie, développé par les philosophes anglais, puis par les scientifiques allemands au début du 20e siècle, implique une aptitude à la représentation de ce que peut éprouver l’autre. Le terme même « empathie » – qui se dit en allemand Einfuhlung, « sentir dans » évoque la capacité à se mettre à la place de l’autre, à s’imaginer ce qui il ressent.
Ce concept, distinct de celui de « sympathie », définit le fait de souffrir de la souffrance de l’autre.
De cette aptitude le langage n’est qu’une composante. Or un très grand nombre d’animaux possèdent une telle aptitude à la représentation sensorielle, à la « représentation de chose » dont parlait Freud, « en particulier la reproduction d’une perception antérieure (Lalande, 1976).
Dès lors qu’un organisme devient capable de mémoire et d’apprentissage, il peut répondre non seulement à des perceptions immédiates, mais aussi à des reproductions des perceptions antérieures.
Tous les animaux n’ont pas besoin d’attachement pour se développer. Façonnés par la double contrainte de leur équipement génétique et de leur contexte écologique, ils s’épanouissent plus ou moins bien à l’intérieur de cet univers, sans qu’il leur faille nécessairement apprendre quelque chose d’un autre. Ce n’est plus le cas des oiseaux et des mammifères qui, sans attachement, ne développent aucune de leurs promesses génétiques.
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Or le tissage de ce lien affectif nécessite qu’il soient attentifs à la moindre perception d’un indice (mimique faciale posturale ou chimique) émis par le corps de la figure d’attachement (Bowlby, 1978-1984).
Une fois le lien appris, intégré, familier, l’animal attaché devient capable, en percevant l’indice – image visuelle ou sonore, mimique, posture, cri – de se représenter une partie du monde intérieur de l’autre.
Cette compétence biologique et affective construit l’empathie et explique que, « lorsque ils voient l’un des leurs à l’agonie, les chimpanzés ont des réactions émotionnelles fortes. Ils agissent alors comme s’ils comprenaient, même vaguement, ce que signifie la mort. Ou du moins qu’il est arrivé quelque chose de terrible à l’autre » (De Waal, 1997).
Toutefois, l’empathie animale n’est pas l’empathie humaine. Les animaux peuvent percevoir des indices émis par le corps de l’être d’attachement. Ils peuvent leur attribuer une signification acquise au cours des perceptions antérieures. Pourtant, ils ne peuvent pas effectuer un travail de parole.
Nos enfants manifestent ce type d’empathie quand, avant l’âge d’acquisition de la parole, ils offrent un bout de chocolat à leur mère qui pleure. Mais, dès que la représentation du mot permet l’expression des mondes intimes, l’homme devient capable de s’émouvoir à l’idée qu’il s’est fait de la souffrance d’un autre. Il peut donc de s’interdire de la lui infliger. L’empathie, dans ce cas, devient le fondement de la morale.
Mais l’homme peut aussi appartenir à une seule représentation verbale, un un seul récit, un seul mythe. Ainsi empêchant la représentation de tout autre monde mental ou même animal et supprimant l’empathie. La non-représentation du monde des autres fonde, dans ce cas, les morales perverses du mythe de la pureté.