Le Collège Stanislas
par Henri I. E. Maitre
Je me garderai bien de vous parler de Stanislas de Montréal, que la plupart d’entre vous connaissent pour avoir collaboré à sa fondation. En France même, je laisserai de côté les collèges qu’une longue tradition rattache à Stanislas. Je me contenterai de vous dire qu’au début de la guerre le collège parisien a réparti ses deux cents maîtres et ses deux milles élèves dans quatre maisons de province; le collège de Calais, le château d’O, palais princier bâti par Isabeau de Bavière, le château historique de Rochefort, en Yvelines, dans la forêt de Rambouillet et, sur les bords de l’Atlantique, le Casino de St-Brévin. À Paris les classes continuent dans la partie qui n’est pas réquisitionnée comme hôpital militaire.
C’est là le vrai Stanislas. Je regrette de ne pouvoir vous en projeter une vue aérienne, avant d’esquisser son histoire qui est celle de l’enseignement libre français, pour vous faire comprendre son rôle dans la formation de l’élite actuelle.
Le jeune homme qui sort de Stanislas a subi l’influence des lieux où il a vécu, des traditions qui s’y transmettent, des maîtres et des élèves qu’il y a fréquentés : l’idéal que son âme y a entrevu, sera le but de toute sa vie.
LES CORPS DE BATIMENTS
Stanislas est situé sur la rive gauche de la Seine, entre les artères de la rue de Rennes et des boulevards Raspail et Montparnasse. Même à faible altitude l’aviateur à peine à distinguer ses bâtiments, tant ils sont incorporés aux maisons voisines et leur ressemblent avec leurs toits d’ardoise grise et leurs murs noircis sous la patine du temps.
Le piéton passe à son insu devant les quatre entrées, à moins que le flot des élèves, aux heures de sortie, ne l’oblige à s’arrêter, à lever la tête et à lire, au-dessus de la porte, sous un drapeau déjà vieux. Collège Stanislas.
Pourtant, cet amas confus de bâtiments innombrables, les cours cimentées entourées de classes ou de clôtures, les jardins d’agrément, le tout formant à peu près un trapèze, n’occupent pas moins de soixante-dix acres de terrain, ce qui, pour Paris, est considérable.
À la dernière Exposition Universelle de Paris, le Pavillon Pontifical avait consacré toute un chapelle à l’enseignement libre. Une grande maquette surtout attirait les visiteurs parisiens ou provinciaux. En arrivant devant cette réduction exacte d’une maison qui n’était familière, ce fut pour moi une révélation, et comme les enfants, je ne me laissai pas de faire jouer les boutons électriques, de rendre lumineux tour à tour le Petit, le Moyen, le Grand Collège et l’École, de chercher les divisions, ces sept collèges en somme dirigés par un même chef.
Stanislas n’est là que depuis 1854. Pendant ses cinquante première années, le Collège, fondé dans l’hôtel Traversaire, prolongé dans l’hôtel de Fleury, avait grandi au milieu des jardins et des champs, plus près du Luxembourg. Au début du second Empire une débâcle financière ne lui laissa que son nom et son passé.
On transporta ce malade dans l’hôtel de Mailly, devenu la brasserie Santerre; bientôt, on agrandit son domaine de l’hôtel et du palais de la princesse Belgiojoso, cette patriote italienne dont le salon vit défiler nos grands hommes de la politique et des lettres. Sur ces deux propriétés se sont élevés depuis, un peu au hasard, un dédale de bâtiments plus utiles que beaux; mais, pour avoir habité ou adapté ces quatre hôtels princiers, Stanislas a gardé le goût d’une noblesse élégante et sévère.
Demandez aux anciens quels sont les coins aimés de leur collège ; ils vous nommeront, non pas les laboratoires récemment pourvus, les grandes salles de jeux et de spectacles, mais la chapelle de leur première communion, le parc où s’achève en apothéose la procession de la Fête-Dieu, ou encore le petit jardin de l’entrée, où le Chevalier Bayard présente sa devise, devenue celle de « Stan », « Français sans peur, Chrétien sans reproche ». S’il n’avait pour mérite que la beauté de ses murs et la richesse de ses salles, le Collège Stanislas serait distancé par la plupart des jeunes collèges de France et surtout par ceux d’Amérique; sa beauté est comme celle dont parle l’Écriture, « toute intérieure ». On a dit d’un grand nombre de ses directeurs qu’ils étaient « remarquablement laids » ; leur vie intérieure, le rayonnement de leur âme les transfiguraient.
Il en est de même de Stanislas. Un profane le trouverait lépreux, mais son esprit a marqué des générations d’élèves. Ce n’est pas à des Canadiens qu’il faut rappeler comment le contact d’une terre et son climat façonnent les habitants ; ils savent aussi comment l’esprit d’une race en tire parti.
L’ESPRIT DU COLLEGE
L’âme de Stanislas lui vient sans doute de ce terroir parisien et des murs qui ont une âme « qui s’adresse à notre âme ». Au fond, ce n’est que l’âme de ceux qui ont animé ces lieux et ici, avant tout, celle de son fondateur, l’abbé Liautard. Ce jeune prêtre de trente ans avait vu la Révolution anéantir l’enseignement donné depuis des siècles par l’Église et l’Université, puis supprimer dans l’école unique, qu’elle y substituait, le principe de l’éducation religieuse. « Ce fut, dit J. de Maistre, l’ignorance, l’oisiveté ou la férocité chez les jeunes. Napoléon n’écouta pas l’avis de son ministre Portails: « Toute la France appelle la religion au secours de la morale et de la société » ; il créa le monopole de l’Université, « moule à fonctionnaires sur un type unique ». Cette école s’occupait d’instruction, non d’éducation qui seule forme des caractères. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », écrivait on au 18ième siècle. Sans doute, il y avait bien quelques grands collèges reconstitués en province, et à Paris des institutions privées et des professeurs particuliers. Liautard, qui a démissionné de Polytechnique, a vécu de ces leçons avant d’entrer à St-Sulpice ; dans cette retraite, il a entendu l’appel angoissé des pères et des mères, réclamant pour leurs fils une éducation morale et religieuse. Il y répond en ouvrant, avec deux amis, le 15 août 1804, l’École N. D. des Champs.
Quel est le but du nouvel établissement : Le premier prospectus trace la voie que suivront tous ses successeurs. Le règlement d’éducation comprend trois parties: la religion, base naturelle de toutes les vertus publiques et privées; elle doit être partout présente, comme 1 air qu on respire avec joie et librement. Les études suivront le programme universitaire, avec plus de place aux langues vivantes, aux mathématiques, aux arts d’agrément.

Quant a la discipline, il y a le règlement écrit mais surtout l’esprit qui forme les caractères en faisant appel à la générosité, a l’honneur. Partout et toujours le collaborateur réclame la collaboration des parents. Ainsi se trouvent unis les trois facteurs que, sur le terrain scolaire, on avait séparés : l’Église, l’Université, la Famille. Or, selon le mot de J. de Maistre, l’université fournit le corps, et l’Église, l‘âme de l’éducation: la famille, prolongée par les maitres, la dirige dans son accroissement.
Pendant vingt ans, M. Liautard lutte pour ta vie de son établissement : il le voit enfin consolidé par l’ordonnance du février 1821. Sa maison bénéficiera du régime des collèges de l’État et participera au concours général.
Elle s’appellera désormais Stanislas en l’honneur du roi et de son bisaïeul, le roi de Pologne, protecteur des sciences et des lettres. Le fondateur pouvait se retirer ; lui qui voyait dans l’union de l’Église et de l’Université la clé de l’avenir, avait mené son œuvre a bien. Le Collège avait maintenant ses traditions. Les successeurs, s’ils échouèrent dans la conservation matérielle de la maison, surent du moins en sauver l’esprit et le fortifier. Il n’en pouvait être autrement avec des éducateurs de génie comme Gratry, Lalanne, de Lagarde pour ne point parler des vivants.
On a pu appeler l’abbé Gratry l’homme du 19ième siècle, le plus épris de justice et de chanté. Henry Bordeaux évoque, à son sujet, Fra Angelico, Giotto, François d’Assise, Jeune, zélé, éducateur noble, enthousiaste, ami des hommes les plus savants, Ampère et Gauchy, il débarrasse le collège d’un certain nombre d’élèves suspects, recrute un personnel de professeurs capables d’honorer les lettres et les sciences, mais surtout des modèles de foi intégralement vécue. Il crée un cours d’enfant, analogue à nos jardins actuels. Pour toutes les classes, il réduit les heures d’études, mais leur imprime un tel élan, que, devant les succès du Concours Général, on lui donne la Légion d’honneur. Poursuivant la réalisation d’une « société où la science, la philosophie et la foi se vivifieraient dans un accord parfait », il crée l’École préparatoire aux examens des Écoles du Gouvernement, innovation féconde que les collèges de l’État
LES RELIGIEUX MARIANITES
En une heure difficile, le collège fut sauvé par un élève du fondateur, M. Lalanne, qui le fit passer aux mains de la Société de Marie. Ce fut alors une véritable « transfusion de sang » dans le corps enseignant et dans la population scolaire, renouvelée par la base. Avec ce directeur âgé, mais auteur dramatique fécond, boute en train, la vie de famille s’épanouit davantage au collège. Il créa l’Académie littéraire qui transforme les élèves en professeurs et en critiques, puis il fonda l’Association des Anciens Élèves dont l’action se révéla efficace pour le maintien des bâtiments et de l’esprit de « Stan ».
Son assistant, l’abbé de Lagarde, par son prestige et son action personnelle, devait accentuer ce caractère familial de la vie à « Stan ». « Le collège, disait-il, n’est pas une réunion d’enfants dont les parents se débarrassent par force ou par choix, il est une partie intégrante de la famille ».
Dans cet esprit, il réunit, une fois par mois, dans la chapelle du collège, les mères des élèves, afin de leur parler de la formation et de l’avenir de leurs enfants.
Ce « terrible et majestueux » directeur jouissait d’une autorité prestigieuse, due à sa haute taille, à son port noble et distingué, à sa bonté ferme, mais surtout à sa vie intérieure rayonnante, qui faisait dire à ses élèves ; « lorsqu’il nous avait adressé la parole, nous demeurions troublés jusqu’au fond de l’âme, car nous sentions que nous venions de converser avec un saint ».
Le successeur de M. de Lagarde n’eut qu’à laisser le vent gonfler les voiles de son navire, jusqu’à la persécution religieuse de 1902. Dans la grande famille des maisons marianites, auprès de l’Etoile d’Orient et le l’Étoile du matin, « Stan » brillait d’un vif éclat: aux élèves qu’il avait formés, il ajoutait par son École préparatoire les meilleurs sujets des collèges provinciaux et les menait au succès. Quel milieu favorable: d’un côté, comme professeurs, les plus savants religieux et les plus brillants des maîtres catholiques de l’Université ; de l’autre, l’éducation enseignée par la vie et l’exemple des humbles marianites qui abdiquaient toute vie personnelle pour se consacrer, jour et nuit, à leur élèves avec plus de dévouement. Vint la tempête de 1904. Les sectaires de l’Instruction Publique avaient cru supprimer « Stan ».
Grâce au dévouement des catholiques de France et à l’attachement des Anciens élèves, tout fut sauvé. Des prêtres séculiers reprirent l’œuvre qu’ils avaient cédée cinquante ans plus tôt; près d’eux, des laïques attachés, par leurs grades à l’Université, continuèrent d’y enseigner. Ainsi, se poursuit la tradition du collège universitaire et chrétien, voulu par ses fondateurs. A travers tous les régimes et tous les changements, l’esprit du collège s’est maintenu avec les traditions essentielles. Chaque directeur séculier ou régulier, n’a fait qu’y apporter sa note plus ou moins personnelle. Au patrimoine chrétien et français du début, un Gratry, au temps de la Monarchie de juillet insuffle le sens de l’apostolat dans la justice et la vérité, demandant à ses élèves de se préparer à « sauver le monde » ; sous l’Empire, un Lalanne donne le doux rayonnement de la joie savoureuse et pittoresque du père de famille ; un Lagarde, après le désastre de 70 unit la science vivante et la sainteté exubérante. C’est de lui que date la devise de « Stan » ; « Français sans peur, Chrétien sans reproche ».
Henri Le Maitre.
L`Action universitaire, mai 1940.