Affection en psychologie
Il est dans la nature des mammifères de toucher leurs petits, de les renifler, de les caresser, de les serrer contre leur corps, de faire leur toilette, de les aimer. Il semblerait qu’il s’agit d’un comportement tout à fait inconnu chez les reptiles. S’il est vrai que le système lymbique et le complexe R respectent une trêve incertaine à l’intérieur de notre crâne, tout en conservant leurs anciennes prédilections, on peut penser que l’affectueuse indulgence parentale encourage notre nature mammalienne, et que l’absence de témoignages physiques d’affection fait ressortir un comportement reptilien.
Nous avons des raisons de croire qu’il en est effectivement ainsi et lors d’expériences de laboratoire, Harry et Margaret Harlow ont remarqué que des singes élevés en cage et physiquement isolés – bien qu’ayant la possibilité de voir, d’entendre et de sentir leurs compagnons simiens –développement des comportements anormaux : repli sur soi, morosité, autodestruction…
On observe la même chose chez des enfants élevés sans témoignages physiques d’affection, dans des institutions publiques en particulier; ils en souffrent beaucoup.
Le neuropsychologue James W. Prescott s’est livré à une étonnante analyse statistique portant sur quatre cents sociétés préindustrielles de cultures différentes, et il a trouvé que celles où une affection physique était prodiguée aux tout-petits avaient tendance à éviter la violence. Cependant, les sociétés où ce comportement n’est pas de règle produisent tout de même des adultes non violents si l’activité sexuelle n’est pas réprimée chez les adolescents.
Prescott estime que les cultures qui prédisposent à la violence sont celles où les individus ont été privés – au moins à ces deux périodes critiques de la vie : l’enfance et l’adolescence – des plaisirs physiques.
Là où les marques corporelles d’affection sont encouragées, le vol, la religion organisée et l’étalage ostentatoire de richesse apparaissent peu; là où les enfants subissent des châtiments corporels, l’esclavage tend à s’imposer, les meurtres sont fréquents, ainsi que la torture et la mutilation d’ennemis; l’infériorité des femmes y est un principe, de même que la croyance en un ou plusieurs êtres surnaturels intervenant dans la vie quotidienne.
En fait, nous ne comprenons pas assez bien le comportement humain pour être certains des mécanismes qui sous-tendent ce genre d’attitudes, nous en sommes réduits à des conjectures. Pourtant les corrélations restent significatives. Prescott dit : Une société qui témoigne de l’affection physique aux tout jeunes enfants et de la tolérance à l’égard du comportement sexuel prémarital n’a que 2% de chances de devenir physiquement violente. La probabilité qu’une telle corrélation soit due au hasard est de 1/125000. Je ne connais aucune variable qui possède à un si haut degré une valeur de prédiction ». Les bébés ont soif d’affection physique; les adolescents sont fortement enclins à l’activité sexuelle. Si les jeunes avaient leur mot à dire, peut-être se développeraient-il des sociétés dans lesquelles les adultes se montreraient peu tolérants à l’égard de l’agressivité, de l’obsession pour chacun de délimiter leur territoire, du sens de la hiérarchie (bien qu’en grandissant les enfants puissent adopter ces comportements reptiliens). Si Prescott a raison, maltraiter les enfants et réprimer la sexualité sont des crimes. Mais cette thèse hardie demande visiblement un complément d’étude.

Féminisation du lézard
Le Lepidodactylus lugubris est un petit lézard de la famille des geckos qu’on trouve aux Philippines, en Australie et dans les îles du Pacifique. Or, il arrive que cet animal soit aspiré par des typhones et retombe sur des petites îles désertes. Lorsqu’il s’agit d’un mâle, cela n’entraîne aucune répercussion, il meurt et l’espèce disparaît de l’île.
Mais lorsqu’il s’agit d’une femelle, une adaptation bizarre se met en place qu’aucun scientifique n’a pu expliquer. Alors que le Lepidodactylus lugubris est un animal fonctionnant sur l’union mâle – femelle, donc hétérosexuelle, la femelle atterrissant et se retrouvant seule sur l’île va connaître une modification de son mode de reproduction.
Tout son organisme se métamorphose afin de pouvoir pondre des œufs non fécondés et contenant pourtant des fœtus.
Les petits lézards issus de cette parthénogenèse (enfantement sans aide de partenaire) sont tous des femelles. Et ces dernières vont acquérir automatiquement la capacité de pondre seules de la même manière, sans l’aide de la fertilisation d’un mâle. Encore plus étonnant: les femelles issues de la première mère ne sont pas des clones, il se passe un phénomène dit de méiose qui permet un brassage génétique assurant des caractères différents pour chaque petite femelle pondue. Si bien qu’au bout de quelques années, l’île se retrouve colonisée par une population de lézards Lepidodactylus lugubris uniquement féminine. Il n’y a pas de tares. Elles sont toutes parfaitement saines et diversifiés en taille et en couleur de peau.
Nota : Un autre cas de parthénogenèse spontanée a été détecté récemment chez le requin. On a répertorié plusieurs cas de femelles requins (notamment une femelle requin tigre enfermée seule dans l’aquarium d’un hôtel de Dubaï en 2012) qui se sont mises à enfanter sans avoir jamais rencontré le moindre partenaire. Cette capacité à se reproduire seuls explique probablement que les requins aient survécu quatre cents millions d’années là où les autres espèces, incapables d’une telle mutation, ont disparu.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, Tome VII. Bernard Werber, Troisième Humanité. Éditions Albin Michel et Bernard Werber, Paris, 2012.
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