Vous avez dit architecte paysagiste ?
par Daniel Baril
Petit test juste pour le plaisir : Demandez à votre voisin sans le prévenir : « c’est quoi le paysage? Question subsidiaire : ça fait quoi un architecte paysagiste? »
L’anecdote est révélatrice: à moins de faire partie de la profession, la notion de paysage et le rôle d’architecte de paysage ne vont pas de soi. Selon la définition qu’en donne l’Association des architectes paysagistes du Québec (AAPQ), l’architecte paysagiste est le professionnel qui assure, par le design et la planification, la meilleure utilisation possible des éléments de notre environnement en application des règles de l’art et de la science.
L’École d’architecture de paysage, qui définit son objet comme étant ce qui est vu, perçu et même vécu, ajoute une note de poésie en soulignant qu’une des fonctions de l’architecte paysagiste « est de créer des paysages poétiques et mémorables correspondant a la sensibilité esthétique et culturelle de notre époque et porteurs de nos valeurs ». Rien de moins.
L’architecte paysagiste fait donc beaucoup plus que planter des géraniums ; il conçoit l’aménagement du décor qui nous entoure, que ce soit à l’échelle d’un jardin privé, d’un parc national, d’une rue ou d’un quartier, et gère l’utilisation de l’environnement naturel. S’il doit tout connaître de la flore, des propriétés des différents sols, de l’histoire de l’architecture et de l’écologie, il doit aussi faire preuve d’un bon sens de l’esthétique et se montrer sensible aux besoins du public puisque son travail vise avant tout à améliorer notre qualité de vie par l’embellissement de notre habitat.
L’architecte paysagiste fait beaucoup plus que planter des géraniums. Il conçoit l’aménagement du décor qui nous entoure, que ce soit à l’échelle d’un jardin privé, d’un parc national, d’une rue ou d’un quartier, et gère l’utilisation de l’environnement naturel.
Ses domaines d’intervention sont par ailleurs beaucoup plus vastes que le seul design de places publiques ou la mise en valeur de bâtiments. Ils peuvent inclure l’élaboration de politiques d’utilisation des sols, l’étude des impacts visuels d’un projet de construction ou la restauration de sites historiques ; d’autres architectes paysagistes se spécialiseront dans l’aménagement de terrains de golf, de pistes cyclables, de centres équestres ou dans la renaturalisation de berges.
En 67 tout était beau…
L’architecture de paysage a une très jeune histoire au Québec. Ce n’est qu’en 1968 qu’une formation dans ce domaine a été offerte à l’Université de Montréal. Les cours étaient alors donnés à l’École d’architecture, qui a ouvert un programme en architecture de paysage probablement sous l’influence d’Expo 67. En effet, avec ses sites magnifiques, l’Expo a donné une très grande visibilité au travail des architectes paysagistes. Tous ceux qui ont travaillé à l’aménagement de ces Iles avaient été formés à l’étranger; ce sont eux qui ont fait pression pour que cette formation soit donnée ici.
Dix ans plus tard, l’école d’architecture de paysage devenait un département autonome de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Il ne faudrait pas pour autant considérer l’architecture de paysage comme une spécialisation de l’architecture.
En Géorgie, l’architecture de paysage est enseignée depuis 1852. La Faculté de l’aménagement a eu des liens de parenté avec les autres professionnels de l’aménagement, mais si la formation a d’abord été donnée à l’École d’architecture, c’est dû à l’aspect très récent de notre préoccupation pour le paysage. Nous partons de loin : il n’y a pas longtemps, nos aménagements privés étaient faits de pneus d’automobile peints en rouge et blanc Aujourd’hui, l’industrie de l’horticulture atteint un chiffre d’affaires des milliards de dollars par année au Québec.
L’engouement du public pour l’horticulture a même amené l’École d’architecture de paysage à ouvrir un programme de mineur en aménagement de jardins résidentiels s’adressant autant à ceux qui travaillent dans le domaine qu’aux amateurs recherchant une courte formation spécialisée.
Retour aux sources
La découverte tardive des plaisirs de l’aménagement paysager étonne puisque nous avions, à Montréal, l’une des réalisations majeures de Frederick Law Olmsted, considéré comme le père de l’architecture de paysage. Concepteur du parc du mont Royal, Olmsted faisait figure de visionnaire, dans les années 1850, par son approche avant-gardiste en conservation de la nature et de son utilisation par l’être humain. On lui doit également la conception et l’aménagement de Central Park, à New York.
Les transformations que le parc du mont Royal a connues dans les années 1960 illustrent bien les désastres que peuvent causer des développements peu soucieux de l’aspect paysager.
Alors qu’Olmsted s’était soucié d’utiliser les courbes et les pentes naturelles de la montagne pour amener les promeneurs au sommet, on n’a pas hésité, 85 ans plus tard, à dynamiter ce sommet pour faire passer les automobiles. La voie Camillien-Houde est ainsi devenue une cicatrice aussi inutile qu’irréparable.
En revanche, depuis Expo 67 et les pneus-boîtes-à-fleurs, le Québec a rattrapé son retard. L’un des plus beaux parcs de Montréal, le parc Jean-Drapeau, sur l’île Notre-Dame, hérité des Floralies, est entièrement l’œuvre de diplômés d’ici. Ce parc offre des aménagements variés intégrés dans un design cohérent et constitue un atout pour la ville.

Il en est de même des nombreux aménagements réalisés à l’occasion du 350e anniversaire de Montréal, en 1992, soit l’esplanade Émilie- Gamelin (mieux connue sous son premier nom de place Berri), le Vieux-Port et le Champ-de-Mars.
L’architecture de paysage a pris un tel essor depuis les années 1970 que Montréal est devenu la municipalité possédant le plus fort contingent d’architectes paysagistes de toutes les villes d’Amérique du Nord avec ses quelque 40 spécialistes en la matière.
Si les constructeurs de l’île des Sœurs réussissent à vendre leurs maisons, c’est que les constructions sont bien intégrées à l’environnement.
Le travail des architectes paysagistes leur a apporté une plus-value que n’ont pas les maisons de Fabreville, à Laval, où l’on s’est contenté de bulldozer les terrains sans planter un seul arbre.
Collaboration et compétition
Par sa nature et sa fonction, l’architecture de paysage se trouve au carrefour de plusieurs professions : urbanistes, ingénieurs, architectes, écologistes, biologistes, entrepreneurs, horticulteurs, géologues et même sociologues ont parfois tous leur mot à dire dans un même projet.
Aux états généraux sur le paysage québécois, tenus en juin 1995 à Québec, pas moins de 15 professions étaient représentées ; ça fait beaucoup de monde dans les plates-bandes !
Le métier d’architecte de paysage serait impossible à exercer sans la nécessaire collaboration entre ces différents professionnels. La direction des projets est assurée tantôt par l’architecte paysagiste, tantôt par l’ingénieur. Dans l’aménagement de la plage de l’île Sainte-Hélène, les paysagistes dirigeaient l’équipe ; ils déterminaient où devaient se trouver les différentes constructions qu’il fallait intégrer au paysage.
Dans le cas de l’aménagement de l’avenue McGill Collège, c’étaient les architectes qui dirigeaient les travaux et les paysagistes devaient concevoir leurs plans à l’intérieur des balises imposées par les normes et l’environnement urbains.
Cet esprit d’équipe n’est malheureusement pas toujours possible et, parmi les réalisations majeures qu’a connues la métropole au cours des dernières décennies, il se trouve effectivement des choses qui clochent sur le plan de l’aménagement paysager, par exemple le Parc olympique.
La multiplicité des intervenants concernés par le développement paysager pose d’autre part un défi aux architectes paysagistes : ils doivent se démarquer et s’imposer comme les véritables professionnels du paysage. Selon les propos du professeur Gérald Domon, exprimés dans le bulletin de l’AAPQ, le fait que diverses disciplines, encore récemment réfractaires au paysage, se préoccupent maintenant de cet aspect serait révélateur de l’influence qu’exercent les architectes paysagistes dans la société.
Mais ils devront faire preuve d’un peu plus de combativité pour tirer leur épingle du jeu dans la jungle de la concurrence et apprendre à se faire connaître auprès des «donneurs d’ouvrage. Les architectes paysagistes, observe leur président, sont parfois nuls en matière de PR.
La moyenne d’âge dans cette profession est de 35 ans et 70 % sont des travailleurs autonomes. Ils ont très peu d’expérience en relations publiques et ne comprennent pas toujours que cet aspect est souvent déterminant dans l’obtention de contrats.
Diverses écoles de pensée
L’une des difficultés avec lesquelles doivent composer les architectes paysagistes est la critique du public. Ils sont parfois accusés de donner libre cours à leurs visions fantaisistes en oubliant que la population aura à vivre avec des essais philosophiques en trois dimensions dans son paysage. Certains aménagements, comme la section du Vieux Port où l’on a érigé des structures d’acier pour rappeler les anciens hangars, ont été fort critiqués.
Tout projet majeur suscite la controverse. Sinon, c’est parce que c’est banal. Le paysagiste doit satisfaire les attentes du public, mais il doit également aller au-delà si c’est possible. Dans ce domaine comme ailleurs, plusieurs écoles de pensée cohabitent. Ainsi, de la fin de la guerre jusqu’au milieu des années 1970, le courant moderniste était dominant. Tout le monde s’entendait sur ce que devait être un bon aménagement : il devait comporter de la verdure, être accessible au public, les formes devaient être abstraites et épurées. Avec le postmodernisme, on a redécouvert les formes plus traditionnelles et décoratives de l’architecture classique ; on a délaissé le béton au profit de matériaux plus riches et colorés comme le granit.
L’avenue McGill Collège est un exemple de réalisation de ce style. Il y a aussi l’école dite « mémoire des lieux », qui cherche à rappeler une ancienne utilisation d’un site. Le Champ-de-Mars, où l’on a déblayé une partie des anciennes fortifications de la ville, le parc du Centre canadien d’architecture où les anciennes habitations revivent dans des sculptures d’art contemporain et le Vieux-Port en sont des manifestations.
Une autre approche consiste à intégrer plusieurs concepts sur un même site. « Contrairement à l’approche traditionnelle, qui cherche à répondre à tous les besoins par le même design, on conçoit maintenant qu’un site peut être complexe et contenir plusieurs messages qui peuvent même se frapper, au risque d’être baroque», poursuit le directeur. L’esplanade Émilie-Gamelin, avec ses sculptures du professeur Melvin Charney (prix du Québec Paul-Émile-Borduas 1996), de la Faculté de l’aménagement, serait un exemple d’un tel site où l’on a réussi le mariage entre l’espace urbain et un parc à usages multiples.
On observe finalement la tendance environnementaliste, qui se démarque par la prise en compte des problèmes environnementaux dans la réalisation de projets locaux. On recourra par exemple à l’usage de plantes indigènes ou sauvages pour remplacer la pelouse énergivore. Plusieurs municipalités ont ainsi recours à des graminées décoratives dans l’aménagement de leurs lieux publics. Des pépiniéristes se sont même spécialisés dans la culture de plantes indigènes pour répondre à cette demande croissante.
Par Daniel Baril.
Les Diplômés, hiver 1997, 391.
