Allô, ici, Carole: Il y a plusieurs autres façons d’être infidèle que celle de tromper physiquement son mari
(Chronique de Carole, publiée dans le quotidien Le Soleil, en août 1958).
R. — Chère Carole, je viens vous demander le jugement d’une situation qui me semble pour le moins injuste. Je n’ai jamais trompé mon mari, mais celui-ci ne semble pas apprécier tellement ma conduite irréprochable. Souvent, par exemple, il parle avec des louanges de telle ou telle femme de nos connaissances, qui est aimable chez elle, qui reçoit à merveille, qui anime les parties, qui est « good sport » pour les amis de son mari, etc. Mais je sais pertinemment que parmi ces femmes qu’il paraît trouver si à son goût, il y a des têtes légères qui vont peut-être parfois plus loin que le flirt.
Quand je lui fais part de ces réflexions, mon mari hausse les épaules, comme s’il ne trouvait pas cela tellement important. Mais je suis persuadée que si je les imitais, il serait le premier à rouspéter. À cela, il réplique qu’il y a bien des qualités que chez une femme, sont aussi, sinon plus belles que la fidélité sèche. Il dit cela pour me « pointer », car il est souvent difficile d’être toujours au « diapason » (vous me comprenez), après 17 ans de mariage. Et on manque souvent d’enthousiasme et d’esprit de coopération, car le devoir est une chose et le plaisir en est une autre.
Que pensez-vous de son raisonnement, chère Carole? Ai-je tort et a-t-il raison ? Ou si c’est le contraire.
R. — Des milliers d’épouses croient sincèrement être fidèles à leur mari aussi longtemps qu’elles ne transgressent pas le septième commandement. Elles ont tort, car il ne suffit pas de n’accorder jamais un regard ou une faveur à un autre homme que le sien pour être à l’abri des multiples embûches d’un démon aussi rusé qu’il est vigilant, la fidélité physique n’est en effet qu’un des aspects de cette vertu capitale, à laquelle on peut faillir de bien d’autres manières qu’en trompant ouvertement ou secrètement son mari. Examinons ensemble, si vous le voulez b>en, le cas d’une dizaine de ces femmes à qui l’épithète d’infidèle peut également s’appliquer, si l’on accorde au mot fidélité » son sens le plus large et le plus humain.
Voici Laura, la seule qui ne met pas en doute sa culpabilité, parce qu’elle commet délibérément l’adultère. Mais autour d’elle, a perçois d’abord Evelyne, jolie, attrayante, instruite, distinguée, qui considère le mariage comme un arrangement assez commode, ne veut pas d’enfant, critique son mari parce qu’il travaille trop, dédaigne son cercle d amis, le ridiculise parce qu’il ne peut aussi bien qu’elle discuter musique, littérature ou voyages, ne tient aucun compte de ses deux puissantes qualités, !a stabilité et l’énergie. se soumet avec peine à ses caresses, se montre hostile a ses projets, à ses confidences, à ses goûts. Celle-ci demande au mariage confort, satisfaction, sécurité, c’est-à-dire beaucoup plus qu’elle ne veut donner en retour, et c’est pourquoi elle aussi est infidèle à son serment.
Puis c’est Louise, l’enfant gâtée par ses parents. Ils ont tout sacrifié peur qu’elle reçoive une éducation supérieure à leurs moyens, pour qu’elle prisse ensuite sertir « dans le grand monde’ et faire un beau mariage. Elle épouse un jeune homme qui débuté en affaires et une fois passées les effusions de la lune de miel, elle avoue carrément qu’elle déteste les seins du ménage, qu’elle ignore tout de la cuisine, qu’elle ne se lèvera pas pour le déjeuner,* elle visite ses amies, joue ou bridge et fréquente le cinéma et son logis ressemble vite à la ta e de jeux d’un enfant peu range. Louise est coupable, mais son père et sa mère le sont davantage. Ils en ont fait une petite femme affreusement égoïste, sans épine dorsale, sans aucun seps des responsabilités d une épouse. Elle non plus, elle ne sait pas en quoi consiste ‘a fidélité aux promesses du mariage.
Et c’est Irène que l’avarice et l’ambition poussent à talonner constamment son époux et à lui faire accepter des emplois incompatibles avec ses goûts et ses aptitudes naturelles et a le priver des distractions les plus anodines. Et c est Ginette, dont l’intempérance et le manique de dignité en public détruisent et sa réputation et l’affection que pouvait encore lui vouer son mari. Et c est Marie dont la vanité a fait un froid mannequin, gaspillant le salaire de son compagnon en toilettes et cosmétiques. Et c’est Berthe qui ne vit q-e par ses enfants, leur dispensant tout son dévouement et refusant a l’auteur de leurs jours sa part de tendresse et de sollicitude II y a également Pauline, qui rappelé toujours à Gérard ta belle carrière qu’elle a abandonnée pour l’épouser un emploi de sténo à S20. par semaine
Il y a aussi Gertrude, qui humilie sciemment son mor . professeur intégré, parce qu’il gagne moins d argent que l’épicier du coin. Il y a Rose, qui organise des bazars, qui fréquente des clubs qui est déléguée, présidente, conseillère, conférencière etc. … et dont I époux, de retour du bureau, doit souper ^d’un® boite de sardines et de biscuits secs et moucher parfois quand la bonne fait défaut.
Vous pouvez aussi, je n’en doute pas. ajouter a cette liste déjà imposante de femmes ayant vicié les clauses de leur contrat matrimonial, d’autres exemples dans entourage immédiat. Ayez soin cependant avant de jeter un regard de lynx sur vos bonnes amies, de descendre en vous-mêmes et de vous poser le question-, ‘ Et moi, en quoi suis-je infidèle? N’oubliez pas cette parole d’un juge éminent, préposé au couses de divorces: Ce ne sont pas uniquement les grandes infidélités physiques qui brisent le bonheur et la paix des ménages: ce sont aussi les multiples infidélités morales dont la répétition quotidienne est également désastreuse.
CAROLE.
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