Automatisme mental

Automatisme mental en psychiatrie

On peut définir l’automatisme mental : le fonctionnement indépendant et spontané de tout ou partie de la vie psychique, en dehors du contrôle de la volonté et parfois même de la conscience. II y a un automatisme psychologique normal et un automatisme mental pathologique.

1) P. Janet, faisant remarquer que l’activité automatique est la loi de l’activité humaine dans toutes ses formes, appliquait cette notion de base à toutes les manifestations de la vie mentale. Bergson semble avoir étendu considérablement cette notion en soulignant que «l’activité habituelle de l’esprit est une manifestation inférieure automatique, la liberté étant réservée à de rares actes d’une certaine solennité».

Presque tous les processus intellectuels, en effet, sont soumis au régime de l’automatisme: association des idées, des images, mémoire, habitudes professionnelles. Y échappent en partie: l’attention dirigée, le calcul, certaines opérations de réflexion et de jugement; par contre, certains auteurs ajoutent au domaine de l’automatisme le rêve, la rêverie, la distraction, l’intuition, l’inspiration, mais cette conception est loin d’être admise par tous les psychologues.

2) Le mécanisme de l’automatisme mental prend, dans certaines circonstances morbides, une intensité et un relief particuliers, caractérisant des états spéciaux: les uns à la frontière du normal, d’autres franchement pathologiques dans leur déterminisme, leur expression et leurs conséquences. Dans tous ces cas, ces manifestations sont, en quelque sorte, imposées au sujet et échappent au pouvoir freinateur de sa volonté; parfois, il a conscience de leur caractère morbide; d’autres fois, elles se passent dans une inconscience totale; dans d’autres cas enfin, l’unité du moi est ébranlée. H. Claude et Lévy-Valensi en avaient donné un essai de classification en 1913. Suivant le degré de conscience, ils distinguaient plusieurs groupes de faits :

a) les états d’automatisme mental avec perte de conscience et absence de lucidité: actes automatiques des épileptiques, états crépusculaires, activité délirante onirique ; il s’agit, dans tous ces cas, d’une dissolution totale ou incomplète de la conscience.

b) certaines manifestations d’automatisme restent conscientes, mais ne sont pas interprétées comme des faits anormaux et leur nature automatique est méconnue: exaltation mentale incoercible et désordonnée des maniaques, hallucinations psychosensorielles, délires d’imagination, délires de rêverie et manifestations délirantes du pithiatisme.

c) dans certains cas, le sujet a pleinement conscience du caractère morbide des manifestations d’automatisme: obsessions, phobies, états anxieux, mentisme.

Il existe enfin une forme bien particulière de l’automatisme mental, un syndrome que l’on trouve à la base de beaucoup d’états délirants ou hallucinatoires chroniques et qui est connu en nosologie française sous le nom de syndrome d’automatisme mental de Clerambault.

Syndrome d’automatisme mental de Clerambault. – C’est en se livrant, entre 1920 et 1926, à une analyse clinique pénétrante et subtile des délires hallucinatoires chroniques que cet auteur est arrivé à dégager un syndrome mental initial et fondamental qui précède les manifestations délirantes ou hallucinatoires. Le sujet a l’impression que son cerveau est manœuvré, pénétré d’idées étranges, que son langage intérieur est répété, que ses pensées et ses actes sont commandés et commentés. Ces phénomènes singuliers résonnent dans sa tête sous forme de propos étrangers qu’il ne reconnaît plus comme un bien propre. Il y a une véritable «scission» du moi, une « dissidence » (G. De Clerambault), une « dépossession » (Lévy-Valensi).

A dire vrai, les faits d’observation que ce syndrome rassemble n’avaient pas échappé à d’autres cliniciens, à Seglas en particulier, qui en avait décrit magistralement certains éléments constituants sous le nom d’hallucinations psychiques ou verbo-motrices.

A) Les éléments du du syndrome

a) Troubles de la pensée et du langage intérieur. – Le sujet a l’impression que sa pensée est «devancée» ou répétée (écho de la pensée). On lui annonce tout ce qu’il va faire – «énonciation des actes» – parfois, ce sont de véritables dialogues intérieurs; ou bien on le contredit systématiquement. Cette effraction dans son moi a un caractère d’indiscrétion qui le surprend et l’agace; d’autres fois, on le fait parler ou agir contre son gré ou bien on l’empêche de penser ou d’agir (inhibition). Il se produit parfois, dans le cerveau, toute une jonglerie verbale qui va se développer, s’extérioriser dans les paroles ou les écrits: dissection syllabique, jeux de mots par assonances, kyrielle de mots, etc.

Mais avant ce stade qui tend à une représentation verbale, G. De Clerambault a souligné le début par des mécanismes subtils, abstraits d’abord, puis se rapprochant de l’orme verbale : intuitions abstraites, arrêts de la pensée, dévidage muet de souvenirs; les processus idéo-verbaux, commentaires sur les actes et souvenirs, questions, pensées se répondant sont, en général, plus tardifs.

C’est cet ensemble que G. De Clerambault appelait le petit automatisme mental. Tous ces symptômes, premiers en date, peuvent s’arrêter ou rester longtemps à ce stade sans grande réaction du sujet.

b) Les hallucinations auditives. Les «voix». – Par la suite, le plus souvent, apparaissent les hallucinations auditives, les «voix» qui vont se préciser. Indifférenciée au début, la pensée troublée devient progressivement auditive ou verbo-motrice, les voix se constituent alors avec 4 caractères: verbales, objectives, individualisées et thématiques.

L’auteur souligne avec insistance la non-sensorialité de ces hallucinations; la pensée qui devient étrangère reste différenciée et non sensorielle.

c) Automatismes moteurs et sensitifs surajoutés («triple automatisme»). – Fréquemment s’associent d’autres automatismes: automatismes moteurs: gestes parasites ou conjuratoires imposés au sujet, tics: spasmes divers, impulsions motrices et verbales; automatismes sensitifs: manifestations cénesthésiques extrêmement fréquentes, véritables hallucinations de la sensibilité générale (courants électrique torsions, rayons, etc.). Souvent, ces troubles cénesthésiques portent sur des sensationsviscérales ou spéciales (possession d’organes, sensations génitales insolites et intempestives).

B) Caractères essentiels et autonomie du syndrome :

G. De Clerambault a beaucoup insisté sur le caractère autonome et primitif de ce syndrome: tout ce qui s’y ajoutera ultérieurement dans l’organisation délirante n’étant qu’un appoint secondaire, explicatif ou interprétatif, variable avec le caractère ou la constitution mentale ou affective du sujet.

Il a beaucoup insisté aussi sur le caractère neutre du syndrome: le sujet y assiste en témoin souvent passif, quelquefois amusé. Il y a parfois une excitation euphorique légère; quand cette excitation se prolonge, elle peut s’orienter dans le sens de l’érotisme, de l’enjouement, de l’expansivité, de l’automatisme émotionnel et affectif. Mais l’automatisme mental finit le plus souvent par tendre à l’hostilité par irritation du sujet, du fait de l’indiscrétion et de la teneur contrariante des voix, de l’ironie et des dialectiques qui les accompagnent.

C) Évolution et pronostic, valeur sémiologique

La «gradation idéo-sensorielle» peut se faire à une cadence variable.

a) Le syndrome d’automatisme mental peut subsister souvent à l’état pur et à ses stades initiaux avec tendance vaguement optimiste, confiance du malade envers le médecin et l’entourage. Le sujet est flatté, les voix lui tiennent compagnie; au pisaller, il est ennuyé d’expériences dont il est le siège, mais qui ne sont pas faites pour lui nuire. Elles lui servent parfois d’épreuves dont il est fier de triompher (certains érotomanes, ou idéalistes). Si l’affectivité est en même temps troublée, il peut se produire des paroxysmes émotifs ou anxieux, passagers, au cours desquels les intrusions verbales s’aiguisent, des hypersthénies épisodiques ou de petits états passionnels; d’où la possibilité de formes rémittentes et paroxystiques.

b) Le plus souvent, le syndrome d’automatisme mental n’est que le premier temps d’une psychose délirante chronique. L’automatisme mental est la base principale sur laquelle des délires secondaires très variés peuvent s’édifier (persécution, mégalomanie, érotisme, mysticisme, etc.). G. De Clerambault insiste sur ce fait que: «Le délire alors n’est que la réaction secondaire d’une intelligence le plus souvent intacte aux phénomènes qui sortent de son subconscient et qu’il n’est qu’une superstructure surajoutée.» Le mécanisme interprétatif ou explicatif varie suivant les tendances intellectuelles, caractérielles et éducatives du sujet (paranoïa, malignité, perversité).

L’orientation de cette interprétation peut se faire dans le sens endogène (délire de possession) ou exogène (délire d’influence, syndrome d’action extérieure, délire de persécution). Les troubles cénesthésiques, si fréquents dans l’automatisme mental, tiennent aussi sous leur dépendance la fixation du thème délirant secondaire (secteur génital, auditif, psychomoteur ou intuitif). Chacun systématise au prorata de son intelligence et selon la forme de celle-ci (délire Imaginatif très riche ou «délire inerme», pauvre, des vieilles filles) (G. De Clerambault).

c) On conçoit que dans la schizophrénie, syndrome essentiellement dissociatif (E. Bleurlier), se trouvent fréquemment réalisées les formules d’automatisme mental.

Kouretas et Souras (1938) ont montré, par des observations très étudiées, la fréquence de petits signes d’automatisme mental dans les débuts de la schizophrénie.

L’ambivalence favorise le dialogue d’une double personnalité; les gestes ou les paroles contradictoires, certaines attitudes catatoniques ont souvent leur explication dans une réaction d’opposition aux suggestions de l’automatisme mental sous-jacent.

d) Le rapport de l’automatisme mental avec les obsessions n’a pas échappé à ceux qui l’ont étudié et décrit. G. De Clerambault voyait, dans sa teneur contrariante, une application des lois générales des états obsessionnels.

Levy-Valensa a souligné cependant les caractères différentiels de ces deux états : l’obsédé étant un anxieux qui lutte pour sa défense et qui, de plus, reconnaît le caractère morbide des phénomènes subconscients qui l’assaillent: tandis que dans la «dépossession» (nom donné par cet auteur à l’automatisme mental), le sujet assiste passivement à un phénomène qu’il tient pour réel. Toutefois, que le lien qui rattache l’obsédé à la réalité soit rompu – et c’est un processus qui se réalise parfois – il deviendra un délirant.

e) S’opposant aux formes pures ou délirantes chroniques, mentionnons tous les automatismes mentaux à marche rapide qui brûlent les étapes (formes massives et diffuses de De Clerambault). On pourrait y intégrer tous les états d’automatisme mental oniriques des infections et des intoxications et certaines de leurs séquelles.

«Dans les confusions mentales, disait G. De Clerambault, la gradation idéo-sensorielle est supprimée, les hallucinations auditives surgissent d’emblée; de même, dans les séquelles à marche rapide, les mêmes phénomènes de l’idéation sont absents ou, après hallucinations auditives, les formes insidieuses sont plus subtiles en même temps que systématiques» (psychoses alcooliques).

f) Enfin, l’on peut voir des syndromes d’automatisme mental transitoires, évoluant parallèlement à une affection organique subaiguë sous-jacente (poussées tuberculeuses en particulier, méningites séreuses, hypertension crânienne).

D) Nature du syndrome

«Le fonds commun de ce syndrome, disait encore G. De Clearambault, est un trouble pour ainsi dire moléculaire de la pensée élémentaire.» Ce processus est totalement indépendant de la qualité de l’intellect et commande le pronostic. Mais quelle est sa nature? La pathogénie des phénomènes d’automatisme mental pathologique a suscité de nombreuses controverses (voir sa discussion au XXXIe Congrès des Al. et Neurol. (Blois, 1927) à propos de deux rapports sur l’automatisme mental). On peut les grouper en théories psychologiques et organicistes.

a) Théories psychologiques. – On a invoqué successivement :

un fléchissement de la volonté et un défaut de synthèse mentale (Seglas) ;

un refoulement de certains états affectifs pouvant remonter à la surface avec un caractère indifférent et considérés comme étrangers (discordance affective de Cellier) ;

un phénomène de subduction mentale où les {onctions émancipées dirigent le psychisme (Mignard).

Mais tous ces processus psychogènes sont des concepts difficilement contrôlables.

b) Théories organicistes et physio-pathologiques. – G. De Clerambault admettait qu’il y avait à la base de l’automatisme mental des phénomènes d’atteinte cellulaire soit récente (imprégnation toxique ou infections exogènes ou endogènes), soit des reliquats d’infections anciennes. Il avait même, à cet égard, souligné que rapidité d’invasion et massivité des symptômes allaient de pair (loi de massivité), que les atteintes et les formules évolutives étaient d’autant plus systématisées que le sujet est d’âge plus avancé (loi de l’âge), les formes insidieuses appartenant surtout à l’âge adulte. Ses élèves, Heuyer et Llogre se sont faits surtout les défenseurs de cette théorie organiciste.

Quelques observations anatomo-cliniques ont étayé cette conception: disparition du syndrome d’automatisme mental après traitement d’une syphilis latente (Heuyer), automatisme mental à éclipses dans l’hypertension crânienne suivant les variations de la tension (H. Claude). GUIRAUD invoque des asynchronismes chronaxiques entre les différentes cellules nerveuses et parle de cénesthopalhie dystonique.

Enfin, comme il fallait s’y attendre, on a souligné le rôle fréquent des prédispositions nerveuses et d’antécédents tarés. Mais l’anatomie pathologique reste encore muette dans bien des cas.

Quoi qu’il en soit de toutes ces explications, le fait important à retenir est qu’il y a toujours au début de l’automatisme mental et, correspondant à la phase de malaise psychique ou de troubles cénesthésiques qui l’annoncent, un phénomène de désagrégation mentale, qui est vraisemblablement sous-tendu, sinon par un processus organique décelable, du moins par une perturbation dynamique et fonctionnelle de la vie cellulaire.

Si cette conception de l’automatisme mental a trouvé d’ardents défenseurs, elle n’a pas rallié cependant tous les suffrages. On a jugé l’explication mécaniciste donnée par G. De Clerambault de son syndrome comme assez simpliste et peu admissible (H. Ey, Dalbiez). Le caractère primitif et neutre du syndrome, l’apparition secondaire et toute contingente du délire, sont contestés par un certain nombre de cliniciens. Pour H. EY, le mécanisme primordial serait un phénomène de dissolution et les perturbations foncières seraient d’ordre biodynamique. Rappelons que, pour cet auteur, si, à la suite d’un processus organique, il se produit un fléchissement des centres de contrôle, l’inconscient fait irruption dans le champ de la conscience affective et n’est plus reconnu par le malade comme faisant partie intégrante de sa personnalité.

La critique la plus sévère et la plus vigoureuse de la théorie organiciste du syndrome d’automatisme mental de G. De Clerambault a été faite par Henri Claude au Congrès précité (Blois, 1927). Pour cet auteur, si la description clinique de G, De Clerambault est incontestable, il estime son interprétation pathogénique comme des plus discutables; si l’on a pu citer quelques faits où l’apparition du syndrome a pu être en rapport avec des lésions organiques ou subir les variations d’un désordre fonctionnel (hypertension crânienne, dans un cas de H. Claude) la plupart des autres cas n’ont rien montré comme altération apparente.

«Et quand on vient nous proposer que la symptomatologie présentée soit la conséquence de microlésions méningo-corticales, séquelles d’états infectieux antérieurs, voilà ce que nous ne pouvons admettre autrement qu’à titre d’hypothèses gratuites. On nous parle d’éruptions serpigineuses à la surface de la corticalité cérébrale, de lésions des noyaux gris centraux par assimilation à ce que l’on observe dans les tumeurs, de lésions de nerfs olfactifs dans le cas d’hallucinoses olfactives ; on soupçonne des troubles de la chronaxie cérébrale.»

Et pour conclure, Henri Claude pense que c’est dans un trouble plus ou moins ancien et profond de l’affectivité qu’il faut chercher l’origine du syndrome d’automatisme mental et il envisage les rapports de ce syndrome qu’il dénomme «syndrome d’action extérieure», avec le délire d’interprétation à base affective de Kretschmer ou «délire de relation des sensitifs».

Dépossession

Terme employé dans deux acceptions différentes :

1) Lévy –Valensy a donné le nom de « syndrome de dépossession » à un sentiment particulier, éprouvé par certains sujets qui ont la notion qu’ « ils ne s’appartiennent plus. Des idées envahissent leur pensée qu’ils ne reconnaissent plus comme leurs, des sentiments les surprennent, des voix parlent en dedans d’eux, occupant leur pensée, des images leur sont imposées, ils n’agissent pas, on les fait agir ou on les empêche d’agir, etc. »

La dépossession serait, pour Lévy-Valensi, une variété clinique de l’automatisme mental, ce mot étant pris dans son acception la plus large ; il a enrichi ce syndrome de dépossession de toute la symptomatologie directe ou indirecte que Clérambault a incluse dans le syndrome d’automatisme mental qui porte son nom.

Ce syndrome de dépossession sert de base au développement des délires d’influence, d’action extérieure, à certaines psychoses hallucinatoires chroniques, aux délires spirites, aux délires de possession démoniaque, etc. (v. ces mots). Il s’apparenterait dans certains cas aux obsessions, mais ces dernières, le sujet a conscience du caractère morbide de l’automatisme, ce qui n’a pas le « dépossédé ».

Toutefois, pour Lévy-Valensi, l’obsession peut parfois se transformer en délire d’influence. Ce syndrome correspondrait à une phase initiale de désagrégation mentale.

2) Pailhas, puis Régis et ses élèves avaient décrit, sous le nom de « délires raisonnants de dépossession », une variété de délires rencontrée chez des persécuteurs processifs et quérulents qui, expropriés de leurs biens, refusent d’accepter la chose jugée et, se considérant comme injustement dépouillés et toujours légitimes propriétaires, se livrent, pour défendre leurs soi-disant droits, à des revendications plus ou moins violentes ».

Cette variété se rencontre chez des sujets frustes, entêtés, chez des paysans très attachés à l’argent ou à la terre.

Ant. Porot.

Voir aussi :

Automate vivant. Chaque corps organique d’un vivant est une espèce d’automate naturel (Leibniz, philosophe et mathématicien allemand, ne 1646 et décédé en 1716). Image : © Megan Jorgensen.

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