Claustration

Claustration (du latin claustrum : cloître)

Réclusion que s’imposent certains sujets pour se soustraire aux contacts et aux influences du monde extérieur.

Le terme de séquestration, fréquemment employé comme synonyme, doit être réservé de préférence aux cas où la réclusion est imposée par une personne ou une autorité extérieure, et c’est abusivement, pensons-nous, que l’on a pu parler de séquestration volontaire.

La rupture de contact qui vise à l’isolement n’est pas forcément une claustration : un certain nombre de comportements anormaux ne s’accompagnent pas toujours de l’interdiction et de la barrière opposées aux contacts extérieures : tel le cas de la manie lectuaire ou clinomanie, du goût de la solitude qui pousse certains sujets à se réfugier dans les lieux déserts (ermites, navigateurs solitaires, mystiques allant vivre dans les cavernes (« speluncophile » de Laignel-Lavastine) ou simples misanthropes méprisant et haïssant leurs semblables).

Par contre, certaines claustrations volontaires d’inspiration religieuse qui réalisent au sens littéral du mot la vie derrière un cloître ne sauraient être considérées comme un geste antisociale puisque de tels sujets se groupent en congrégation, vivant dans un même idéal et soumis à une discipline et une règle communes.

« La réclusion améliore la condition humaine. Pour obtenir des hommes excellents, on les emprisonne d’ordinaire un certain temps. » (Max Aub, écrivain espagnol, né en 1902 et mort en 1972). Image : © Megan Jorgensen (ElenaB.)

La vraie claustration, telle que nous croyons devoir l’entendre, est en fait presque toujours une réaction antisociale commandée le plus souvent par des mobiles pathologiques. « Le clausté est l’aliéné-type au sens strict du mot » (alienus = étranger) ; « il réalise et consomme lui-même son aliénation de la manière la plus immédiate », comme l’ont très bien souligné Gayral, Carrie et Bonnet (A.M.P., 1953), avril p. 469) dans une importante étude. Ce comportement asocial ou antisocial peut traduire soit une tendance à l’isolement, au repli autistique, poussé à l’extrême, soit la conséquence d’un besoin de sécurité et de protection contre les menaces ou des persécutions imaginaires comme il se voit chez les délirants (Ann. Méd. Psych., 111-1 : 469, 1953).

En clinique psychiatrique deux grands groupes d’affections commandent la claustration : les états schizoïdes et la schizophrénie d’une part, les états délirants d’autre part. On peut la rencontrer aussi, mais plus rarement, dans quelques autres circonstances.

1. Claustration chez les schizoïdes et les schizophrènes

Ce comportement négatif peut se manifester précocement : adolescents ou adolescentes boudeurs qui ne quittent plus leur chambre et arrivent parfois à domestiquer des parents trop faibles pour le service de leurs besoins végétatifs. Si l’on n’intervient pas précocement contre ces tendances, ce sera l’évolution vers une schizophrénie confirmée avec son négativisme et l’attitude catatonique, et parfois ses décharges impulsives ou agressives quand un élément caractériel ou paranoïde s’y ajoute. Des éléments obsessionnels ou phobiques surajoutés (peur des contacts, des souillures, des épingles, etc.) peuvent apporter un appoint inhibiteur qui finit par immobiliser le sujet dans sa chambre où il risque de croupir dans un désordre et une saleté repoussants qui nécessitent alors l’internement.

2. Claustration dans les délires

a) États délirants aigus ou subaigus. – C’est généralement l’anxiété qui est à la base de la réaction de claustration; les psychoses anxieuses aiguës avec leurs paroxysmes de terreur dictent volontiers ce comportement ; le malade surveille ou alité se blottit au fond de sa chambre ou de son lit, en défendant les approches par tous les moyens à sa portée. Ces psychoses anxieuses sont parfois le fait de bouffées délirantes réactionnelles par hyperémotivité. Elles s’observent dans toutes les confusions mentales oniriques, d’origine toxique ou infectieuse; elles peuvent alterner avec des réactions de fugues, commandées les unes et les autres par les hallucinations terrifiantes auxquelles est en proie le sujet.

Citons le cas particulier, bien classique, de l’alcoolique au cours du délire subaigu ou au seuil du délirum tremens. On les a notés aussi dans le comportement de certains autres toxicomanes (cocaïnomanes spécialement).

b) États délirants chroniques – Toutes les variétés de délire chronique en fournissent des exemples. Ce sont surtout les délirants persécutés et les hallucinés qui présentent de telles réactions. Le grand paranoïaque par sa structure mentale même est prédisposé à ces attitudes défensives d’abord qui, plus tard, passeront à l’offensive. Les anciens « persécutés persécuteurs » de Magnan passent aussi par ce double stade d’abord de protection par la claustration progressive dont à un moment donné ils sortent pour passer à l’action agressive.

L’interprétateur pur, du type décrit par Sérieux et Cargras, glisse parfois à certains moments vers une attitude de claustration passive, temporaire et incomplète, dont on ne saisit pas toujours immédiatement la raison. Certains délires d’influence relativement discrets se traduisent parfois par le même comportement.

Mais la place la plus importante revient aux délires hallucinatoires chroniques : isolement, protection de toute nature contre les « voix » qui les assaillent ou les « rayons » qu’on leur envoie : enveloppements, cuirasse de toutes sortes, obturation des orifices, double porte, blindage, etc.

Il peut arriver aussi que le persécuté ou l’halluciné fasse partager à son entourage sa conviction délirante et la claustration peut alors englober deux ou trois personnes de la famille qui partagent le délire.

3. Autres cas de claustration

Certaines psychoses obsessionnelles graves, certaines phobies intenses (agoraphobie, peur des contaminations, des contacts suspects) suffisent parfois à bloquer le sujet qui en est atteint dans un immobilisme défensif qui lui dicte des mesures d’interdiction et de protection contre les contacts extérieurs.

– Il en est de même de certains grands hypocondriaques qui ne veulent plus quitter leur lit, font le vide autour d’eau, consignent leur porte, n’acceptent que ceux qui veulent bien écouter leurs doléances et y compatir.

– Le comportement négativiste de certains grands mélancoliques aboutit au même résultat ; certains même recourent à cette claustration pour mieux perpétrer leur tentative de suicide.

– Enfin, certains séniles, dégradés et ralentis dans leur activité, mais torturés encore par des idées de préjudice ou une sordide avarice, se claustrent définitivement chez eux glissant, plus ou moins rapidement, dans un état de déchéance physique et mentale qui précipite leur fin ; ils vivent en solitaires, les voisins ne s’inquiètent en ne s’aperçoivent parfois de leur évasion qu’un certain temps après leur claustration.

Activité à tenir. – En présence d’un cas de claustration bien caractérisé, il faut, sans contestation possible, l’hospitalisation ou l’internement, suivant l’intensité de la réaction et surtout suivant la gravité de l’état pathologique en cause.

Mais il faut surtout chercher à dépister précocement ces tendances à l’isolement chez certains jeunes sujets, instruire la famille de ses dangers et obtenir le consentement à des thérapeutiques de redressement, quand elles peuvent encore être efficaces.

Certains cas litigieux, comme celui des paranoïaques, peuvent soulever des questions médico-légales délicates qui sont traitées ailleurs.

En définitive et en conclusion, comme le font remarquer L. Gayral, J. Carrie et J. Bonnet, « la claustration est un signe privilégié. Il y a peu de manifestations qui expriment aussi directement les tendances profondes du malade, son ton réactif et la signification réelle de son activité morbide… En pratique, la claustration est le témoin d’une désadaptation grave, liée à une régression profonde et un dynamisme morbide puissant.

« L’on est surpris pourtant de constater qu’un comportement aussi grossièrement anormal bénéficie de l’indifférence, de la tolérance, voire de la complaisance de l’entourage des malades ».

Aussi, comme l’ont exprimé certains psychiatres, on ne saurait sous-estimer son importance sur le plan médico-social. C’est un symptôme d’alerte auquel on ne saurait, sans danger, opposer le principe de la liberté individuelle.

Ant. Porot.

À lire aussi :

« La réclusion améliore la condition humaine. Pour obtenir des hommes excellents, on les emprisonne d’ordinaire un certain temps. » (Max Aub, écrivain espagnol, né en 1902 et mort en 1972). Image : © Megan Jorgensen.
« La réclusion améliore la condition humaine. Pour obtenir des hommes excellents, on les emprisonne d’ordinaire un certain temps. » (Max Aub, écrivain espagnol, né en 1902 et mort en 1972). Image : © Megan Jorgensen.

Laisser un commentaire