Avortement provoqué en psychiatrie
Le problème de l’avortement est une question d’actualité, indissociable des problèmes de l’eugénisme et de la stérilisation (voir ces mots) dans le cadre général de celui de la limitation des naissances (ou birth-control). Nous n’avons pas ici à entrer dans le détail des discussions à ce sujet et renvoyons le lecteur aux nombreuses publications récentes (thèse de Anne DESMEULES, ouvrages de II. FI.OURNOY, de J. DEROBY, etc.) et à la mise au point excellente de H. DUCHENE (L’avortement provoqué pour cause psychiatrique. Evolution psychiatrique, juillet-septembre 1956). Nous retiendrons surtout les aspects psychiatriques de l’avortement, assez différents dans l’ensemble des aspects médicaux usuels.
Législation. – En France, la loi du 19 mars 1939 et le décret du 29 juillet 1939 autorisent l’avortement thérapeutique en cas de menace vitale pour la mère du fait la grossesse. En tel cas, le médecin, ou le chirurgien traitant doit prendre avis de deux médecins consultants, dont l’un expert près le Tribunal civil, et adresser un double du procès-verbal de consultation au président du Conseil départemental de l’Ordre des Médecins, avant toute intervention. Aucune indication psychiatrique n’est admise puisque nulle maladie mentale ne nécessite de thérapeutique interrompant la grossesse pour sauver la vie de la mère. La menace de suicide de la mère n’est pas davantage admise comme danger suffisant pour justifier l’avortement.
A l’étranger, la situation diffère suivant les pays. Les textes de loi, en Suisse par exemple, donnent lieu à des interprétations plus ou moins larges dans le sens psychiatrique ou social, rarement prévu dans la lettre. En Suède, l’additif de 1946 à la loi du 17 juin 1938 (autorisant l’avortement médical) a permis d’introduire les indications psychiatriques ou socio-psychiatriques.
En U.R.S.S., la liberté complète en matière d’avortement a été rétablie depuis 1955, par l’abolition de la loi de 1936 qui n’autorisait l’avortement que lorsque la vie de la mère était en jeu.
Au Japon, l’avortement est légalement autorisé depuis 1952, pratiquement sans restriction.
Au point de vue moral et religieux. – Le serment d’Hippocrate par la phrase : «Je ne donnerai à aucune femme un pessaire abortif» paraît aux adversaires de l’avortement thérapeutique une condamnation de celui-ci, dans le respect de toute vie humaine, base traditionnelle de la morale médicale.
L’Eglise catholique rejette formellement la pratique de l’avortement, que la perspective de sauver la vie de la mère ne peut davantage justifier. Cette position a été nettement définie ces dernières années: par Pie XI dans l’Encyclique de Casti Connubii (1930) et rappelée par Pie XII en octobre et novembre 1951 au cours de deux allocutions. Aucune exception n’est admise, même en cas de viol. Cette attitude sans équivoque possible ne paraît pas destinée à se modifier.
Les églises protestantes ont des opinions diverses, en général beaucoup plus tolérantes vis-à-vis des mesures de birth-control et admettent, presque toutes, plus ou moins largement, l’avortement médical (Eglise réformée de Suisse, Lettres des évêques luthériens de Suède, citées par Du GAST-ROUILLE).
Indications. – L’indication psychiatrique de l’avortement est le plus souvent psychiatrico-sociale: ni la vie de la mère, ni même sa santé ne sont toujours menacées.
En pratique, trois grandes catégories de circonstances sont à distinguer:
1° Du point de vue social, certaines grossesses sont particulièrement indésirables: grossesses consécutives au viol de débiles, ou d’aliénées, grossesse survenant chez des malades traitées en hôpital psychiatrique, mais bénéficiant d’autorisation de sorties, ou en cours d’une sortie d’essai (voir art. de DUCHENE in Evol. Psych., juillet-sept. 1956).
Pour ces cas, le problème est non seulement celui de l’avortement, mais surtout d’une stérilisation préventive (voir «Stérilisation»).
2° Du point de vue individuel, certaines grossesses sont inopportunes: grossesses survenant chez des femmes déprimées, asthéniées ou chez lesquelles on peut prévoir des troubles réactionnels («faiblesse prévisible» de la législation suédoise).
C’est cette catégorie qui constitue en Suède le lot le plus important des avortements de cause psychiatrique. Dans la statistique de M. EKBLAD portant sur l’année 1949, il est intéressant d’y noter que, sur 560 cas, il n’y avait aucune psychose évolutive, 1 % de malades antérieurement traitées en hôpital psychiatrique, 1,3 % d’épileptiques. Près de la moitié des femmes examinées avaient une personnalité sensiblement normale, et chez les autres avaient été posés les diagnostics suivants: psychasthénie, anxiété, obsessions, hystérie, dépression, schizoidie, « explosives », «psycho-infantiles», etc. Le contexte psychologique affectif compte plus qu’une affection psychiatrique en cours semble-t-il.
3° La menace de suicide, ou d’infanticide, est à prendre en considération spéciale, car c’est celle qui va peut-être peser le plus lourdement sur la conscience du médecin ou du psychiatre. La menace de suicide est un motif légal d’avortement en Suède bien que le passage à l’acte soit relativement rare (aucun suicide dans les statistiques de M. EKBLAD qui en souligne le contraste avec la fréquence des menaces et idées de suicide chez les femmes examinées). BENGTSSON (cité par M. EKBLAD), sur 217 suicidées, trouve 19 cas de grossesse (8 %), dont une seule femme mariée. Le risque est donc réel et mérite attention.
Les résultats. Les séquelles psychologiques de l’avortement. – Toujours d’après M. EKBLAD, les résultats seraient tout à fait satisfaisants dans 65 % des cas et dans 24 % un «déplaisir» momentané ou des regrets fugaces n’ont pas eu de suite.
Ce n’est que dans 5 cas, soit 1 %, que des troubles névrotiques graves post abortum ont été observés. Ces troubles n’ont toutefois jamais compromis sérieusement l’activité des malades. Ils existaient en fait avant l’avortement, qui n’a donc eu sur eux aucun effet particulier.
Dans 11 % des cas, l’avortement a été suivi de remords sérieux: il s’agissait de femmes ayant des troubles névrotiques particulièrement «légers».
Dans l’ensemble, on peut conclure que la survenue des troubles secondaires à l’avortement n’est pas une menace suffisante à elle seule pour faire écarter l’intervention.
Conclusions. – Que la législation française continue d’ignorer les éventuelles indications psychiatriques ou socio-psychiatriques de l’avortement provoqué, c’est certainement regrettable – et la crainte d’une extension abusive de ces indications ne paraît pas un argument valable pour justifier cette carence. Notons, à titre d’exemple intéressant, que c’est la mise en œuvre de mesures sociales favorisant la maternité, plus efficaces en elles-mêmes que toutes les interdictions, qui a permis en U. R. S. S. l’abolition de la loi de 1936, et ceci sans les conséquences démographiques qui en avaient motivé la parution. Un problème aussi complexe et débattu que celui de l’avortement semble effectivement ne pouvoir être résolu par un simple additif à un texte de loi.
Mais il est tout aussi certain qu’aucune législation ne saurait trancher ce problème sur un plan moral, qui est pourtant celui où s’engage la responsabilité personnelle du médecin pour chaque cas particulier.
Mlle M.-L. MONDZAIN.
À compléter la lecture :
