Adolescence en psychiatrie
L’adolescence est cette période de la vie qui succède à l’enfance et s’étend jusqu’à l’âge adulte. Son début est marqué par la puberté, mais l’apparition de ce phénomène biologique n’est que le commencement d’un processus continu et plus général (évolution pubérale) sur le double plan somatique et psychique et qui va se poursuivre jusqu’à la formation complète de l’adulte.
On peut fixer le début de l’adolescence chez la jeune fille vers l’âge de 12 ans (premières règles) et sa fin au moment de la nubilité (18 ans); pour le garçon, elle se situe de 14 à 20 ans. Ces limites varient, du reste, dans une certaine mesure suivant les climats, les races et surtout les milieux sociaux qui peuvent imposer des adaptions de la vie, précoces ou retardées.
L’étude de l’adolescence a suscité, depuis la fin du dernier siècle, de nombreux travaux, les uns de pur psychologie, les autres de biotypologie et d’endocrinologie, d’autres enfin sur les troubles névrosiques et caractériels, si fréquents à cet âge, susceptibles d’engager l’avenir mental et social du sujet ; certaines psychoses vraies et évolutives se font jour enfin souvent à cette période.
1. L’évolution psychologique de l’adolescent. – L’adolescence a suscité, sur le plan psychologique, des travaux intéressants parmi lesquels il convient de citer à l’étranger : Bunham, Stanley Hall (1905) et en France : Mendousse et Maurice Debesse.
On a donné le nom d’hébélogie à ces études sur l’adolescence. On a dit que si l’enfance représentait l’aube candide une et simple, l’adolescence pouvait être considérée comme l’ « aurore de l’homme », avec ses couleurs violentes, éclatantes et changeantes. L’adolescence représente, en effet, un mouvement évolutif en continuel développement et en transformation incessantes, ce qui rend difficile son étude statique. Mais on peut du moins indique les grandes caractéristiques et les principales perspectives de cette évolution.
Les élans du cœur et de l’esprit, qui se font parallèlement à celui du corps, vont rompre l’équilibre que l’enfant avait atteint vers l’âge de 12 ans, en sortant de son égocentrisme, en acquérant le sens de l’entr’aide, de la charité, et en intériorisant certaines règles morales (Piaget). C’est « l’âge ingrat »; cet apprenti de la vie qu’est l’adolescent va s’élancer parfois avec impétuosité, souvent avec des réactions expressives et maladroites. Il procédera par négations ou affirmations, de caractère exclusif, mais qui ne sont contradictoires qu’en apparence et n’ont pas toujours la stérilité qu’on leur prête. On a souligné que la négation était prédominante entre 12 et 16 ans; et l’affirmation entre 16 et 25, âge des convictions ardentes et des enthousiasmes.
Debesse a classé ces sujets en deux catégories principales : ceux qu’il appelle les « rectilignes », d’esprit positif, hommes d’action, souvent conformistes, et d’une personnalité peu affirmée ; l’exagération de ce type est « l’amorphe »; et ceux qu’il appelle les « révolutionnaires » où se recrutent les pionniers, les artistes et qui fournissent aussi les révoltés et les ratés.
On peut envisager, sous trois aspects principaux, les prises de conscience et de position que va effectuer l’adolescent.
1). L’adolescent découvre son « moi », prend conscience du monde extérieur et se différencie de ceux qui l’entourent. Cette révélation se fait soit brusquement, à la suite d’un incident (hasard, lecture, éclair du premier amour), soit progressivement avec l’aide bienveillante de l’entourage familial. La contemplation du moi peut provoquer l’étalement d’un certain « narcissisme ». Un sentiment de perplexité accompagne cette découverte, pousse l’adolescent à s’étudier dans la solitude; en même temps naît aussi le désir ardent de l’amour d’autrui qui l’aiderait à se comprendre. Nombre de journaux intimes témoignent de cette perplexité et de ces inquiétudes; parfois, ce sont des évasions dans des rêveries imaginaires, ou des révoltes contre ce qui est admis autour de lui (famille, école, religion, société, etc.). Debesse a souligné « la crise d’originalité juvénile » qui s’extériorise sous forme d’excentricité dans les propos, le costume, le comportement; un coefficient collectif vient souvent s’ajouter à ces manifestations : bandes, clubs privés, codes secrets, etc.
Il y a là un tournant dangereux à surveiller si l’on ne veut pas que l’adolescent glisse dans un autisme qui le conduirait à la schizoïdie.
2). L’adolescent va faire aussi la découverte des valeurs esthétiques, morales et religieuses. Les Allemands ont beaucoup insisté sur ce fait que la jeunesse était l’âge des valeurs; le vrai, le beau, le bien, le religieux, constituent pour eux les quatre points cardinaux de la conscience.
Confiant dans sa supériorité intellectuelle, l’adolescent devient un dialecticien, un raisonneur redoutable; il procède par affirmation catégorique, par sophisme déductif rigoureux, sans aucun sens des contingences et des relativités; tout imprimé fait loi. La soif de l’absolu le pousse à la critique ou au dénigrement systématique et souvent sarcastique du conformisme et des traditions reçues. D’autres fois, c’est un refuge dans le mysticisme, une conversation inattendue. C’est à cet âge aussi que la jeunesse s’enthousiasme pour des systèmes philosophiques en vogue et de grandes idéologies politiques ou sociales qui peuvent le conduire jusqu’au sacrifice de sa vie. Son sens esthétique mal éclairé et sa sensibilité exaspérée le conduisent souvent à un romantisme primaire de « carte postale » comme on l’a appelé.
Mais un besoin profond de sortir de lui-même finit par se manifester et le pousse à rechercher des appuis, des sympathies, des intimités et l’oriente vers l’amitié et l’amour. C’est le stade que l’on a appelé « stade de la délivrance du moi ». C’est l’âge des grandes passions, des amours aveugles comme aussi des aversions et des haines excessives. Les amitiés de cet âge, contrairement à celles de l’enfance, sont sélectives, ombrageuses, exclusives; c’est l’âge des attachements profonds et durables (Montagne et La Boétie). Les amitiés de collège peuvent se faire sur un plan d’équivalence au point de vue de l’âge, mais s’exercent souvent sur un camarade plus jeune, procurant une possibilité et une satisfaction d’affirmation ; parfois aussi l’adolescent voue à un adulte (un professeur en général), un véritable culte admiratif; ces amitiés particulières, parties d’un bel élan, peuvent parfois présenter des dangers et devenir équivoques.
Quant à l’amour, il est sous-tendu par l’éveil physiologique à la vie génitale, phénomène d’un puissant dynamisme à cette époque. La sexualité est à double racine, l’une génitale, l’autre sentimentale, qu’il est toujours vain et dangereux de vouloir dissocier. Bien des maladresses sont commises par des parents qui ne veulent pas comprendre cet impératif; l’éducation sexuelle des adolescents reste le problème le plus important au point de vue pratique et doit être faite en toute clarté. Il faut lui ôter l’attrait du mystère dont on l’entourait autrefois et qui était la source de curiosités malsaines et de bien de déviations. Il faut savoir se montrer indulgent et compréhensif pour les accidents pouvant survenir à cette période. Dans cet amour des adolescents, il faut voir surtout un élan, une oblativité, un besoin d’aimer, plus encore qu’un besoin d’être aimé. Le jeune homme affirme parfois brutalement sa passion, tandis que la jeune fille se replie dans la pudeur et joue les coquettes. Le mariage reste la formule logique et idéale pour tous ces élans de la sexualité. Mais les conditions de la vie contemporaine le rendent souvent malaisé à cet âge.
II. Les manifestations psychopathiques de l’adolescence. – La maturation psychologique de l’adolescent doit aboutir en fin de compte, à une transformation de sa vie affective et intellectuelle en vue de son adaptation, sociale.
On conçoit qu’il puisse exister une adolescence pathologique chez les jeunes êtres qui n’auront pu bénéficier d’une évolution affective ou caractérielle normale, notamment du fait de conditions sociales ou familiales défavorables. Les carences affectives ou d’autorité, sont, dans un grand nombre de cas, responsables de l’existence du comportement, inquiétant pour leur avenir, de ceux que l’on appelle de noms différents selon les lieux ou les temps, « tricheurs » en France, « hooligans » en U.R.S.S., par exemple.
Cette adaptation comporte souvent des faux pas, des ratés, parfois même des échecs qui se traduiront par des désordres plus ou moins importants (névroses d’échec). Certains de ces accidents sont bénins, transitoires, réversibles ; d’autres, plus sérieux, imposeront une structure anormale ou pathologique à la personnalité.
A) Accidents mineurs. – Les troubles du comportement sont fréquents à cet âge et ils ne sont que la traduction et l’exagération de l’évolution psychologique étudiée plus haut.
On rencontre fréquemment des modifications de l’humeur, une tristesse anormale avec accès de larmes, morosité, – « états de langueur » des anciens auteurs – tendance à l’isolement et au repli, états de rêverie avec aspirations vagues traduisant des dispositions à l’introversion, des élans mystiques ou des explosions sentimentales inattendues; d’autres fois, ce sont des caprices, des exigences, des bouderies inexplicables en apparence, ou au contraire, une timidité, une pudeur excessives avec troubles vaso-moteurs, rougeurs soudaines de la face et, parfois, véritable éreutophobie.
D’autres fois, au contraire, ce sont des manifestations de révolte, ouverte ou passive, qui sont au premier plan : fugues brèves, insolences, paresse scolaire. Chez les extravertis, on notera des tendances à l’agressivité : espiègleries, farces, turbulence, entreprises inconsidérées, révolte familiale, besoin d’indépendance, de « vivre sa vie », fugues, équipées de jeunes « Robinsons », etc. Parfois, s’ajoute à cette agitation une véritable malignité perverse quand existent des anomalies caractérielles. Ces réactions peuvent atteindre la délinquance : violences, prostitution, fugues graves, et surtout vol (vol de compensation affective notamment).
Une place importante doit être faite aux manifestations hystériques de tous ordres, à certaines fabulations de la mythomanie, simplement vaniteuse et perverse.
Cette époque voit aussi s’affirmer les tendances aux phobies et aux obsessions de toute nature, aux scrupules qui oscillent le plus souvent entre le pôle sexuel et le pôle religieux.
Des complexes psychosomatiques peuvent s’installer : troubles digestifs, troubles circulatoires (tachycardie, hypotension), avec tendance hypocondriaque. L’anorexie mentale est une des formes les plus représentatives de ces désordres mixtes.
B) Accidents majeurs et psychoses. – Toutes les tares mentales et toutes les dispositions psychopathiques constitutionnelles se font jour ouvertement à cette époque de la vie. La plupart sont sans relation directe avec le phénomène biologique de la puberté; elles ne trouvent là qu’un moment propice à leur éclosion.
a) la psychose périodique présente généralement à cet âge ses premiers accès caractéristiques. Ils sont souvent rythmés chez la jeune fille par la période menstruelle; ils sont en général de courte durée et souvent embrumés de confusion et d’anxiété dans les premiers jours ; ils peuvent parfois être les signes avant-coureurs d’une démence précoce.
b) Les bouffées délirantes sont fréquentes à cette période de la vie, de signification et de pronostic très divers; quelques-unes accidentelles, d’autres véritables crises schizomaniaques peuvent faire pressentir la schizophrénie.
c) On sait que l’adolescence est le moment d’élection du début de la schizophrénie; ses prodromes et ses manifestations, souvent fort discrètes, sont prisés dans la série des accidents mineurs décrits plus haut : tendances à l’isolement, à la rêverie, à la bouderie, fugues, manifestations hystérioformes, etc. La signification de ces petits désordres peut être longtemps méconnue. Aussi ne saurait-on trop insister sur les réserves qui s’imposent devant des manifestations en apparence bénignes et la recherche des éléments caractéristiques de la schizophrénie (autisme, perte de contact vital avec la réalité) doit être poursuivie avec soin.
d) Des état déficitaires et démentiels plus graves peuvent s’installer à une cadence variable et sous des influences diverses : état abiotrophiques et dégénératifs, séquelles de pyrexies de l’enfance, poussées d’encéphalites mineures, etc. Ils revêtent tous les aspects de la démence précoce.
Rappelons enfin qu’il existe une paralysie générale juvénile ordinairement riche en signes neurologiques.
A. et M. Porot.
Voir aussi :
