Catatonie

Catatonie en psychiatrie

L’origine de ce mot est dans la langue grecque où il signifie en bas, en descendant le long de, et de tension.

C’est le syndrome psychique et psychomoteur intéressant principalement l’activité motrice volontaire.

Initialement, sous le nom de Spannungsirresein »(démence de tension), la description de Kahlbaum (1863, 1874), en faisait un groupe nosologique caractérisé par des épisodes psychomoteurs dans lequel il rassemblait des états de stupeur, de mélancolie et de manie aboutissant généralement à la démence. Kraepelin (1863-1899) regroupa cette entité dans son tableau d’ensemble de la démence précoce, dont elle ne représentait qu’une forme particulière. Ultérieurement, on constata que les éléments essentiels de la catatonie pouvaient apparaître en dehors de la démence précoce, en particulier dans des psychoses toxi-infectieuses et au cours d’épisodes confusionnels. Divers auteurs et en particulier Baruk et De Jong démontrèrent l’importance du facteur toxique et réalisèrent des catatonies expérimentales. C’est ainsi que la catatonie prit la valeur d’un syndrome susceptible de s’intégrer dans divers tableaux cliniques.

Séméiologie. – Dans son aspect le plus typique, le catatonique est figé comme une statue, soit couché sur le flanc, soit accroupi dans une attitude fœtale, soit debout tête baissée. Aucun signe de vie dans son habitus extérieur, si l’on excepte le filet de salive qui s’écoule de sa bouche. Il demeure pétrifié, totalement retranché de son entourage, inaccessible, comme mort. Toute tentative de mobilisation, d’interrogation, d’alimentation échoue : sous son apparence inanimée, il exerce une intense activité négativiste : contractures oppositionnistes proportionnant l’effort aux sollicitations extérieures, rétentions sphinctériennes, mutisme absolu, refus d’aliments.

Catatonie. « La stupeur convient au désir. Le désir ne peut naître qu’en s’en délivrant peu à peu et non point en en étant délivré. » (Pascal Quignard, écrivain français). Photo : © Megan Jorgensen.

Dans une autre phase, le même malade montre au contraire une passivité qui est, séméiologiquement, aux antipodes du négativisme : sa contracture est mobilisable au gré de la sollicitation. Elle présente une résistance légère particulière (flexibilité cireuse) qui se modèle plastiquement sur les attitudes données et les fixe au mépris de toute fatigue musculaire. La suggestibilité va jusqu’à l’automatisme : les ordres sont exécutés sans la moindre réaction personnelle, les réponses aux questions sont immédiates. Bien plus, l’adhérence à l’entourage est telle qu’il y a parfois un mimétisme des gestes (échopraxie), de la parole (écholalie) et de la mimique (échomimie) de l’interlocuteur, sans aucun ordre préalable.

Entre ces deux aspects extrêmes du négativisme et de la passivité, le catatonique présente une troisième phase, expressive, caractérisée par une extériorisation de pure façade artificielle, non authentiquement vécue, parfois automatique et réitérative : stéréotypies d’attitudes, de gestes, de mimique, de langage; parfois sans répétitions, mais grimaçantes ou maniérées : poses, minauderie, théâtralisme. Le négativisme peut revêtir une forme atténuée et incomplète, celle de la bouderie réticente ou de l’ironie de défense, des réponses « à côté », etc.

Ces phases se succèdent et alternent au cours de l’évolution de la psychose, chacune pouvant durer plusieurs jours, parfois plusieurs semaines. Mais elles peuvent être coupées brusquement par des accès paroxystiques, soit accès de stupeur réalisant le summum du négativisme et du barrage, soit accès de fureur se traduisant par une turbulence explosive avec violences impulsives, cris ou verbigération (parfois aussi mutisme persistant), expression de colère suraiguë. La fureur peut venir interrompre à tout instant – comme si un barrage cédait brusquement – un état de stupeur ou de passivité.

Ces manifestations, apparemment paradoxales, traduisent toutes une dissociation profonde de l’activité psychomotrice. Les voies d’expression de la pensée, d’acheminement de la volonté subissent des blocages, des barrages avec rétention, des déblocages soudains. Ces perturbations ne sont pas incompatibles avec une activité psychique intérieure intense, des hallucinations, sentiments d’influence, idées d’auto-accusation. Immobilité extérieures ne signifie pas arrêt de la pensée; fureur ne signifie pas inconscience ou confusion.

Troubles somatiques associés. – Le tableau psychomoteur est doublé d’un ensemble de signes physiques. Outre la contracture, il y a souvent des tremblements et des fibrillations. Les réflexes tendineux sont exagérés, les réflexes cutanés abolis. Le signe de Babinski est présent mais éphémère ou révélable seulement par la scopolamine. Les pupilles présentent une mydriase et, aux réactions, une pupilotonie. Rarement, elles se dilatent à la lumière (réaction paradoxale de Piltz-Westphal). Il y a une hypo-excitabilité vestibulaire. Les réflexes de posture sont camoufl.s par des contractions de type volontaire. Les réactions vaso-motrices sont vives et produisent de grandes plaques érythémateuses persistantes, La tension artérielle est abaissée. Il y a parfois une sténose mitrale fonctionnelle. Les extrémités sont cyanosées, les faces dorsales des mains et des pieds oedématisées, dans les formes prolongées surtout.

Les fonctions sécrétoires sont également altérées : hyperidrose, sialorrhée, séborrhée. Les troubles endocriniens se manifestent entre autres au niveau des glandes génitales : aménorrhée, azoospermie. Les grandes fonctions métaboliques sont d’autant plus troublées que le refus d’aliments et l’immobilité viennent les aggraver : amaigrissement, œdèmes, engraissement brusque, avitaminoses.

Diagnostic. – Nous rappellerons simplement ici quelques états voisins d’avec lesquels la catatonie vraie doit être distinguée : attitude pseudo-catatonique hystérique, états figés ou rigidité parkinsonienne sans tremblement.

Etiologie. – Un certain nombre de catatonies ont une origine précise. Parmi celles-ci ont peut distinguer :

1) Des maladies infectieuses aiguës (voir Thèse de Garant, Paris, 1929-1930) : la catatonie est particulièrement fréquente dans les typhoïdes, partayphoïdes et colibacilloses ; on l’a signalée dans la grippe. Viennent ensuite les encéphalites. Enfin, elle peut être réalisée par des septicémies diverses : pneumonies, abcès du poumon, rhumatisme articulaire aigu, fièvre puerpérale ; le paludisme à également quelques cas à son actif. Dans tous ces cas le syndrome catatonique survient au cours d’un épisode confusionnel aigu ;

2) Des processus encéphaliques aigus ou subaigus attestés par la lymphocytose ou l’hyperbuminose rachidienne et des troubles neuro-végétatifs et humoraux graves (hyperazotémie extrarénale) mais sans signes neurologiques. Ils se rangent dans le cadre des psycho-encéphalites décrites par Marchand et Courtois ; leur étiologie reste encore obscure. Ils peuvent réaliser des états catatoniques fébriles sévères, voire mortels, qui sont très voisins du délire aigu ;

3) Parmi les infections chroniques, la tuberculose, et spécialement ses formes septicémiques (typho-bacillose), sont susceptibles de produire la catatonie. C’est dans ces formes que le « balancement psychosomatique » se manifeste le plus nettement : l’épisode psychique survient au moment où la tuberculose est en sommeil ou en régression et il se dissipe quand se précise une localisation tuberculeuse somatique ou une nouvelle poussée évolutive.

La syphilis cérébrale et la paralysie générale peuvent aussi comporter des épisodes catatoniques ;

4) Les catatonies toxiques occupent une place importante : elles sont surtout le fait de l’alcool et plus encore du kif (chanvre). C’est vraisemblablement à un élément toxique qu’il faut attribuer également les catatonies des ictères par rétention. Tous ces facteurs ont été mis en lumière par les remarquables travaux de Baruk et de De Jong qui ont réussi à obtenir des catatonies expérimentales avec l’exotoxine colibacillaire, la bile humaine, la tuberculine, le liquide céphalo-rachidien de déments précoces ayant présenté une atteinte tuberculeuse préalable, des substances toxiques (bulbocapnine, acéthylcholine, etc.) ;

5) Des états catatoniques ont été signalés dans les tumeurs cérébrales, en particulier celles de la base, dans les traumatismes crâniens, dans les encéphaloses et les artério-scléroses cérébrales ;

6) Il n’en reste pas moins une grande majorité de catatonies dont l’étiologie toxi-infectieuse ne peut être établie et qui s’intègrent dans l’évolution de grandes psychoses : démence précoce, mélancolie. Sans doute, la catatonie traduit-elle ici la souffrance des mêmes centres cérébraux que dans les infections ou intoxications. Il semble même que chez certains déments précoces, la tuberculose puisse jouer un rôle déterminant soit par une toxine particulière, soit par un processus humoral allergique. Les résultats de l’expérimentation sont encore trop contradictoires pour apporter des certitudes.

Aspects médico-sociaux : – La catatonie est une perturbation psychique grave qui commande certainement l’hospitalisation du malade dans un service spécialisé où puissent être assurées dans de bonnes conditions l’alimentation à la sonde, la surveillance continue et éventuellement les thérapeutiques de choc. S’il s’agit d’un épisode aigu au cours d’une maladie infectieuse, l’internement n’est pas toujours nécessaire. Dans les démences précoces et les intoxications chroniques au contraire, l’internement s’impose. Les accès de fureur catatonique sont redoutables et commandent un isolement et des précautions sévères.

Thérapeutique : – Quand le colibacille, les bacilles d’Eberth ou de Koch ou tout autre agent infectieux sont manifestement en cause, il faut évidemment mettre en œuvre les thérapeutiques anti-infectieuses appropriées. La catatonie peut y résister et persévérer même après élimination de tout agent pathogène (v. Persévération). On a recours alors aux thérapeutiques de choc : électrochoc, insuline ou association des deux méthodes. Ces mêmes indications s’appliquent aux catatonies toxiques ou aux épisodes catatoniques des mélancoliques. Les résultats sont favorables dans plus de la moitié des cas.

Au contraire, dans les démences précoces, les échecs restent très nombreux. Le traitement n’amène parfois qu’une modification de forme de la psychose – apaisement de l’agitation d’une phase nouvelle, sans agir en profondeur sur le processus dissociatif.

Si la psychothérapie à elle seule est inopérante chez un catatonique, il importe de préciser que les chocs psychiques peuvent être très néfastes. Le catatonique est un malade très vulnérable ; sous les apparences de l’absence et la désinsertion, il est extrêmement attentif et hypersensible au comportement et aux paroles de l’entourage à son égard. Aussi faut-il veiller à ne rien dire ni faire qui puisse heurter son affectivité et aggraver ainsi son négativisme.

Th. Kammerer.

Hébéphrénie

En 1871, Hecker, sous le nom d’hébéphrénie, et Kahlbaum, sous le nom de catatonie, avaient décrit un syndrome démentiel post-pubertaire, souvent précédé d’une étape maniaque ou mélancolique. Ce syndrome fut souvent intégré dans ce que l’on a appelé depuis la démence précoce, puis la schizophrénie (v. ces mots).

Actuellement, ce terme tend à disparaître de la terminologie psychiatrique. Toutefois, Dide et Guiraud l’ont adopté et maintenu dans la deuxième édition de leur Psychiatrie du médecin praticien (1929). Guiraud a maintenu cette position dans sa Psychiatrie clinique (1956). Pour cet auteur, le terme de « démence précoce » prête trop à discussion sur la nature et la réalité de la « démence précoce » et l’incurabilité de l’affection; le terme de « schizophrénie », malgré sa valeur psychologique, a pris une extension excessive et « ne constitue pas un progrès en nosographie ». Une conception purement psychologique de la maladie ne saurait être acceptée, ajoute-t-il.

C’est pourquoi il rassemble sous le nom de syndrome hébéphrénique toutes les manifestations précitées, ce terme ayant l’avantage d’indiquer qu’il s’agit avant tout d’une maladie de jeunesse. L’hébéphrénie ainsi conçue et reposant essentiellement sur la clinique, absorbe l’ancienne hébéphrénie de Hecker, la catatonie de Kahlbaum et la démence précoce telle que Kraepelin l’a si bien délimitée en 1912 dans ces différentes formes, simple et délirante.

Pour ce dernier auteur, l’affection se caractérise essentiellement par un fléchissement primitif et précoce des sources instinctives de la vie mentale, l’athymhormie, issues directement du système nerveux végétatif dont les centres sont inclus dans les noyaux sous-corticaux (Athymhormie).

Guiraud distingue dans ses syndromes hébéphréniques :

  • la forme simple où les symptômes déficitaires dominent ;
  • la forme intermittente correspondant aux descriptions de Kahlraum et Hecher ;
  • la forme catatonique dans laquelle dominent les symptômes moteurs et les troubles végétatifs ;
  • la forme paranoïde à dominante délirante ;
  • la forme juvénile avec sa variété héboïdophrénique (v. ce mot); – les formes mixtes où les types précédents peuvent coexister ou alterner.

Voir aussi :

« La stupeur convient au désir. Le désir ne peut naître qu’en s’en délivrant peu à peu et non point en en étant délivré. » (Pascal Quignard, écrivain français). Photo : © Megan Jorgensen.
« La stupeur convient au désir. Le désir ne peut naître qu’en s’en délivrant peu à peu et non point en en étant délivré. » (Pascal Quignard, écrivain français). Photo : © Megan Jorgensen.

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