Antibiotiques en psychiatrie
L’emploi des antibiotiques n’a pas seulement modifié l’allure de certaines manifestations cliniques, mais encore a pu créer artificiellement des modifications du psychisme des malades.
On peut noter, assez souvent, chez les malades qui reçoivent de la streptomycine des troubles discrets : dépression ou euphorie, ralentissement intellectuel, baisse de l’attention, dysmnésie. Cependant, il existe aussi de véritables encéphalopathies streptomyciniques.
Nous avons pu rassembler, par ailleurs, d’assez nombreux documents permettant d’accorder un rôle analogue, quoique plus rare et moins dramatique, à l’isoniazide. On connaît bien maintenant l’action euphorisante incontestable de cette médication sur le psychisme des tuberculeux. Dans certains cas, elle peut être responsable de troubles discrets de type hypomaniaque, sans gravité réelle. Les troubles plus accusés, moins fréquents, prennent généralement le type maniaque plus ou moins franc, avec excitation psychomotrice, ou le type confusionnel, avec ou sans onirisme; plus rarement, il s’agit de manifestations dépressives ou catatoniques; l’isoniazide est sans doute responsable aussi de certaines complications confuso-oniriques postopératoires.
Plus récemment, enfin, nous avons étudié les troubles psychiques provoqués par l’usage de la cyclosérine. Ils sont généralement bénins et mineurs (céphalées, vertiges, troubles du sommeil), peuvent être plus graves (crises convulsives, agitation maniaque, délire), et surviennent dans un cinquième des cas traités environ. On relève assez fréquemment chez ces malades des antécédents psychopathologiques et éthyliques.
La fréquence exacte de ces troubles est impossible à fixer. Toutefois, on peut raisonnablement estimer qu’ils sont très rares et sans gravité réelle. Ils ne sauraient être mis en balance avec les avantages de la médication; l’administration parallèle d’acide glutamique et de vitamine B6, de méprobamate, permet d’ailleurs de réduire encore plus les risques d’accidents.
Le mécanisme de tous ces troubles paraît assez difficile à élucider et l’on doit se contenter d’émettre des hypothèses.
La sensibilité du système nerveux aux antibiotiques ne saurait être mise en doute. Les examens électroencéphalographiques de malades traités ne présentant apparemment aucun trouble neuropsychique ont montré l’existence de modifications discrètes au cours du traitement par les antibiotiques. Le caractère clinique des symptômes laisse penser que ce sont les centres sous-corticaux qui sont le plus souvent touchés et, plus particulièrement en ce qui concerne l’isoniazide, les centres diencéphalo-hypophysaires.
Le mode d’action est déjà plus difficile à préciser. L’hypothèse apparemment la plus logique est celle d’une origine toxique. La majorité des troubles observés ont une allure clinique manifestement toxique (convulsions brutales ou états d’excitation hypomaniaque par exemple). D’autre part, les accidents surviennent avec élection chez des sujets prédisposés par des épisodes psychopathiques antérieurs ou par une autre intoxication, alcoolique le plus sou¬vent.
La bénignité habituelle et le caractère généralement récessif des troubles, lorsque la médication est suspendue, plaident encore en faveur de cette origine toxique.
Personnellement, nous pensons que c’est l’hypothèse d’une réaction toxi-allergique encéphalique qui paraît, dans la grande majorité des cas, la plus probable et la plus féconde. Une action toxique ne saurait tout expliquer car ni les doses, ni les modalités d’administration ne paraissent avoir d’influence déterminante.
Sur le plan clinique, d’autres manifestations allergiques, telles que purpura cutané ou pétéchies cérébrales (isoniazide), réactions cutanées de type inflammatoire parallèles à l’aggravation des lésions nerveuses latentes chez les tuberculeux (cyclosérine), semblent confirmer cette hypothèse.
Traitement des troubles “psychiques non tuberculeux par les antibiotiques. – L’efficacité des antibiotiques contre les manifestations tuberculeuses générales devait obligatoirement inciter à les utiliser contre les troubles psychiques imputés à la tuberculose. Leurs effets secondaires pouvaient également laisser espérer une action efficace sur certains troubles mentaux non tuberculeux.
On sait par ailleurs que le peu de spécificité des manifestations psychiques de la tuberculose, ainsi que nous l’avons dit, permet rarement d’en affirmer l’étiologie avec certitude. Dans certains cas, cette étiologie est possible (psychoses primitives cryptogénétiques d’Hyvert, schizophrénie); dans d’autres, elle est très probable (confusion mentale chez les tuberculeux, certaines formes de psychoneurasthénie). En l’absence de critères cliniques ou évolutifs certains, on conçoit aisément l’intérêt, sur le plan nosologique, des observations dans lesquelles des troubles mentaux survenus chez des tuberculeux sont nettement guéris par les antibiotiques.
Il n’est pas jusqu’aux troubles mentaux non tuberculeux que l’on n’ait essayé de guérir grâce à certains effets secondaires des antibiotiques. La streptomycine a été employée contre les psychoses collibacillaires, l’isoniazide dans l’anorexie mentale en raison de son action sur l’appétit; l’isoniazide encore et la cyclosérine en raison de leurs effets euphorisants dans les états dépressifs. Dans l’ensemble, nos résultats personnels, comme ceux de la plupart des auteurs, ont été plutôt décevants.
Maurice POROT.
Auto-intoxication
La doctrine de l’auto-intoxication a connu une grande faveur il y a un demi-siècle en pathologie générale (BOUCHARD et son école). Avec REGIS, elle avait trouvé son application en psychiatrie. Elle servait à expliquer tous les troubles mentaux observés dans les maladies de la nutrition, dans les affections hépatiques, rénales, digestives; on y ajoutait même les troubles gravidiques et les désordres endocriniens.
Le mérite de REGIS est d’avoir unifié tous ces troubles dans un syndrome expressif commun: la confusion mentale et ses différents aspects. Mais les problèmes de pathologie générale ont sensiblement évolué depuis et si les expressions cliniques subsistent, les déterminismes pathogéniques ne peuvent être ramenés à une formule aussi simpliste.
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