Complexe – concept et origine du terme
Terme proposé par Bleulier et adopté par Freud en matière de psychanalyse ; mais ce terme a débordé le cadre freudien et se trouve aujourd’hui souvent abusivement employé dans les domaines familial, religieux, politique qui l’éloignent de sa signification originelle. Hesnard y voit « un système de pensée fortement chargé d’émotions, inclus dans la sphère inconsciente de l’esprit, à la manière d’un corps étranger à la personnalité et qui aimante, à son insu, certaines activités du sujet, dites « complexuelles ».
Dans un travail récent (Cahiers de psychiatrie, Strasbourg, 1950, #4), Juliette Boutonier a fait une excellente étude du complexe et de ses répercussions pathologiques dont nous donnons ici les grandes lignes. Voici d’abord sa définition : « C’est un mélange indissoluble et inextricable de sentiments ou plutôt d’attitudes affectives qui sont, en fait, contradictoires (amour et haine, ambivalence qui est au fond de tous les complexes) et qui, cependant, sont si essentielles à la sensibilité de l’individu qu’il ne peut s’en dégager sans compromettre sa personnalité même.
Souvent, l’une des attitudes seulement, l’amour ou la haine, est consciente pour le sujet, mais l’autre se manifeste quand même à l’observateur averti, à travers les complications, les échecs, les excès du sentiment tel qu’il est vécu. Le complexe suppose donc, sous la complexité apparente du sentiment vécu, l’inconscience de la situation affective réelle. »
Il peut y avoir autant de complexes que d’attitudes affectives opposées et incompatibles.
Il faut faire une place à part aux complexes qui marquent les phases du développement normal de la vie affective chez l’enfant. Ils correspondent à des moments difficiles de l’adaptation au milieu, ou même à des crises déterminées par sa croissance et son évolution affective.
Énumérons, avec l’auteur précité : le complexe de sevrage marquant le changement de relation avec la mère dans la vie du nourrisson, le complexe de castration lié à la prise de conscience de différence des sexes (v. Œdipe), le complexe de Caïn ou plutôt, selon l’expression de Lacan, complexe d’intrusion, résultant de la protestation inévitable contre la présence, par ailleurs souhaitable et souhaitée) des frères et sœurs qui disputent à l’enfant l’amour et les soins des parents.

Tous ces complexes que l’on peut considérer comme normaux, se résolvent soit par liquidation et intégration au comportement sous des formes nouvelles des éléments ambivalents du complexe, soit par refoulement et répression des attitudes complexuelles rendues désormais tolérables.
Sinon, ce sera une entrave apportée à la maturation affective, avec toutes ses conséquences familiales et sociales : sentiment d’infériorité dit parfois « complexe d’infériorité » (v. Infériorité), réaction d’opposition, anorexies mentales du nourrisson et des jeunes filles, agressivité, fugues, névroses diverses, troubles caractériels plus ou moins graves pouvant aller jusqu’à la délinquance. L’enfant engage souvent son avenir sur la solution qu’il apporte à ses complexes (v. Caractériels, Névroses infantiles).
Si ces manifestations ne sont pas corrigées à temps par une psychothérapie opportune, elles se poursuivront chez l’adulte et pourront entraîner des désordres névrosiques plus considérables et souvent plus résistants.
Que survienne une situation critique à l’occasion de laquelle le sujet doit faire appel à toutes ses ressources, les attitudes complexuelles mal intégrées, reparaitront sous forme de symptômes dont le rapport avec le complexe n’est pas toujours immédiatement saisissable et demande à être recherché par l’analyse psychologique : accidents pithiatiques de conversions, paroxysme obsessionnel, bouffée anxieuse; c’est surtout par l’angoisse sous toutes ses formes et à tous ses degrés que s’extériorisera la crise complexuelle (J. Boutonier).
Dans tous ces états purement névrosiques, la psychothérapie simple ou armée (subnarcose) aboutit généralement à des résultats favorables.
Il n’en est pas de même dans les vraies psychoses, surtout dans les états prépsychotiques comme ceux fréquemment observés au début de la schizophrénie. Ici, les complexes qu’on y rencontre (complexe d’Œdipe en particulier) peuvent apparaître plutôt comme conséquence du fléchissement et de la dissociation de la personnalité que comme cause de la maladie et la psychanalyse n’a guère d’emprise.
À plus forte raison dans les psychoses d’origine biologique ou organique qui entraînent une détérioration du moi, les contradictions présentées spontanément par le malade qui les perçoit, ne sont que des apparences secondaires et sont sans valeur étiologique. C’est assez dire que l’examen clinique d’un malade mental doit faire état non seulement du subconscient, mais du « moi » et de ses réactions à l’égard de tels éléments.
J. Boutonier a résumé sa pensée en formulant cette loi : « Les complexes sont conscients dans les psychoses et inconscients dans les névroses ». D’où cette conclusion que la maladie mentale est d’autant plus grave et son étiologie d’autant plus éloignée de la psychogenèse, que les complexes y apparaissent plus patents, moins « masqués » et « plus le complexe est apparent, moins la psychanalyse a de chances de réussir ».
Ant. Porot.

Ambivalence
Disposition mentale anormale permettant à un sujet, devant une situation donnée, de manifester, dans le même temps, des sentiments diamétralement opposés; amour et haine, crainte et désir, culpabilité et justification, orgueil et dépréciation de soi; il en résulte des propos et des attitudes franchement contradictoires.
Le terme et la notion même ont été créés par Bleuler en 1911, à l’occasion de son étude sur La démence précoce ou group des schizophrènes. Il est universellement admis depuis; seules existent quelques divergences au sujet de son origine du point de vue psychologique.
Mlle J. Boutonier, qui en a donné une bonne étude (Thèse, Paris, 1938), rappelle d’abord la conception de Bleuler telle qu’elle lui est apparue : le point de départ de l’ambivalence serait fourni par les expériences opposées dont les objets sont, pour nous, l’occasion (parfum de la rose et ses épines) ; l’ambivalence aurait son origine dans l’objet, pour devenir ensuite une structure du sujet pouvant se projeter dans le monde extérieur.
Mais elle précise ensuite sa propre position vis-à-vis du problème : elle y voit « une forme a priori de la sensibilité », une structure du sujet, une aptitude, antérieures à l’expérience.
Il convient de souligner l’importance de l’ambivalence dans toutes les situations conflictuelles, en particulier dans tous les attachements névrosiques. L’ambivalence traduit alors l’obstacle que rencontre un instinct dans son épanouissement. Elle est normale chez l’enfant avant la liquidation du complexe d’Œdipe.
Chez l’adulte, l’ambivalence suppose un relâchement dans l’unité et la continuité du moi, une dissociation de la personnalité, telle qu’en réalise la schizophrénie.
C’est, en effet, dans cette maladie que l’ambivalence présente ses aspects les plus caractéristiques et qu’elle revêt les formes les plus extrêmes. Elle explique en grande partie les phénomènes d’inhibition, de barrage, d’impuissance pragmatique et le comportement si souvent discordant et paradoxal du malade.
Ant. Porot.