Collectionnomanie
La collectionnomanie, à la différence du collectionnisme (v. ce mot), devrait se définir comme une passion répondant au désir plus ou moins tyrannique et obsédant de constituer un rassemblement d’objets sélectionnés selon des critères déterminés; quoique variés (objets rares en eux-mêmes, œuvres d’art, articles curieux ou bizarres, pièces de grands prix ou même choses dérisoires).
Tout collectionneur, même orienté à l’origine par des mobiles esthétiques, scientifiques, didactiques, voire intéressés, court le risque de verser dans la collectionnomanie par glissement passionnel. La frontière entre la collectionnomanie et collectionnisme n’est du reste pas plus étanche.
L’amateur pur est de tous les temps. Son portrait a souvent tenté l’écrivain qui en a toujours souligné plus volontiers les travers que valorisé les aspects.
On collectionne sans doute selon la mode de son époque, son goût personnel, sa culture et ses moyens financiers. La stabilité de la civilisation, la protection de la propriété et la prospérité du milieu, le développement de la vie intellectuelle sont des conditions générales favorables à cette activité de luxe. On doit convenir d’ailleurs que celle-ci constitue pour l’historien, l’anthropologue, le sociologue, une irremplaçable source de documentation.
Les traits psychologiques du collectionneur ont été dégagés avec bonheur par J. Lauzier (Congrès des Alienistes et Neurologistes, Pau, 1953), rappelant les travaux de Codet (1921). On peut en effet distinguer chez lui une éthique particulière et un attachement passionnel aux objets possédés : Verrès n’estimait-il pas sa collection à plus haut prix que sa propre vie? Les collectionneurs ont en outre en commun le désir de possession, le besoin d’une activité désintéressée, l’entrainement à se surpasser, la tendance à classer par ordre. Mais chacun apporte à son affaire les caractéristiques de son tempérament. À côté de l’érudit, de l’honnête homme éclairé, du curieux avide de découvrir, on rencontre beaucoup de snobs, d’envieux, d’avares, de vaniteux et de sujets méticuleux jusqu’à la tracasserie, de grincheux.
La passion collectionnante peut d’ailleurs entraîner ou s’accommoder de véritables altérations du sens moral génératrices de vol (l’inspecteur général de l’Instruction publique Libri) ou de crime (li libraire espagnol Don Vincente).
La collectionnomanie vraie représente, selon nous, une perversion de la conduite du collectionneur, en ce sens qu’elle implique un déplacement de la passion du choix de l’objet vers l’action d’assembler. Tandis que l’amateur authentique recherche les choses pour ce qu’elles signifient, le collectionnomane collectionne pour collectionner. D’où parfois la médiocrité intrinsèque des objets rassemblés (bouts de ficelle, enveloppes usagées, etc.) et la multiplicité des collections réunies par la même personne.
Le collectionnomane peut être un psychasthénique qui dérive sur cette activité gratuite et valorisant à ses yeux l’angoisse de ses échecs existentiels (Charlin). C’est presque toujours un despote et un égocentriste. C’est à ce type de sujets pathologiques et mal socialisés que s’adressent les épigrammes caustiques de Lucien et les charges ironiques de notre La Bruyère.
Mais rares sont ceux qui recourent au médecin ; il est vrai que l’assouvissement de leur passion porte en elle sa propre thérapeutique.
Les actes médico-légaux du collectionnomane ne paraissent pas plus fréquents que ceux du collectionneur sans scrupule; ils sont de même nature. Mais il arrive plus souvent pour lui que l’expert découvre dans sa personnalité les éléments d’une atténuation de responsabilité.
Ch. Bardenat
