Artério-sclérose cérébrale en psychiatrie
L’artério-sclérose cérébrale a été longtemps confondue dans ses descriptions cliniques avec la démence sénile et les encéphaloses de la présénilité ; elle doit cependant en être nettement séparée. Elle peut apparaître précocement à partir de 40 ans, mais s’observe surtout après 60 ans.
L’étiologie n’a pas de caractères spécifiques; elle est celle de toutes les manifestations qui traduisent un trouble de l’appareil circulatoire. L’orientation actuelle des recherches semble se faire vers l’étude des perturbations des associations lipido-protéiniques (Bernard Coiffu, thèse, Paris, 1958).
Anatomie pathologique. – Les lésions peuvent intéresser les gros vaisseaux de la base et les artères de moyen calibre ; les lésions atrésiques peuvent entraîner l’ischémie et des foyers de ramollissement de tout volume, parfois multiples. Mais à côté de ces lésions grossières, très apparentes, il faut prendre en considération surtout les lésions du système artériolaire pie-mérien dont les petits rameaux pénètrent dans le cortex; ce petit réseau qui possède son autonomie physiologique joue un rôle important dans la vitalité et l’activité de l’écorce et ses lésions ne sont décelables qu’au microscope ; Marchand, après d’autres auteurs, en a bien souligné récemment l’intérêt. L’insuffisance irrigatoire qui en résulte déclenche par anoxhémie des phénomènes déficitaires globaux.
Des lésions névrogliques réactionnelles secondaires interviennent fréquemment. L’ensemble de ces lésions, vues au microscope, a été décrit sous des noms divers : états aréolaire, fenestré, réticulé. A côté d’elles peuvent exister aussi des foyers plus importants de désintégration et de ramollissement («états vermoulus», «états lacunaires»).
Ne jamais oublier que la sclérose du cristallin commence à vingt-cinq ans. Image : © Megan Jorgensen (ElenaB)
Antoine Arab étudiant comparativement 151 cerveaux artério-scléreux et 146 cerveaux témoins, totalement exempts d’artério-sclérose cérébrale (tous ces sujets étaient âgés de 65 ans au moins), a trouvé des plaques séniles avec la même fréquence dans les deux séries ce qui exclut toute idée d’interférence des facteurs pathogènes. De cette statistique il conclut que l’artério-sclérose cérébrale ne prédispose pas particulièrement à l’apparition de plaques séniles (R. N., 1954, t. 91, 2e semestre, n° 1).
Étude clinique. – Ce qui domine dans l’histoire de l’artério-sclérose cérébrale, c’est l’intrication très fréquente de signes neurologiques et de troubles mentaux. On peut, avec Marchand, poser les principes suivants : les troubles démentiels dus à l’artério-sclérose sont d’autant plus nets et plus profonds que la lésion diffuse porte davantage sur les fines artérioles et les capillaires. Par contre, les syndromes neurologiques sont d’autant plus localisés et accusés qu’ils sont dus à des altérations portant sur les plus grosses artères cérébrales.
a) II y a souvent, dans l’artério-sclérose cérébrale, toute une série de petites manifestations prémonitoires, les unes d’ordre général comme les céphalées, les vertiges, les autres plus spécialement d’ordre mental ; ces dernières sont surtout de petites manifestations transitoires épisodiques que l’on met généralement sur le compte d’une ischémie passagère, d’une «claudication intermittente cérébrale» ; elles consistent en perte subite de la mémoire ou de l’orientation; le sujet s’égare dans son propre appartement, ou bien on le trouve dans la rue, inconscient, et incapable de donner son nom et son adresse.
Ces éclipses soudaines, auxquelles Logre et Deshaies avaient donné le nom de «psychoplégie», ont une durée variable de quelques heures à quelques jours; elles peuvent être suivies d’un retour à la normale et provoquent une certaine inquiétude chez un sujet surpris par cette alerte.
Des états confusionnels plus caractérisés, des étals seconds avec fugues peuvent aussi se rencontrer. Regis avait décrit des accès d’onirisme artério-scléreux. Parfois, ce sont de brusques changements du caractère, de l’humeur ou du comportement qui surprennent l’entourage: irritabilité anormale, colères immotivées, turbulence nocturne, impudeur et érotisme contrastant avec la réserve habituelle. D’autres fois, le sujet prend simplement conscience de son impuissance cérébrale, de sa fatigabilité intellectuelle; il en souffre, s’en plaint et fait figure de neurasthénique. Mais l’état dépressif peut aller jusqu’à la véritable formule mélancolique avec sa surcharge anxieuse fréquente (Mme Leulier-Barrat) ; l’état affectif est, en effet, souvent fort troublé et s’extériorise sous forme d’une sensiblerie larmoyante.
On peut observer aussi des états d’agitation à type maniaque ou coléreux, soit sous forme continue, soit sous forme d’accès courts, mais rapprochés. Ces états dépressifs et d’agitation représentent un aspect du groupe des psychoses périodiques tardives.
b) Un ictus survenant chez un artério-scléreux, même indemne jusqu’alors de troubles psychiques, entraînera une perturbation mentale plus ou moins profonde; après récupération fonctionnelle plus ou moins complète, le sujet restera mentalement diminué.
Comme accidents neurologiques principaux, rappelons les paralysies (monoplégies ou hémiplégies) avec leurs signes pyramidaux, les atteintes d’aphasie sous leurs diverses formules, les apraxies, les agnosies, les syndromes sous-corticaux d’akinésie, de rigidité, les manifestations pseudobulbaires, etc. ; chacun de ces syndromes escorté de petits désordres mentaux: obnubilation confusionnelle passagère du début, puis état déficitaire plus pu moins marqué avec des caractères particuliers à chacun d’eux. Il faut y ajouter l’épilepsie avec sa possibilité d’équivalents mentaux.
c) Les manifestations prodromiques doivent donner l’alerte: si quelque accident plus grave (hémorragie, gros foyer de ramollissement) ne vient pas faire du sujet un gros infirme ou un grabataire, on assistera à un affaiblissement intellectuel lentement progressif aboutissant à ce qu’on a appelé la «démence artériopalhique».
Cette démence d’origine artérielle peut être camouflée dans sa période initiale par des syndromes divers, soit à prédominance régionale, soit par des états psychiques plus ou moins globaux (apparence mélancolique, irritabilité, troubles du caractère ou du comportement).
Diagnostic. – On a donné comme signe propre à cette démence le fait que le sujet garde longtemps une certaine lucidité et la conscience de son amoindrissement; que les troubles de la mémoire, en dehors des éclipses passagères, consistent en une difficulté d’évocation, une dysmnésie, plutôt que dans la ruine des connaissances acquises ; que les phénomènes de fabulation si fréquents dans la presbyophrénie y sont rares.
Il faut surtout ne pas perdre de vue que l’artério-sclérose se cantonne rarement aux seuls vaisseaux cérébraux. De tels malades ont, le plus souvent, leur système cardio-rénal en mauvais état; ils sont soumis à des variations tensionnelles qui aggravent les désordres de l’irrigation cérébrale; l’insuffisance rénale n’est pas rare qui apporte, elle aussi, une surcharge autotoxique (hyperazotémie, rétention chlorurée) augmentant les possibilités d’obnubilation ou facilitant des œdèmes cérébraux. De là, la réalisation de complexes dans lesquels il est difficile de faire la discrimination exacte de ce qui revient aux perturbations des seuls vaisseaux cérébraux. C’est alors qu’un examen clinique attentif et complet et des tests humoraux sont de la plus grande utilité.
Quant au diagnostic de l’artério-sclérose cérébrale d’avec les autres processus organiques pouvant atteindre le cerveau à un certain âge, il est parfois malaisé. Les maladies de Pick, d’Alzheimer, sont d’apparition généralement plus précoce, mais surtout d’une évolution beaucoup plus rapide et plus régulière, sans ictus, avec un minimum de signes neurologiques si l’on en excepte l’aphasie, l’apraxie et les agnosies spéciales; la démence y est plus profonde.
La démence sénile pure sans artériopathie est plus profondément déficitaire, elle aussi, avec inconscience de la déchéance, confabulation fréquente (presbyophrénie), les deux formes du reste, artériopathiques et dégénératives cellulaires, peuvent s’associer.
La syphilis cérébrale, dont la fréquence a beaucoup diminué, a ses lésions et ses réactions humorales propres; on a pu voir coïncider une paralysie générale tardive avec de l’athéromasie cérébrale non spécifique.
Enfin, signalons que parfois une artériopathie cérébrale, accompagnée d’hypertension artérielle, a pu donner des signes d’hypertension crânienne : forme pseudotumorale (Alajouanine, Riser).
Pour aider au diagnostic, l’augmentation du cholestérol sanguin sera un signe à retenir ; l’électroencéphalographie décèle souvent des troubles particuliers de la vigilance. Les troubles visuels et une hémianopsie ne sont pas rares en raison de la prédominance fréquente de la zone occipitale.
Traitement. Médecine légale. – Le traitement de l’artério-sclérose cérébrale, une fois bien faite la mise au point de l’état cardio-rénal reste celui de l’artério-sclérose en général et de ses déterminations.
Des situations médico-légales délicates, créées par certaines amnésies, par des déficits intellectuels ou des troubles du comportement, peuvent surgir parfois. Elles seront résolues dans l’esprit qui préside à l’estimation de tous les états d’affaiblissement intellectuel.
Ant. Porot.
Sclérose tubéreuse de Bourneville : Affection rare décrite en 1880 par Bourneville, caractérisée anatomiquement par des adénomes sébacés multiples de la face et d’autres tumeurs dans différents organes, notamment dans le parenchyme cérébral. Cet état anatomique s’accompagne d’idiotie et de convulsions et se termine assez tôt par la mort .
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