Analgésie généralisée (Asymbolie à la douleur) et synesthésies
C’est l’insensibilité à la douleur, avec conservation des autres modes de la sensibilité (tactile, calorique, discriminatoire).
Disons d’abord qu’il y a des grandes variations individuelles dans la sensibilité à la douleur. Il est important d’exclure d’abord les analgésies localisées à un territoire déterminé, par atteinte d’un nerf périphérique, d’une racine ou même d’un ou plusieurs segments médullaires (syringomyélie), où existe en plus un mode de dissociation de la sensibilité thermique caractéristique.
Il faut aussi tenir compte des acropathies ulcéro-mutilantes des extrémités décrites par Thévenard, qui sont souvent familiales et s’accompagnent d’analgésies assez étendues. Prises longtemps pour une forme lombo-sacrée de syringomyélie.
En outre, il faut savoir qu’il y a de grandes variations individuelles aux stimulations douloureuses. À côté de certains sujets hyperesthésiques, il en est d’autres qui restent impassibles devant la douleur; le coefficient racial peut intervenir et les chirurgiens de l’Afrique du Nord ont souvent constaté des impassibilités étonnantes chez des indigènes, victimes de traumatismes ou soumis à des interventions opératoires sans anesthésie.
Il faut surtout se baser, pour apprécier la perception d’une douleur, soit à l’aveu qu’en fait le sujet, soit à des réactions mimiques ou gestuelles de défense, soit surtout de façon plus objective, à des réactions d’ordre végétatif (dilatation pupillaire, accélération du pouls et du rythme respiratoire, élévation transitoire de la tension artérielle).
L’autosuggestion peut intervenir comme dans le cas de certaines anesthésies dites hystériques. Boisseau (de Nice) prétend avoir réalisé sur lui-même, par entraînement et autosuggestion, des anesthésies segmentaires. Certains schizophrènes catatoniques manifestent une indifférence totale à l’excitation douloureuse.
L’étude de la réaction psychogalvanique est un test qui permettra dans quelques cas de dépister une inhibition volontaire des réactions à la douleur.
Depuis que l’on pratique des leucotomies, on a pu voir chez certains opérés pour algies centrales intolérables, les douleurs disparaître et faire place à une analgésie.
Il peut y avoir des analgésies généralisées de tout le corps d’origine centrale, bien étudiées par Shilder et Stenger, causées par des lésions de la zone supramarginale de l’hémisphère dominant; c’est pour de tels cas que ces auteurs parlent « d’asymbolie à la douleur », et, du reste, cette asymbolie à la douleur est souvent escortée d’autres symptômes de la région en cause (syndrome de Gerstmann : apraxie, agnosie). Il s’agit en général de petits foyers de ramollissement; mais il y peut avoir aussi une tumeur de la région comme dans un cas de Rudin et Friedmann où l’asymbolie à la douleur disparaît après l’extirpation de cette tumeur.
Reste un gros problème qui ne semble pas avoir encore reçu son explication, et dont aucune autopsie n’est venue confirmer la réalité : c’est celui de certaines analgésies généralisées qui seraient congénitales. Ces analgésies congénitales se révèlent souvent dès les premières années de la vie : elles sont souvent associées à un degré plus ou moins marqué d’insuffisance mentale ou à d’autres infirmités comme une cécité, une surdi-mutité; l’enfant, dès qu’il commence à marcher, tombe et se blesse facilement, sans paraître en souffrir et l’on découvre souvent à cette occasion, son analgésie.
Ortiz de Zarade, qui en a publié une observation très détaillée et présente une revue générale de tous ces cas d’analgésie généralisée, a fait une critique et un exposé très pertinents de tous les aspects de cet important problème (Encéphale, 1955, #5). Le lecteur y trouvera également une importante bibliographie, ainsi que dans un article de Gayral (A. M. P. avril 1958, p. 593).
Synesthésies
On parle de synesthésie, lorsqu’à une perception sensorielle ou sensitive dans un secteur déterminé, s’ajoutent par correspondance ou résonance des sensations dans d’autres domaines sensitivo-sensoriels. Des sensations auditives évoquent des couleurs (« audition colorée », des anciens auteurs); le poète Rimbaud donnait à chaque voyelle la signification d’une couleur ; certains sujets perçoivent la musique sous des formes graphiques, géométriques ou scéniques; il en est de même pour les odeurs ou les parfums et même les saveurs chez quelques individus. D’autres fois, à diverses stimulations sensorielles, peuvent correspondre des malaises cénesthésiques ou viscéraux particuliers : algies diffuses ou localisées, sensation de broiement, de transfiction, de froid ou de chaleur. Le langage courant a, du reste, consacre ces correspondances sensitivo-sensorielles par des expressions empruntées à la cénesthésie, et appliquées au domaine de la sensorialité : on dit d’un son, d’un goût, d’une couleur, qu’ils sont aigres, acides, âcres; on parle d’un ton chaud, ou d’un coloris froid; et la rudesse ne s’entend pas seulement d’un contact mais aussi des sons, ou de certaines expressions picturales, etc.
Certains auteurs n’admettent comme véritables synesthésies que les représentations à caractère esthésiques très pur ou franchement hallucinatoire, et considèrent comme fausses synesthésies toutes celles qui sont produits par des mécanismes mnésiques, logiques ou rationnels, d’ordre intellectuel. Pour J. Delay, il faut surtout reconnaître « le caractère d’automatisme » comme qualité primordiale du phénomène, et cet auteur insiste sur la prépondérance de l’élément affectif dans la production des synesthésies.
Avec H.-P. Gérard et P.C.Racamier, il s’est livré à une étude analytique très subtile des synesthésies provoquées chez des sujets expérimentalement soumis à l’influence hallucinatoire visuelle de la mescaline ; il a utilisé surtout des stimuli auditifs des disques musicaux ; les sons produisaient des répercutions principalement dans le domaine visuel, altérant les hallucinations mescaliniques primitives ou provoquant de nouvelles images ; plus rares mais cependant souvent assez nets, étaient les résonances cénesthésiques : sensations étranges et intenses d’angoisse, d’écrasement, de douleurs vives, de chaleur, etc.).
On ne saurait considérer les synesthésies comme un symptôme toujours morbide, puisqu’il peut exister à l’état normal, soit par un mécanisme d’élaboration intellectuelle rationnel, soit comme une manifestation affective plus marquée dans certaines personnalités. Quelques auteurs, se basant sur sa fréquence chez l’enfant, ont voulu y voir une manifestation de primitivisme, ce qui paraît exagéré, car on le rencontre dans des intelligences parfaitement lucides et pleinement évoluées; elles constituent même la matière de certaines productions littéraires et poétiques.
Ant. Porot.

Cénesthésie
(Du grec, commune, et sensation).
Donnée globale traduisant en sensation consciente le fonctionnement végétatif de l’organisme; ces données résultent de sensations proprio et intéroceptives, à l’exclusion des sensations extéroceptives (provenant des organes sensoriels proprement dits).
Qualitativement, la cénesthésie comporte des sensations diverses : bien-être, malaise, fatigue, faiblesse, fièvre, etc. Il en est une infinité qui restent innommées et qui se dérobent à toute analyse.
Les sensations cénesthésiques ont deux caractéristiques spécifiques :
1) Elles ont une tonalité affective immédiate et une valeur représentative à peu près nulle. Cependant, elles sont localisables à tel ou tel organe.
2) Elles ont une continuité qui donne l’image de la vie végétative, continuité que n’ont pas les sensations extéroceptives.
3) Elles ont une continuité qui donne l’image de la vie végétative, continuité que n’ont pas les sensations extréroceptives.
La cénesthésie est le fondement de la personnalité physique, de la conscience de la vie, de la notion de durée. Elle est également l’élément primordial du ton affectif et comme son régulateur. Elle joue enfin un rôle d’avertisseur dans toute altération de la vie végétative.
Comme toute autre fonction de sensibilité, elle peut être perturbée et présenter : des illusions, des hallucinoses, des hallucinations, des interprétations délirantes. Ces troubles sont à la base de nombreuses psychoses et, notamment, de l’hypocondrie délirante.
P. Guiraud voudrait voir substituer le mot de coenothymie à celui de cénesthésie.
Th. Ribot, comme le remarque Baruk (A. M. P., 1951, nov., p. 394), avait déjà noté que la conception du moi est le sentiment de la personnalité ; le sentiment de notre existence nous parvient de notre corps et des sensations qui en émanent.
La notion de cénesthésie s’est enrichie considérablement par l’étude des maladies mentales et aussi par les recherches neurologiques (images de notre corps, cénesthopathies, etc.).
Th. Kammerer.