Anxiété, Angoisse en psychiatrie
Toutes les définitions de l’anxiété peuvent se ramener à 3 conditions essentielles :
- le sentiment de l’imminence d’un danger, mais d’un danger indéterminé, à venir. Ce sentiment s’accompagne d’élaboration de fantasmes tragiques amplifiant toutes les images à la proportion d’un drame ;
- L’attitude d’attente devant le danger, véritable état d’alerte envahissant le sujet tout entier et le tendant, «toutes affaires cessantes», vers cette catastrophe immédiate ;
- Le désarroi, c’est-à-dire la conviction de l’impuissance absolue et le sentiment de la désorganisation et de l’anéantissement devant le danger.
Cet état affectif caractéristique comporte des réactions neurovégétatives: striction respiratoire et cardiaque, dyspnée, accélération ou ralentissement du pouls, pâleur, relâchement de toute la musculature faciale ou, au contraire, contractions violentes des frontaux et des peauciers du cou (œil hagard, bouche entr’ouverte, commissures tirées vers le bas, sécheresse de la bouche, sueurs, etc.). Ces réactions sont communes à celles que mobilisent des émotions actuelles et justifiées et que les auteurs américains désignent sous le nom de «stress».
On leur donne généralement ici le nom d’angoisse. Cette distinction de l’anxiété et de l’angoisse, l’une d’ordre psychique, l’autre somatique, est communément admise depuis Brissaud (1890), qui situait dans le bulbe le centre des réactions vago-sympathiques de l’angoisse. Bien qu’il soit difficile de maintenir une limite aussi rigoureuse et artificielle, on peut cependant reconnaître des états anxieux intéressant tout notre être moral, qui sont vécus et pensés comme le plus intime de nous-mêmes, sans possibilité d’en prendre recul comme d’un objet; et d’autre part, des états d’angoisse plus élémentaires, plus périphériques, plutôt vécus que pensés, plus physiques que moraux, et se présentant comme des objets d’angoisse.
Il est un problème plus délicat encore, c’est celui du caractère normal ou morbide de l’anxiété. Avec J. Boutonier, on peut dire qu’il existe une anxiété normale qui se situe sur le chemin de la vie et de la liberté et qui caractérise l’aventure humaine chaque fois qu’elle se risque vers un renouvellement. Cette anxiété exerce une fonction stimulante, elle suscite une activité d’adaptation coordonnée et adéquate. L’anxiété pathologique, au contraire, se développe sous le signe des instincts de destruction: elle stérilise la vie et tend à l’anéantissement.
L`anxiété en clinique: – L’anxiété est l’un des éléments fondamentaux de la pathologie mentale. Qu’elle se présente au premier plan comme une cause déterminante ou qu’elle ne soit qu’une manifestation secondaire, elle est presque toujours présente dans les grandes crises évolutives de la personnalité morbide.
Avec Henri EY, on peut distinguer, d’une part, les crises d’anxiété paroxystique, d’autre part, la structure anxieuse, telle qu’elle se rencontre à la base de l’organisation de certaines psychoses et névroses.
1) Les crises anxieuses peuvent revêtir divers aspects: stupeur, agitation, onirisme confusionnel, perplexité. Elles surviennent au cours des états confusionnels (dits alors états confuso-anxieux), dans les psychoses périodiques (mélancolie anxieuse surtout), dans certains épisodes épileptiques (auras, états crépusculaires), dans les phases de début des états schizophréniques et démentiels. Ce sont parfois des raptus aigus très dramatiques qui, pris isolément, ne permettent pas le diagnostic de la psychose sous-jacente: seul le tassement de l’anxiété en laissera apparaître la structure.
2) La structure anxieuse peut être le trait dominant et fondamental de certaines personnalités morbides. Ce sont d’abord toutes les variétés de névroses d’angoisse et d’anxiétés constitutionnelles (de pathogénie indéfiniment discutée): elles ont en commun les stigmates décrits par Dupré, sous le nom de «constitution émotive» et aussi la Selbstunsicherheit («auto-insécurité»), de Kurt Schneider. On y rencontre les neurasthéniques, les hypocondriaques et les cénesthopathes, les obsédés et les phobiques.
Mais l’anxiété est également à la base de la pensée délirante qu’elle alimente et attise, les constructions délirantes et les comportements psychotiques n’étant, souvent, que des procédés de compensation de l’anxiété. Il en est ainsi de la paranoïa interprétative ou hallucinatoire, de certaines formes de schizophrénie.
3) II est des affections organiques génératrices d’angoisse, sans qu’aucun conflit, aucune prédisposition psychique ne soient en cause: à côté de l’angine de poitrine, signalons toutes les crises spasmodiques ou occlusives des viscères abdominaux, ainsi que l’asthme.
Certaines atteintes aiguës et générales de l’organisme s’accompagnant d’une angoisse de mauvais aloi: septicémies, syndromes malins de la diphtérie et de la scarlatine. L’hyperthyroïdie, l’hypoglycémie déterminent des réactions anxieuses par leur action sur le système neurovégétatif. L’angoisse vestibulaire, décrite par Barre, est vraisemblablement due à la perturbation de toute la cénesthésie par l’atteinte de l’équilibration. Enfin, l’angoisse peut être déterminée par des lésions du système nerveux central: compressions bulbaires, tumeurs cérébrales, encéphalites, lésions diencéphaliques.
Théories pathogéniques – Étant donné le fait que l’anxiété intéresse toujours plus ou moins l’être entier, corps et âme, il faut s’attendre à ce que les diverses écoles disputent de sa pathogénie selon leurs positions philosophiques. Nous ne pouvons que citer les plus importantes actuellement :
1) Théories mécanicistes et somalogénistes. – A la suite des théories de Brissaud, reprises plus tard par Francis Hekel (1917), le rôle du système vago-sympathique dans la genèse de l’angoisse somatique s’est trouvé bien établi. De là à penser que l’anxiété n’en était que l’épi-phénornène psychique, il n’y avait qu’un pas, surtout après la théorie périphérique des émotions de James et Lange.
Actuellement beaucoup de psychiatres pensent que l’anxiété est produite par un processus mésodiencéphalique (Dupré, Kleist, Kurt Schneider). Tout récemment, Guiraud a souligné encore le rôle primordial joué par les centres diencéphaliques (hypersensibilité innée et héréditaire, infections neurotropes et intoxications de l’enfance) ; il ne nie pas la possibilité d’une origine conflictuelle, mais la réserve à des cas exceptionnels.
2) Théories psychanalytiques. – La pensée de Freud, résolument psychogéniste, s’est appliquée à l’inverse des théories précédentes, à expliquer l’angoisse somatique par l’anxiété. Tout d’abord, il admettait que l’anxiété naissait de la frustration de la libido, frustration dont le prototype était la séparation de la mère à la naissance et dont toutes les modalités ultérieures se ramenaient en définitive à la perte de l’objet aimé.
Plus tard, Freud attribua le rôle essentiel, non plus à la frustration, mais à l’action du Sur-moi chargé de contrôler les exigences de la libido, de menacer et de punir en cas d’infraction. C’est cette menace qui est génératrice de l’anxiété. Le prototype en est le complexe de castration.
3) Théorie organo-dynamiste de Henri Ey. – Dans la perspective du néo-jacksonisme, Ey considère d’une part que l’angoisse somatique d’origine organique, exprimant la souffrance du système végétatif, est une atteinte neurologique localisée; il l’oppose, d’autre part, aux formes névrotiques et psychotiques de l’anxiété qui seraient conditionnées par des processus organiques de dissolution: l’anxiété apparaît quand sont désorganisées les fonctions d’intégrations qui coordonnent les instances anarchiques des pulsions instinctuelles et des émotions. Cette anxiété existe donc, virtuellement au moins, en tout être; la maladie ne la crée pas, mais la révèle en désintégrant la personnalité.
Médecine légale: – Le suicide est le fait de nombreux anxieux (mélancoliques, confus, névrosés graves, etc.). Nous avons vu le tour tragique de l’angoisse paroxystique et le rôle qu’y jouent les instincts de destruction.
L’auto-mutilalion n’est qu’une forme réduite de la même tendance, avec parfois cependant une valeur punitive (mutilations génitales).
La fugue est plutôt une réaction de la peur que de l’anxiété. Alors que dans la peur, elle peut être un comportement relativement adéquat, visant à soustraire le sujet à la situation terrifiante, dans l’angoisse elle n’a plus aucune valeur intentionnelle et ne peut être qu’une conduite symbolique.
On signale également des vols au cours de raptus anxieux: ils comportent une signification qui dépasse le fait de l’angoisse elle-même.
Thérapeutique : – Les états aigus anxieux constituent une fraction importante des urgences psychiatriques. En raison des possibilités de réactions dangereuses, une hospitalisation dans un service spécialisé est presque toujours nécessaire. Mais avant même de procéder au transfert du malade, il est parfois indispensable de recourir immédiatement à une thérapeutique sédative: la formule la plus efficace est celle du Sédol ou mieux encore celle du mélange : Morphine = 1 cg ; Scopolamine = 1 mg. Le somnifère intraveineux (5 ce), ou les anesthésiques de narcose (Penthotal, Nesdonal, Privènal), ont une action rapide, mais non sans danger (apnée, complications pulmonaires).
Quand un raptus anxieux survient dans un établissement spécialisé. L’électrochoc est certainement le moyen le plus radical; c’est précisément dans les psychoses anxieuses qu’il trouve son indication la plus sûre.
Les structures anxieuses permanentes des névroses résistent presque toujours aux électrochocs. Elles peuvent être apaisées, passagèrement au moins par le Laudanum de Sydenham (en gouttes per os) ou les sédatifs à base de barbituriques, de bromure ou de calcium. Quand on a de bonnes raisons de leur supposer une origine conflictuelle et que les conditions psychologiques du sujet sont favorables, elles sont justiciables de la psychanalyse.
Mais il est des cas désespérés où l’anxiété résiste à tous ces moyens. Quand elle est véritablement grave au point de paralyser totalement l’existence du sujet, on est autorisé à envisager la leucotomie.
Esthésie
Synonyme de sensorialité ; désignant l’originalité de la perception d’un objet par opposition à son image mentale. L’esthésie est une notion qui sert à caractériser la qualité de l’hallucination et de l’illusion; l’hallucinose (au sens de Claude, Lhermitte et Van Bogaert), par exemple, est une illusion où l’esthésie est maximale, c’est-à-dire que le sujet éprouve la perception d’un objet tout en étant conscient de l’inexistence de cet objet, et en reconnaissant donc son illusion.
Th. Kammerer.

Compensation
La compensation affective est le processus psychique inconscient en vertu duquel une souffrance intime, telle que l’obscur sentiment d’infériorité, de culpabilité (ou, plus généralement, de menace à la valeur personnelle) se soulage ou se détend par une recherche supplétive de jouissance ou de satisfaction. Ainsi, certains « délires de compensation » rehaussent le sujet en l’exaltant par la survaleur qu’ils lui confèrent, et ainsi le consolent de la frustration pénible qu’il a éprouvée de certains échecs insurmontables de sa vie personnelle.
Névrose d’angoisse
L’angoisse peut, par l’importance qu’elle revêt parfois au premier plan du tableau clinique, caractériser à elle seule une névrose, dite névrose anxieuse.
Son type clinique parfait est la névrose d’angoisse, décrite par Pitres et Regis, isolé par Freud, précisé cliniquement par Devaux et Logre, Hartenberg, etc. La symptomatologie très variable, d’après la localisation des irradiations émotionnelles et neurovégétatives, est centrée sur l’angoisse, émotion caractérisée par l’idée d’un danger à venir, par l’attente d’une catastrophe imaginaire, physique et morale, tout à la fois. C’est selon le degré : le simple malaise moral avec « idées noires », l’inquiétude, l’anxiété, la grande angoisse terrifiante.
Cette névrose procède soit par crises, souvent soudaines et raptus, laissant le malade brisé et redoutant la mort subite, la folie, l’abolition de ses moyens d’existence ou de sa vie sociale, soit par périodes prolongées d’hyperémotivité, sans cause extérieure, évoluant souvent vers un état habituel d’inquiétude, sinon d’affolement avec besoin d’assistance et de protection qui le fait courir de médecin en médecin porteur d’un dossier médical volumineux.
« L’angoisse est le vertige de la liberté. » (Sören Kierkegaard, philosophe danois, né en 1813 et décédé en 1855, Le concept d’angoisse). Image : © Megan Jorgensen (Elena)
Crises d’angoisse et inquiétude habituelle ont un aspect somatique constant de retentissement neurovégétatif, de formule le plus souvent sympathicotonique, parfois vagotonique ou amphotonique : troubles vaso-moteurs (rongeur, pâleur) ; sécrétoire (sécheresse des muqueuses, sueurs) ; musculaires stries (spasmes viscéraux, digestifs notamment, horripilation) gêne respiratoire, troubles du rythme cardiaque (palpitations, tachy- ou bracycardie, extrasystoles, sensations angineuses), dystonie digestive (atonie gastrique, syndrome solaire, constipation), tremblement émotif et enfin asthénie générale par surmenage émotionnel. La crise subite d’angoisse se termine souvent par une polyurie d’urines claires.
Lorsque les troubles viscéraux sont plus ou moins localisés, les malades deviennent de faux cardiaques, de faux gastriques, etc., et fréquemment méconnus, sont nombreux dans la clientèle de tout praticien.
L’incompréhension qui pousse le médecin à leur répéter que « c’est nerveux » et à faire appel à leur volonté ou, à plus forte raison, à les taxer de « malades imaginaires, entretient et cultive leur névrose en les décourageant et en les rendant honteux de leur mal, très réel malgré sa subjectivité.
A. Hesnard
À lire aussi :