Agitation en psychiatrie
L’agitation est essentiellement une forme de comportement. C’est l’expression motrice, plus ou moins turbulente et désordonnée, qui réalise en actes dépourvus de plan réfléchi, des pulsions instinctives ou affectives variables selon les circonstances pathologiques où on l’observe.
De là les différents aspects qu’elle revêt en clinique. Selon la profondeur de l’altération psychique conditionnante et son intensité, on peut distinguer schématiquement plusieurs degrés d’agitation.
Dans les formes légères ou discrètes, les actes de l’agité demeurent assez cohérents pour paraître motivés. Seule leur exagération traduit l’émancipation, la libération du contrôle de la volonté.
A un degré de plus, l’exécution des mouvements, le jeu de la mimique sont brusques et inadéquats. Ils sont assimilables à une «véritable convulsion motrice répétant des mouvements antérieurement appris» (Sollier et Courbon).
Dans les formes les plus accentuées, toute coordination semble faire défaut. Ce sont des secousses, des spasmes, des grimaces, des ébauches d’actes avortés, des mouvements parcellaires d’exécution défectueuse survenant inopinément et sans suite.
Ces comportements traduisent toujours une dissolution psychique dont ils sont l’un des symptômes positifs, parfois suffisamment caractéristique pour permettre un diagnostic de probabilité avant toute analyse mentale proprement dite.
Des recherches récentes (Sem-Jacobsen et coll., 1956) semblent montrer que l’agitation répond sur le plan de l’E.E.G. à des décharges d’ondes lentes et parfois de foyers de pointes en dehors même de toute référence à l’épilepsie.
Certaines dissolutions neurologiques comportent des épisodes moteurs de forme et de rythme variables telles les secousses localisées des convulsions bravais-jacksonniennes, les trémulations et les pulsions paradoxales de la maladie de Parkinson ancienne paralysie agitante). Telles les manifestations plus ou moins compliquées des tics, les gesticulations imprévues des diverses chorées aiguës (type Sydenham) ou chroniques (type Huntington), les contorsions de l’athétose, du paramyoclonus multiplex, la tasikinésie du syndrome des neuroleptiques, etc.
Encore que dans de nombreux cas équilibre mental soit souvent altéré et qu’il existe au moins une certaine fragilité émotionnelle dont l’influence aggravante sur l’éclosion, la fréquence et l’ampleur des mouvements involontaires est bien connue, a états doivent être distingués de la véritable agitation. Celle-ci est plus spécialement l’apanage de multiples dissolutions psychiques où elle répond à des mécanismes variés. Elle est liée d’autre part à l’intensité de l’excitation qui peut accompagner le déficit et parfois même le conditionne.
Dans les délires chroniques (sous l’influence par exemple des exaspérations passionnelles ou des moments féconds hallucinatoires), au cours des bouffées délirantes polymorphes, dans certains états émotionnels purs à la limite du pathologique, l’agitation peut garder une systématisation exprimant la décharge agressive, la lutte défensive ou la fuite devant le danger, réalisée quelquefois paradoxalement par un suicide.
Certaines douleurs physiques (névralgies, douleurs des cancéreux, causalgie, coliques néphrétiques, etc.) s’accompagnent d’une agitation déjà moins structurée, bien que la dissolution psychique y soit faible ou nulle et que l’excitation porte sur des zones d’intégration plus sensitives que mentales. L’agitation appartient dans ces cas au langage expressionnel le plus primitif. Il en va d’ailleurs de même dans l’angoisse pure.
La classique «crise de nerfs» occupe une place à part. L’allure incongrue et inadaptée de l’agitation y est la traduction littérale du désarroi de l’individu à qui échappe la maîtrise d’une situation et qui tend, plus ou moins inconsciemment, à ressaisir par ce moyen spectaculaire son empire sur les autres. Elle est la vocation des hyperémotifs faibles ou pusillanimes et des sujets mal équipés intellectuellement pour répondre à l’événement contrariant par l’acte approprié. On en dirait autant de la crise hystérique en dépit du caractère plus évolué de ses manifestations extérieures.
L’impulsivité constitutionnelle, l’ivresse simple, la manie aiguë semblent déjà conditionnées par un plus grand déficit des inhibitions volontaires: nous les retrouverons à propos de l’excitation.
Mais c’est surtout dans les états confusionnels que l’agitation, souvent tumultueuse, est significative d’une activité libérée des contrôles pragmatiques et traduit les réponses fragmentaires aux excitations chaotiques de l’onirisme. Certains paroxysmes comitiaux de type psychomoteur ont une allure encore plus franche d’automatisme et peuvent présenter des difficultés diagnostiques réelles avec leur agitation parfois opiniâtre quand elle prend des apparences intentionnelles (agressivité par exemple).
Il est des comateux agités (traumatisés du crâne en particulier) dont on peut rapprocher le comportement de celui des grands confus.
Enfin l’agitation s’observe au cours des états déficitaires constitutionnels ou acquis.
La turbulence motrice de l’idiot est typique avec ses cris soudains, ses rires niais, ses gestes élastiques absurdes, ses sautillements, ses mouvements de manège, tous actes qui peuvent se prolonger sans que le sujet s’en laisse distraire ou qui sont remplacés sans transition par une autre activité tout aussi insolite. L’imbécile, le simple débile sont moins habituellement enclins à l’agitation ; quand celle-ci survient, c’est une agitation de type émotionnel (v. plus haut), mais amplifiée dans ses manifestations et généralement plus prolongée que de raison.
L’agitation qui, épisodiquement, traverse les états démentiels, revêt des aspects variables.
Quand le déficit est profond, c’est un «véritable délire des actes» (Sollier et Courbon) où l’excitation physique se montre incohérente. Les malades vont, viennent, se déshabillent, barbouillent, rient, pleurent, menacent ou font des pitreries ou des tentatives de suicide sans se dissimuler. Le plus souvent, l’agitation est toute relative, simple turbulence monotone, nocturne fréquemment, gestes stéréotypés, chantonnement puéril, etc. Tel est le type de la démence sénile simple où cependant la crise coléreuse immotivée n’est pas rare.
Dans la paralysie générale au début, l’agitation s’apparente tantôt à celle du maniaque, tantôt à celle du délirant halluciné ; dans les états déficitaires juvéniles, il faut décrire surtout l’agitation catatonique survenant par accès brusques et plus ou moins durables alternant volontiers sans transition avec l’inertie ou la rigidité de statue et qui peut être parfois dangereuse par la soudaineté d’exécution d’actes nocifs prenant l’entourage au dépourvu. Dans la même série pathologique, la petite agitation bizarre, stéréotypée, maniérée présente une indiscutable valeur diagnostique.
L’agitation peut être la source de faits médico-légaux de toute nature (dommages matériels, attentats contre les personnes), mais soulève rarement de problèmes d’interprétation difficile ; ses caractères pathologiques sont généralement aisés à mettre en évidence. Plus souvent, elle constitue un symptôme qui attire l’attention sur l’état du sujet et suscite des mesures de traitement.
Conduite à tenir : Dans chaque cas particulier, le diagnostic comportera la référence à un cadre nosologique déterminé et il s’ensuivra un plan général de traitement qui ne sera pas différé en raison de l’agitation.
Mais l’existence de celle-ci posera néanmoins des problèmes de «voies et moyens» qui ont toujours été l’une des principales servitudes de la thérapeutique psychiatrique.
S’agit-il d’agitation émotive, réactionnelle, de crise de nerfs, l’influence de l’entourage est presque toujours néfaste et aboutit même à la culture des manifestations pithiatiques. Si la famille est compréhensive et la réaction légère, on pourra temporiser quelques jours. Sinon, il faudra s’efforcer d’obtenir un isolement rigoureux dans un service spécialisé.
S’agit-il d’une agitation confusionnelle et délirante, l’hospitalisation est souvent indispensable, surtout s’il y a de la fièvre; mais, si le délire est léger, on pourra garder et soigner le malade chez lui à condition que soient prises toutes les précautions contre un raptus possible (fugue, défenestration). De petits moyens de contention seront passagèrement utiles (brassière, attaches de poignet). On prescrira du bromure de calcium en injections.
L’alcoolique agité, surtout dans une forme délirante, doit être hospitalisé en raison du danger qu’il peut courir pour lui-même ou faire courir aux autres à moins que les médications d’urgence fassent avorter l’accès.
Lorsqu’il s’agit d’un état maniaque ou d’une paralysie générale à forme expansive, seule l’hospitalisation va permettre les mesures de précaution et les thérapeutiques utiles. Il en va de même pour une épilepsie psychomotrice avec grande agitation.
Quelles que soient la nature ou la cause d’une grande agitation, le transport du malade à l’hôpital (général ou psychiatrique) ou en clinique pose au praticien des problèmes matériels souvent délicats. De toute manière, il n’est plus question aujourd’hui de passer au malade la « camisole de force » qui ne l’a jamais empêché de pousser des hurlements pendant son transfert. Le médecin aura systématiquement recours à l’injection intraveineuse d’un hypnotique puissant et maniable tel que l’èthyl-méthyl-butyl barbiturate de sodium (nembutal): en pratique 30 mg par 10 kg de poids suffisent pour une narcose immédiate et d’une durée de quelques heures. L’injection peut être réalisée en faisant immobiliser quelques minutes le sujet par deux ou trois aides vigoureux et bien entraînés à cette technique.
Quant au traitement hospitalier des grandes agitations, il a répudié depuis longtemps la grande douche froide, le bain chaud prolongé et le maillot de contention, voire la classique camisole et les ceintures.
L’isolement absolu et continu n’a plus lui-même qu’une valeur accessoire ; on ne l’emploie guère que par courtes périodes. L’avènement récent d’une abondante chimiothérapie résout presque tous les problèmes avec les nuances nécessaires.
L’alitement et la cure de sommeil sont opposés avec succès aux agitations de la manie aiguë, de la catatonie, aux raptus anxieux : la durée en varie seulement avec chaque cas particulier. Les barbituriques nouveaux et les hypnotiques de faible toxicité constituent la base de ces traitements avec ou sans l’aide de potentialisateurs et de procédés de « conditionnement ».
La cure peut être poursuivie ensuite avec les seuls neuroplégiques qui suffisent d’ailleurs dans un grand nombre de cas (v. Ier Congrès international de Neuro-psychopharmacologie, 1958).
Dans les agitations des psychoses réactionnelles ou des bouffées délirantes, même dans certaines confusions mentales agitées, dans le délire aigu, de bons résultats peuvent être enregistrés par les électrochocs plus ou moins rapprochés agissant par un effet de sommation. Ces techniques peuvent être combinées avec l’emploi des neuroplégiques (réserpine exceptée en principe).
N’oublions pas non plus que, dans certaines agitations accompagnées de troubles neurovégétatifs sérieux (delirium tremens, délire aigu ou aiguisé des états infectieux ou toxiques), la strychnothérapie intensive reste une arme précieuse.
Enfin, en présence de certaines formes tenaces d’agitation (démence précoce, mélancolie chronique, certains délires à contenu particulièrement obsédant et anxiogène), la neurochirurgie avec ses interventions sur les connexions frontothalamiques (leucotomie préfrontale surtout) est capable de procurer au malade le soulagement et d’amener le calme en faisant rétrocéder l’activité parasite.
Ch. Bardenat.
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