Apraxies

Apraxies en psychiatrie

Ce mot vient du grec privatif et action.

Définition : Impossibilité d’exécuter, au commandement, des mouvements adaptés à un but, chez un sujet par ailleurs indemne de troubles intellectuels et d’atteinte des fonctions motrices et sensitivo-sensorielles.

– Partis d’une conception associationniste et schématique de la psychophysiologie de l’acte moteur, les premiers auteurs (Liepmann, Heukbronner) établissaient des distinctions théoriques entre l’apraxie motrice (destruction des engrammes d’exécution motrice), l’apraxie idéo-motrice (rupture entre les centres de la représentation de l’acte et les centres sensori-moteurs d’exécution) et l’apraxie idéatoire (atteinte de la conception même de l’acte).

Cette classification n’est plus admise que partiellement et ses frontières s’avèrent incertaines. D’après des observations purement cliniques, on distingue aujourd’hui 4 variétés d’apraxie :

1. Apraxie mélo-cinétique (ou innervatoire de Kleist). – C’est la variété la plus proche du trouble paralytique ou ataxique; aussi reste-t-elle discutée en tant qu’apraxie. Elle consiste dans l’incapacité d’exécution des mouvements fins (pianoter, donner une chiquenaude): le geste est amputé ou grossièrement réalisé avec imprécision et adjonction de mouvements inutiles. Mais la représentation mentale est intacte. I1 n’y a pas de phénomènes de persévération. Elle est habituellement localisée à la main ou même aux premiers doigts et constitue souvent l’ultime séquelle d’une parésie, à une phase où plus aucun déficit pyramidal n’est décelable.

Localisation : Kleist indique la précentrale intermédiaire (6 a-6 6) droite ou gauche.

2. Apraxie idéo-molrice. – Le trouble porte sur l’exécution du geste, qu’il soit fin ou même simple et grossier (fermer le poing, montrer son nez, tirer la langue): au commandement, le sujet renonce complètement à ébaucher le geste, déclarant qu’il ne sait pas; ou bien il exécute des mouvements diffus sans atteindre le but; ou encore il produit un autre geste familier.

On constate des phénomènes de persévération avec intoxication par un geste. Ici, comme dans les aphasies, on retrouve la dissociation des troubles selon les divers usages des gestes: gestes automatico-réflexes (se gratter), gestes liés à l’expression des émotions, gestes anciennement appris et quasi automatisés (se moucher, signe de croix), sont bien conservés quand ils sont exécutés dans leur contexte habituel. Le trouble est d’autant plus marqué que le geste est plus volontaire, plus adapté à une situation originale. C’est ainsi que des gestes produits spontanément ne pourront pas être reproduits sur commande.

Cette apraxie peut se présenter sous des formes spécialisées, localisées à un groupe musculaire fonctionnel déterminé: apraxie manuelle, apraxie bucco-faciale. Cette dernière se trouve souvent associée à l’anarthrie.

Localisation : l’apraxie idéo-motrice peut être unilatérale gauche; elle se trouve alors associée, soit à une hémiplégie droite avec aphasie: lésion pariétale gauche; soit à une monoplégie crurale droite ou gauche: lésion du corps calleux, par ramollissement de l’artère cérébrale antérieure droite ou gauche. Quand elle est bilatérale, elle est accompagnée d’une aphasie de Wernicke assez superficielle, avec alexie, hémianopsie latérale homonyme droite, troubles sensitifs et somatognosiques: lésion centrée sur le lobule supramarginal gauche (champ 40 de Brodmann) (le type en est le ramollissement pariéto-pli-courbe de Ch. Foix).

3. Apraxie idéaloire. – II s’agit ici d’une atteinte intéressant bien plutôt l’appréhension, le «vecteur d’intellection» du but à atteindre, au moment de l’exécution. La cinétique élémentaire est intacte. Les gestes simples sont correctement produits. Mais, dans un geste un peu complexe, utilisant un ou plusieurs objets et nécessitant 1’enchainement harmonieux de divers mouvements (par ex. allumer une cigarette), on assiste à des confusions d’objets, des interversions dans les étapes successives, des arrêts à mi-chemin dans l’exécution, comme si le but final avait été perdu de vue.

Avec Morlaas, on doit admettre dans cette variété des éléments d’ordre agnosique: le sujet ne dispose plus du «schéma intentionnel» que suscite normalement la vue et le maniement d’un objet et qui sert de vecteur à l’enchaînement des gestes adéquats: c’est une apractoagnosie d’utilisation. Il ne faut pas oublier, pour comprendre la difficulté d’étude de ces cas rares, que l’apraxie idéatoire se trouve toujours associée à une aphasie de Wernicke profonde, avec hémianopsie latérale homonyme droite et hémiparésie droite plus ou moins marquées.

Localisation : pli courbe gauche (champ 39 de Brodmann). Dans les lésions vasculaires, c’est le ramollissement temporo-pli-courbe qui réalise l’apraxie idéatoire (Ch. Foix).

4. Apraxie construdiue (ou apraxie optique). – Kleist a isolé une variété d’apraxie où le trouble atteint la réalisation des formes concrétisées dans l’espace: dessins, constructions.

Dans le dessin, on est frappé par l’anarchie et l’incohérence des lignes: superpositions, erreurs angulaires, localisations relatives erronées.

Dans la construction (sur un plan avec des allumettes, puzzles, jeux de construction des enfants), mêmes incohérences et entassements. En présence d’un modèle (dessin ou construction), le sujet présente le curieux phénomène du « closing-in » (Mayer-Gross) : il ne peut se détacher du modèle, y accumule ses gribouillages ou y entasse ses pièces de construction, sans pouvoir réaliser une ébauche de copie à côté du modèle.

L’apraxie constructive n’est, elle aussi, qu’un aspect de perturbations gnosiques plus étendues intéressant l’orientation spatiale et le schéma corporel: troubles somatognosiques, indistinction droite-gauche, agnosie digitale, agraphie, acalculie. Ce tableau porte le nom de syndrome de Gertsmann.

Localisation: zone de transition entre le pli courbe et 02 (champ 39 et 19) de l’hémisphère gauche.

En conclusion, il faut bien admettre que les apraxies ne sont que des aspects partiels de dissolutions compromettant simultanément des fonctions gnosiques (notamment spatiales et somatiques) et des mécanismes sous-tendant la pensée symbolique et le langage.

Th. Kammerer.

Voir aussi :

Ce qui distingue un homme sain d’un aliéné, c’est précisément que l’homme sain a toutes les maladies mentales, et que l’aliéné n’en a qu’une. » – Robert von Musil (écrivain autrichien). Image : © Megan Jorgensen.
Ce qui distingue un homme sain d’un aliéné, c’est précisément que l’homme sain a toutes les maladies mentales, et que l’aliéné n’en a qu’une. » – Robert von Musil (écrivain autrichien). Image : © Megan Jorgensen.

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